Depuis octobre 2023, environ deux tiers des 60 personnes arrêtées pour suspicion de terrorisme en Europe occidentale étaient des adolescents âgés de 13 à 19 ans, explique Peter R. Neumann, professeur d’études de sécurité au King’s College de Londres, dans un entretien avec Andreas Ernst (Neue Zürcher Zeitung, 23 août 2024). Contrairement aux tendances précédentes, ces jeunes se radicalisent presque exclusivement en ligne, sans nécessairement avoir de contact physique avec des recruteurs ou des prédicateurs radicaux. Mais la menace terroriste à référence djihadiste ne se limite pas à ces profils.
Des plateformes comme TikTok et Instagram, dont les algorithmes favorisent la création de “bulles” de contenu, jouent un rôle crucial dans le processus de radicalisation. Une fois exposés à ce contenu, les jeunes vulnérables peuvent rapidement se retrouver immergés dans un environnement en ligne qui normalise les idées extrémistes et la violence. En effet, après une exposition initiale sur ces plateformes, ces individus migrent souvent vers des groupes fermés sur des applications cryptées comme Telegram, où ils partagent du contenu violent et planifient éventuellement des actions violentes. L’idéologie semble souvent jouer un rôle secondaire par rapport aux fantasmes de violence — d’autant plus que Neumann note une prévalence plus élevée de problèmes de santé mentale parmi ces jeunes radicalisés — tout en leur offrant la possibilité de vivre ces fantasmes.
Cela brouille les distinctions entre le terrorisme traditionnel et d’autres formes de violence. Selon Neumann, ces jeunes « terroristes TikTok » présentent souvent des caractéristiques semblables à celles des auteurs de tueries de masse non idéologiques, notamment sur le plan de la santé mentale et de la fascination pour la violence. Cela va jusqu’à soulever des questions relatives à la définition même du terrorisme, puisqu’il s’agit d’actes paraissant davantage motivés par la haine et les fantasmes violents que par des objectifs politiques ou idéologiques cohérents.
Bien que ces jeunes terroristes agissent souvent indépendamment de toute organisation, Neumann explique comment l’État islamique (EI) tente de capitaliser sur leurs actions. L’EI encourage ses sympathisants à commettre des actes de violence en son nom, même sans contact direct avec l’organisation. Cette stratégie permet à l’EI de revendiquer des attaques qu’il n’a pas directement planifiées ou exécutées, amplifiant ainsi son influence perçue. Il relève cependant aussi des cas dans lesquels « des représentants de l’EI recherchent activement des “recrues” potentielles dans les espaces Internet et les guident ensuite en tant que mentors. »
Neumann met en garde contre une augmentation potentielle des activités terroristes en Europe, citant une augmentation significative des attaques et tentatives depuis le 7 octobre 2023 (début de la guerre à Gaza). Il souligne que bien que ces incidents n’aient pas encore atteint l’ampleur des attaques majeures des années 2014-2016, ils pourraient être précurseurs d’une nouvelle vague de terrorisme, de la même façon que les attentats liés au conflit en Syrie avaient débuté avec quelques années de décalage par rapport à celui-ci.
En parallèle, Neumann attire l’attention sur la menace persistante posée par des groupes terroristes plus organisés, notamment l’État islamique du Khorasan (EI-K), une branche de l’EI active en Afghanistan et en Asie centrale. Il note que l’EI-K a déjà tenté de mener au moins une demi-douzaine d’opérations en Europe occidentale, toutes déjouées jusqu’à présent, mais représentant une menace sérieuse et distincte de celle posée par les “terroristes TikTok”.
Source : Andreas Ernst, « Terrorismus in Europa: “Es gibt genügend Hinweise, dass sich etwas Grösseres ankündigt” », Neue Zürcher Zeitung, 23 août 2024, https://www.nzz.ch/international/terrorismus-in-europa-die-tik-tok-generation-peter-r-neumann-ld.1844746
Peter R. Neumann vient de publier un livre intitulé Die Rückkehr des Terrors: Wie uns der Dschihadismus herausfordert (Berlin, Rohwolt, 2024).
A l’attention de nos lecteurs qui comprennent l’allemand, signalons que Peter R. Neumann publie régulièrement des analyses sur sa page Substack, Die Terrorlage.
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