Dix ans après les attentats du 11 septembre 2001, quelques mois seulement après les soulèvements en Afrique du Nord et la mort de Ben Laden, qu’en est-il d’Al-Qa’ida et de sa lutte violente, considérée comme largement discréditée par les révoltes populaires et – essentiellement – pacifiques d’Egypte et de Tunisie? Par ses constantes adaptations, Al-Qa’ida a-t-elle «triomphé» ou est-elle sur le «déclin»?

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1. «Déclin» ou «triomphe d’Al-Qa’ida, une discussion ancienne
Les présentes réflexions autour de la «santé» d’Al-Qa’ida s’inscrivent dans un débat plus ancien, dont Terrorisme.net avait présenté quelques éléments en 2008 autour du «déclin» ou du «triomphe» de l’organisation.
En partie politique – on se souvient des déclarations d’anciens responsables d’agences de sécurité américaines pour qui Al-Qa’ida avait perdu la partie en Irak et était largement sur la défensive dans le reste du monde – ce débat avait également fait rage dans des cercles académiques ou journalistiques, en particulier autour de l’ouvrage de Marc Sageman, Leaderless jihad.
La défection d’idéologues jihadistes importants (comme le «Dr Fadl»), la critique d’Al-Qa’ida par ces derniers, l’émergence d’une nouvelle génération de jihadistes «auto-» (auto-radicalisés, auto-financés, autonomes etc.) aux capacités et compétences limitées, la «bataille» autour des statistiques concernant les victimes d’Al-Qa’ida avaient été invoquées comme arguments en faveur de la thèse du déclin de l’organisation.
La présente contribution se penchera également sur la question du «déclin» d’Al-Qa’ida, évalué à la lumière de la situation et des derniers développements en août 2011. Outre l’utilisation de sondages de popularité autour de Ben Laden et Al-Qa’ida, nous nous intéresserons en particulier à différentes situations (Libye, Yémen, Somalie) et ses conséquences pour l’organisation.
En conclusion, une partie des présentes réflexions seront consacrées à la volonté de l’organisation d’ouvrir un front du jihad en Occident.
2. Al-Qa’ida et Ben Laden dans les sondages
En juin 2003, seulement quelques semaines après l’invasion américaine en Irak, le Pew Research Center, basé à Washingon et spécialisé dans les sondages d’opinion, publiait une étude inquiétante.
Ainsi, en Indonésie 58 % des musulmans interrogés avouaient leur confiance en Osama Ben Laden, contre 55 % en Jordanie et 71 % dans les territoires palestiniens. A ce moment-là, Ben Laden et son organisation semblaient être des «caisses de résonance» du mécontentement des populations précitées, provoqué notamment par l’attaque américaine en Irak.

Source: Pew Research Center, “Views of a Changing World 2003: War With Iraq Further Divides Global Publics“.
Dans certains cas (comme la Jordanie, le Maroc ou les Territoires Palestiniens), on ne peut également exclure que ce soutien ne constituait pas une autre «caisse de résonance»: celle des frustrations des populations par rapport à des régimes considérés comme autoritaires ou face à une situation d’occupation. On peut ainsi supposer que le fort soutien palestinien trouve une explication dans la situation en vigueur dans les Territoires.
Dans des chiffres publiés en mai 2011, on constate que la confiance en Ben Laden a très fortement baissé. Ainsi l’Indonésie passait de 58-59 % à… 26 % en 2011. La baisse la plus significative a eu lieu en 2006: le leader d’Al-Qa’ida perdait près de 23 % de soutien. Alors que le pourcentage de soutien en Jordanie était de 55-56 % en 2002 avec une légère augmentation en 2005 (61 %), celui-ci faisait une chute significative dès 2006 (-37 %) pour se situer à l’heure actuelle à environ 13 %. Les attentats d’Amman en 2005 expliquent cette baisse.

Source: Pew Research Center, “Osama bin Laden Largely Discredited Among Muslim Publics in Recent Years“, 2 mai 2011.
A l’exception du Nigeria, on constate que les Musulmans interrogés ont largement abandonné leur soutien à Ben Laden entre 2002 et 2011.

Source: Pew Research Center, “Osama bin Laden Largely Discredited Among Muslim Publics in Recent Years”, 2 mai 2011.
L’étude publiée en 2011 montre également des chiffres de soutien très faible à Al-Qa’ida. Ainsi on constate que le soutien à l’organisation est généralement plus faible que la confiance en Ben Laden.
Alors que 34 % des Palestiniens avaient confiance en son ancien chef, seuls 28 % sont favorables à Al-Qa’ida. En Indonésie, où le soutien à Ben Laden était de 26 % en 2011, le soutien à Al-Qa’ida n’est que de 22 % pour la même période. Comme pour Ben Laden, le soutien à l’organisation est extrêmement faible en Turquie et au Liban (5 % et 2 %).
Ces faibles pourcentages démontrent l’érosion constante du message de Ben Laden et son organisation auprès des populations musulmanes depuis dix ans.
Il est peu probable que ces chiffres augmentent à nouveau de manière marquante, même si des revers dans le processus révolutionnaire des «printemps arabes» en Tunisie et en Egypte pourraient profiter à Al-Qa’ida. Ces chiffres montrent que même si Ben Laden et son organisation ont pu séduire à une certaine époque, l’idéologie violente prônée par l’organisation est maintenant très largement rejetée par les populations musulmanes.
Il est intéressant de constater qu’une forte baisse de soutien a eu lieu entre 2005 et 2006. Cette période est marquée par les attentats en Jordanie, qui ont fait 60 victimes et plus de 100 blessés, et une augmentation significative des victimes civiles en Irak.
Ainsi le site spécialisé Iraq Body Count montre qu’il s’agit là d’une des périodes les plus violentes de l’occupation américaine. Le site estime que 28’030 civils irakiens ont perdu la vie cette année-là.

Source: Iraq Body Count, “Documented civilian deaths from violence” (accédé le 30 août 2011).
Dans un article publié en février 2011, six auteurs analysent les données fournies par Iraq Body Count. Ils estiment que 74 % des civils morts en Irak ont été tués par des insurgés, dont les membres d’Al-Qa’ida font partie. Sur la période considérée (2003-2008), 92’614 civils auraient été assassinés, dont 68’396 par des insurgés et des membres d’Al-Qa’ida en Irak.
Pour la seule période de mars 2006 à 2007, les insurgés auraient tué 26’480 civils, soit 86.6 % des victimes civiles pour la période.
Même s’il faut être prudent quant à un lien de causalité entre la baisse de soutien à Al-Q’aida et le nombre très important de victimes civiles en Irak en 2006, on observe cependant que les deux phénomènes ont eu lieu à la même époque.
La période 2006-2007 est également marquée par deux autres événements: d’une part la lettre d’Ayman Al-Zawahiri à Abu Musab Al-Zarqawi, l’enjoignant à arrêter le massacre de chiites en Irak. Si elle est authentique – ce qui ne semble pas exclu – elle révèle que le leadership d’Al-Qa’ida était conscient des retombées négatives des massacres perpétrés par Zarqawi.
D’autre part, l’actualité de la fin d’année 2006 est dominée marquée par la guerre opposant Israël au Hezbollah.
Dans son ouvrage Terreur et Martyre, Gilles Kepel démontre le défi représenté par cet événement pour Al-Qa’ida. Se présentant comme la championne de l’Oummah et désireuse de récupérer l’une des causes les plus populaires du monde musulman – la lutte contre Israël – l’organisation de Ben Laden et Zawahiri se faisait «brûler la politesse» par l’organisation chiite libanaise Hezbollah, qui en trente-trois jours de lutte contre Tsahal, démontrait ses capacités opérationnelles contre une armée considérée comme presque invincible, notamment depuis la guerre des Six Jours de 1967.
Le défi représenté par le Hezbollah est particulièrement visible dans un discours de Zawahiri du 27 juillet 2006. Alors que tous les regards se tournent vers l’organisation chiite, Zawahiri tente de récupérer «l’agression sioniste contre le Liban et Gaza» (titre de son intervention) et la replacer dans le contexte plus large de la lutte d’Al-Qa’ida contre l’alliance judéo-croisée. A grands renforts de photos des tours jumelles et du chef de la cellule responsable des attaques du 11 septembre, Mohammed Atta, Zawahiri tente de «capter (…) les événements de Palestine et du Liban, en accomplissant le tour de force de ne pas même mentionner le nom du Hezbollah ni de Hamas qui sont alors sur toutes les lèvres au Moyen-Orient» (1).
Pourtant, sur le long terme, l’exercice de récupération de Zawahiri échoue, comme le démontre un autre sondage publié par le Pew Research Center. Même si les chiffres datent de décembre 2010 et ne reflètent pas la popularité du Hezbollah en 2006-2007 (qui devait probablement être encore plus élevée), la comparaison d’opinions positives sur trois organisations (Hamas, Hezbollah et Al-Qa’ida) est éclairante.
Elle permet de comparer le soutien dont jouit le Hezbollah et le Hamas par rapport à Al-Qa’ida et de démontrer qu’Al-Qa’ida ne constituait pas, comme le souhaiterait Zawahiri, l’organisation la plus populaire dans le monde musulman, son «avant-garde combattante», en 2010.

Source: Pew Research Center, “Muslim Publics Divided on Hamas and Hezbollah”, décembre 2010.
Ainsi, à l’exception du Nigeria où Al-Q’aida est aussi populaire auprès des personnes sondées que le Hamas, le soutien exprimé à l’organisation de Ben Laden est systématiquement moins important qu’au Hezbollah ou à l’organisation palestinienne.
Mais la «guerre des trente-trois jours» ne constituait pas le seul défi pour Al-Qa’ida et son image en 2006: en effet, les élections démocratiques dans les Territoires palestiniens, gagnées par le Hamas, ont également fait l’objet de plusieurs interventions vidéo de la part de Zawahiri. Il intervient notamment le 4 mars 2006, une année plus tard (12 mars 2007), et le 25 juin 2007 où il commente l’actualité.
Zawahiri accuse le Hamas de collaboration avec les Etats-Unis et d’avoir accepté de «faire un voyage avec le Satan américain et son représentant saoudien». Selon lui, «celui qui accepte de voyager aux côtés de Satan revient en perdant». De plus, il reproche aux autorités palestiniennes d’avoir invité tous les ennemis de l’Islam pour résoudre le problème palestinien, sauf les Moudjahidines. Essayant de récupérer le problème et les souffrances palestiniennes, Zawahiri déclare que la Palestine est «notre préoccupation et celle de tous les Musulmans». Citant Abdullah Azzam, il rappelle que la libération de la Palestine constitue une «obligation individuelle» (fard’ayn).
Pour lui, le jeu démocratique, auquel le Hamas a pris part, constitue une trahison qui amène à une «capitulation, des concessions et surtout la reconnaissance de la légitimité d’Israël». Il encourage ses coreligionnaires à «s’éloigner de toute organisation qui les égare dans le labyrinthe de la politique». En effet ces organisations vont continuer «à tourner en rond, d’une concession à l’autre» ce qui ne pourra jamais satisfaire les «loups croisés». Comme dans d’autres interventions, Zawahiri incite à ne pas abandonner la lutte et à continuer le jihad.
Comme le révèlent les sondages du Pew Research Center, la rhétorique de Zawahiri n’a pas réussi à faire d’Al-Qa’ida la principale «avant-garde combattante» de l’Oummah. Pourtant, malgré cet échec, on pourrait assister à un regain d’activités d’Al-Qa’ida dans plusieurs régions du monde ces prochains mois.
3. Zones à risque: Afrique sub-saharienne, Yémen et corne de l’Afrique
En effet, certaines branches pourraient cependant sortir renforcées des conflits en Libye, au Yémen et Somalie.
Par exemple, il semblerait qu’Al-Qa’ida au Maghreb islamique (AQMI) ait pu se récemment se fournir en armes et en explosifs en Libye. Ainsi, les autorités nigériennes auraient récemment intercepté des cargaisons d’explosifs et de détonateurs, des équipements militaires complets, et 40 caisses de semtex, un explosif en provenance de la Libye. Malgré l’échec idéologique d’Al-Qa’ida, AQMI pourrait bénéficier de capacités militaires supplémentaires, en armes et munitions. Une récente contribution de Terrorisme.net propose une analyse des récents développements et défis dans la bande sahélo-sahélienne.
De plus, certaines sources (voir notamment le site du Haut-Commissariat aux Réfugiés) indiquent des liens probables entre Boko Haram («l’éducation occidentale est un péché»), une secte radicale du Nord-Est du Nigeria, qui s’est récemment illustrée par un attentat à la bombe dans la capitale du Nigeria, et AQMI. Une collaboration entre les deux organisations n’est pas exclue, ce qui pourrait renforcer les capacités d’Al-Qa’ida. Selon certaines sources, AQMI pourrait même avoir été impliqué dans l’enlèvement de deux britanniques au Nigeria, en mai 2011.
Le 26 août 2011, Boko Haram revendiquait un attentat-suicide contre le siège des Nations Unies à Abuja, au Nigeria. Selon le dernier bilan, cette attaque a provoqué la mort de 21 personnes et fait plusieurs dizaines de blessés. Le même jour, AQMI revendiquait l’attaque d’une caserne en Algérie, tuant près de dix-huit militaires.
On assiste également à un scénario inquiétant au Yémen où l’effondrement du pouvoir – par ailleurs déjà faible auparavant – pourrait offrir de nouvelles perspectives à Al-Qa’ida dans la Péninsule Arabique. Ainsi, à la fin du mois de juin, un Emirat islamique a brièvement été déclaré dans la ville de Zinjibar par le groupe des “Partisans de la Shariah”, proches d’Al-Qa’ida. Des manifestations dans la capitale Sanaa exigeaient même la mise à disposition de troupes pour combattre l’organisation à Zinjibar.
Plus à l’ouest, dans la corne de l’Afrique et particulièrement en Somalie, on a assisté ces derniers mois à une recrudescence des activités liées à Al-Qa’ida, notamment par le groupe des «Shebabs Al-Moudjahines» (ou «shebabs» qui signifie les «jeunes combattants de la foi») (2).
En 2010 déjà, le journal anglais Daily Telegraph signalait que depuis 2005, le lieu de préparation des attentats contre l’Occident s’était déplacé de la région limitrophe entre l’Afghanistan et le Pakistan au Yémen et à la Corne de l’Afrique.
Récemment, la force de l’Union africaine AMISOM, composée de contingents ougandais et burundais, a pu briser le contrôle des shebabs sur la capitale Mogadiscio. Selon des informations récentes, les shebabs seraient en proie à des tensions internes entre jihadistes nationalistes et internationalistes et devraient faire face à des problèmes de financement.
Ces dissensions, ainsi que les problèmes financiers évoqués laissent penser à un affaiblissement des jeunes combattants. Pourtant, la Somalie reste l’une des priorités de l’agenda anti-terroriste américain. De plus, la publication récente du Terrorism Risk Index – une publication qui évalue les risques d’attaques terroristes à travers le monde – montre que la Somalie reste le pays le plus exposé au terrorisme. Du fait de leur participation à l’AMISOM, le Burundi et l’Ouganda sont également menacés.
La situation de guerre civile et la difficulté du Gouvernement fédéral de transition somalien à imposer son monopole de la force sur l’ensemble du territoire constitue une occasion pour Al-Qa’ida.
4. Un «jihad sans leader» en Occident?
Au début du mois de juin 2011, Adam Gadahn, mieux connu sous le nom d’Adam «Al-Amriki» (ou «Adam l’Américain») publiait une vidéo dans laquelle il incitait des jeunes musulmans vivant aux Etats-Unis à acheter des armes à feu et à passer à l’action de façon individuelle. Cette vidéo illustre la tentative d’ouverture par Al-Qa’ida d’un front occidental, basé sur un «jihad sans leader», tel que préconisé par l’idéologue Abu Musab Al-Suri.
On retrouve d’ailleurs des extraits de son ouvrage, l’Appel à la résistance islamique globale, dans le magazine jihadiste Inspire, publié depuis juillet 2010.
Dans l’Appel à la résistance islamique globale, Al-Suri se fait l’avocat de «l’école du jihad individuel et de petites cellules», qu’il appelle également le «jihad du terrorisme individuel», selon lequel la lutte doit être animée par des «unités de la résistance islamique globale», composées soit d’individus isolés, soit de petites cellules de deux personnes ou plus qui se connaissent et agissent en toute confiance. Ces cellules ne doivent avoir aucun lien opérationnel avec le leadership de l’organisation au nom desquelles elles revendiquent leur action.
4.1 Un flot ininterrompu d’actions
Dans son ouvrage Leaderless jihad, Marc Sageman livre une analyse intéressante des conditions de survie d’un mouvement de résistance sans leader, tel que préconisé par Al-Suri. Celle-ci révèle des défis auquel le «jihad sans leader» préconisé par Al-Qa’ida pour le monde occidental devrait faire face.
Selon lui, un mouvement opérant sur le modèle de la résistance sans leader nécessite, pour survivre, «un flot constant de nouvelles actions violentes pour maintenir l’intérêt de nouvelles recrues potentielles, créer l’impression d’un progrès visible vers l’objectif et donner aux recrues potentielles une expérience par procuration avant qu’elles ne prennent l’initiative de s’engager dans leurs propres activités terroristes» (3).
Incontestablement, de nombreuses attaques sur le mode de la résistance sans leader ont déjà eu lieu en Occident. Sageman en offre quelques exemples récents. Il cite ainsi les attentats de Madrid en mars 2004, l’assassinat par le groupe Hofstadt du réalisateur Théo van Gogh et une tentative d’attaque contre l’aéroport d’Amsterdam aux Pays-Bas en 2004, la tentative déjouée de faire sauter le palais de justice madrilène en octobre 2004, la tentative d’attentat à la bombe à Sarajevo déjouée en octobre 2005, les tentatives d’attentats déjouées en novembre 2005 à Sydney et Melbourne, les tentatives d’attaques déjouées à Toronto, Chicago et au Danemark en 2006, la tentative d’attaque à la bombe en Allemagne, en juillet 2006, les attaques infructueuses à Londres et Glasgow en 2007.
On pourrait également ajouter l’attaque de Mohammed Reza Taheri-Azar en 2006 en Caroline du Nord, l’attaque en 2009 d’Abdulhakim Muhammad Mujahaid contre un centre de recrutement de l’armée américaine en Arkansas, le plan d’attaque de troupes américaines par Betim Kaziu, un New-Yorkais auto-radicalisé, inspiré par Anwar Al-Awlaki et emprisonné en 2009, l’attaque de soldats américains à l’aéroport de Francfort en mars 2011 par un homme qui se serait auto-radicalisé. A la fin juillet 2011, un soldat américain, Naser Jason Abdo, inspiré par Malik Nidal Hassan, avait été arrêté, alors qu’il se préparait à attaquer la base de Fort Hood.
Il n’est pas clair dans quelle mesure l’homme qui avait servi d’exemple à Naser Jason Abdo, le «loup de Fort Hood», Malik Nidal Hassan, Umar Faruk Abdulmuttalab, qui a tenté de faire sauter un avion au-dessus de Détroit en décembre 2009 constituent des exemples de résistance sans leader, puisqu’ils semblaient avoir eu des contacts au Yémen. Abdulmuttalab aurait même été entraîné dans un camp dans le pays.
Même si les actions sont nombreuses, on ne peut, pour l’instant, que difficilement parler de «flot ininterrompu».
Qui plus est, Al-Qa’ida doit parfois se contenter de revendications d’attaques… déjouées ou qui ont échoué.
On peut ainsi légitimement se demander si la revendication d’échecs donne l’impression de ce que Sageman appelle un «progrès visible vers l’objectif» et «une expérience par procuration» réussie aux militants…
4.2 Cristallisation politique
L’absence d’un flot continu d’actions n’est pas le seul défi auquel Al-Qa’ida doit faire face. En effet, comme le révèle Sageman, les mouvements de résistance sans leader ont également de la difficulté dans la mesure où l’absence de liens entre un leadership et les activistes «ne permet pas au mouvement une cristallisation politique plus forte qui lui permettrait de prendre possession d’un pays et de le gouverner».
De ce fait, les réseaux de résistance sans leader ne peuvent que très difficilement négocier l’étape qui les ferait passer de la violence au compromis politique.
Ainsi, si l’on postulait maintenant qu’ Al-Qa’ida était effectivement capable de maintenir un flot ininterrompu d’actions, elle serait condamnée à maintenir cette «propagande par le fait» de façon constante pour assurer une survie au mouvement.
En effet, la possibilité d’une «aile politique officielle» d’Al-Qa’ida, inscrite dans le jeu démocratique du pouvoir, semble difficile à imaginer. De plus, celle-ci n’est pas souhaitée par son leadership, pour qui la démocratie trahit les principes de l’Islam.
Conclusion: Al-Qa’ida sur le déclin…
L’échec idéologique d’Al-Qa’ida et son incapacité à devenir «l’avant-garde combattante» de l’Oummah trouve probablement ses racines durant la période 2006-2007, comme le suggèrent les chiffres du Pew Research Center.
Probablement horrifiées par le fait que les prétendus «champions» de l’Oummah les massacraient en masse, les populations musulmanes se sont de plus en plus détournées d’Al-Qa’ida et de Ben Laden.
De plus, la confrontation directe – et non pas uniquement rhétorique – avec Israël a également contribué au déclin de la popularité d’Al-Qa’ida, au profit du Hamas et du Hezbollah.
Al-Qa’ida n’est pas le premier mouvement ayant perdu sa base populaire. Bien avant elle, les groupes d’extrême-gauche comme la Rote Armee Fraktion allemande ont continué à opérer pendant des années malgré une opinion publique hostile. Ainsi, dans le cas de la RAF, il aura fallu attendre près de vingt ans après le moment paroxystique de 1977 (assassinats du procureur Buback et du banquier Ponto, enlèvement et assassinat de Hanns-Martin Schleyer, mort d’Andreas Baader, Gudrun Ensslin et Jan-Carle Raspe en détention) pour que l’organisation mette un terme définitif à ses activités en 1998.
Dix ans après les attentats du 11 septembre, on peut affirmer qu’Al-Qa’ida a perdu la lutte pour les «cœurs et les esprits» de l’Oummah.
Pourtant, il est probable que l’organisation continuera à prospérer dans certaines régions du monde ces prochains mois et années. Ainsi, la situation dans la bande sahélo-sahélienne reste préoccupante. Le conflit en Libye semble en effet avoir permis à AQMI de renforcer ses capacités par la contrebande de matériel militaire. Au Yémen et dans la Corne de l’Afrique, la guerre civile en Somalie et l’effondrement du pouvoir du président Saleh pourraient offrir de nouvelles opportunités aux alliés et branche locale d’Al-Qa’ida.
Pour terminer, le «jihad sans leader» préconisé par Al-Qa’ida pour l’Occident soulève beaucoup de questions. Même s’il est une réalité, l’irrégularité et l’amateurisme des actions (elles ont souvent été déjouées) ne relèvent pas, pour l’instant, d’un «flot d’actions ininterrompues», nécessaire pour assurer une survie à la lutte en Occident à long terme…
Notes
(1) Gilles Kepel, Terreur et Martyre: relever le défi de la civilisation, Flammarion, Paris, 2008, p. 159. Pour une analyse du discours du 27 juillet 2006, voir pp. 157-159.
(2) Pour quelques informations sur les shebabs, voir Mathieu Guidère, Les nouveaux terroristes, Editions Autrement, 2010, p. 45
(3) Marc Sageman, Leaderless Jihad: Terror Networks in the Twenty-First Century, University of Pennsylvania Press, 2008, p. 145.