L’immigration et l’islam étaient les deux principales cibles visées par les massacres commis dans deux mosquées de Christchurch. Le terroriste a été attentif à donner à son acte non seulement une publicité maximale en filmant son action et en la diffusant en ligne, mais aussi à répondre par anticipation aux questions qui se poseraient à ce sujet et à partager sa justification des faits. Nous proposons ici une analyse de ce manifeste contre « le grand remplacement ».
L’enquête sur le massacre commis ce 15 mars 2019, à l’heure de la prière du vendredi, par un Australien de 28 ans dans deux mosquées de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, ne fait que commencer : ne disposant d’aucune information privilégiée sur le déroulement des faits, il serait prématuré de les commenter ou de spéculer tant sur les détails du mode opératoire que sur d’éventuelles complicités (même si le terroriste s’exprime toujours à la première personne du singulier et ne fournit aucun indice tangible sur un acte de groupe).
En revanche, comme l’a toujours fait ce site, nous allons prêter une attention particulière au discours par lequel l’auteur tente d’expliquer et de justifier son acte, de la même façon que nous l’avions déjà fait dans le cas d’Anders Breivik en 2011.
Aujourd’hui, un terroriste peut diffuser sa propre interprétation en ligne
En effet, avant d’assassiner plusieurs dizaines de fidèles dans ces deux mosquées tout en filmant et en diffusant la vidéo du massacre en ligne (49 morts à l’heure où est publié cet article)[1], le suspect, Brenton Tarrant, avait publié un manifeste pour se présenter et présenter ses motivations. Il s’agit d’une opération de « relations publiques » par une personne qui ne sait pas encore si elle survivra à son action[2] et qui entend ainsi en renforcer l’impact, mais aussi présenter son interprétation des événements.
Internet et les médias sociaux rendent cela possible : si le manifeste avait rapidement disparu de certaines plateformes, il restait accessible plusieurs heures après l’arrestation du suspect sur des plateformes accueillant plus souvent des téléchargements de musique piratée ou du matériel pornographique. Tant le texte que les vidéos continuent de circuler, avec la pression de la demande d’un public aux motivations diverses, allant du voyeurisme et de la curiosité à la sympathie. L’événement du 15 mars 2019 montre une fois de plus comment Internet et les médias sociaux changent la donne, permettant même à un individu isolé d’atteindre une très large audience en court-circuitant le filtre des médias établis.
C’est une analyse critique de ce texte à laquelle nous procéderons ici, afin d’en extraire certaines informations pertinentes sur le profil idéologique et les motivations revendiquées par l’auteur du massacre. Bien entendu, cela devra être confronté à d’autres informations que l’enquête policière permettra de mettre en évidence.
Notons le soin que prennent certains terroristes (ainsi que certains auteurs d’autres actes violents) à détailler leurs intentions. Cela représente plus qu’une tentative de justification : il s’agit aussi d’une volonté plus ou moins habile de propager leurs convictions. Tout récemment, J.M. Berger a publié un texte en anglais pour réfléchir à la « dangereuse diffusion de manifestes extrémistes »[3]. L’inspiration donnée par Anders Breivik est d’ailleurs assumée par Tarrant. Il faut garder cette dimension de propagande à l’esprit en analysant de tels documents, tout en repérant ce qu’ils peuvent nous apprendre. Comme l’a souligné Robert Evans[4] (mais en poussant peut-être le raisonnement un peu trop loin), il y a aussi des passages du texte qui relèvent de l’ironie, à côté d’informations sérieuses sur les convictions de son auteur.
Références idéologiques : premiers indices
Comme toujours, il convient de s’interroger sur l’authenticité d’un tel texte. Étant donné que nous avons pu le télécharger à partir d’un lien figurant sur le compte Twitter du suspect, nous pouvons estimer avec un degré de probabilité très élevé qu’il s’agit bien du texte tel que Brenton Tarrant entendait le partager. Nous en possédons une version au format PDF. Une version en format Word circule également et semble identique.
Long de 74 pages[5], sans nom d’auteur ou signature, ce texte est intitulé The Great Replacement. Ce titre reprend l’expression de « grand remplacement » lancée par l’écrivain français Renaud Camus, notamment dans un livre publié en 2011, qui se trouve actuellement à sa quatrième édition, fortement augmentée. L’idée fondamentale de la thèse du grand remplacement est que l’immigration conduit non seulement à une transformation de la population, mais à un changement de civilisation par suite de l’irruption de populations étrangères. Camus résume cela en écrivant : « il y a un peuple et presque d’un seul coup, en une génération, il y a à sa place un ou plusieurs autres peuples. » Sur son compte Twitter, Camus déclare avoir toujours refusé la violence et qualifie l’attentat de « criminel, imbécile et désolant ». Il n’est d’ailleurs cité nulle part nommément dans le document. En revanche, plusieurs sites anglophones ont reprise l’expression de « grand remplacement ».
On doit prêter attention à l’illustration de la page de couverture. Au centre se trouve une roue solaire à douze branches. Cette « roue runique » a acquis sa notoriété en raison de sa présence dans la décoration du château de Wewelsburg (Westphalie), haut lieu de la SS pendant la période nationale-socialiste[6]. De façon impropre, ce symbole est couramment appelé « Soleil noir », mais cette désignation ne semble apparue qu’après la guerre, notamment à travers les romans de Wilhelm Landig (1909-1997)[7]. La roue à douze branches se retrouve ainsi généralement associée à un imaginaire de courants néo-nazis ou néo-païens. La présence du symbole également sur certaines photographies du compte Twitter de Tarrant indiquent au moins une sensibilité « esthétique », et représente peut-être aussi un « clin d’œil » à certains cercles politiques, puisque l’auteur ne savait pas s’il sortirait vivant de sa meurtrière équipée.
Les thèmes illustrés dans les huit sections du dessin de la page de couverture du document sont également parlants : pêle-mêle, ils suggèrent l’aspiration à une communauté saine et enracinée, à un environnement où règne l’ordre, à la justice sociale et à l’écologie. Nous verrons surgir ces différents thèmes dans des passages du manifeste de Tarrant.
Le document s’ouvre par un poème sur une page, Do Not Go Gentle into That Good Night. Aucune attribution d’auteur : il s’agit d’une œuvre très connue du poète gallois Dylan Thomas (1914-1953). Il se termine par ce vers : « Rage, rage against the dying of the light. » Cette rage contre la lumière en train de s’éteindre n’avait rien de politique dans l’esprit de son auteur : il évoquait plus probablement les sentiments du poète devant son père arrivant au terme de sa vie terrestre.
Un vengeur des peuples blancs ?
Le début du texte de Tarrant proprement dit nous place tout de suite face à ce qu’il considère comme le cœur de son message : « It’s the birthrates. » Les taux de natalité : l’auteur dit son angoisse face au déclin démographique des peuples blancs. « Même si nous déportions demain tous les non-Européens de nos pays, les peuples européens poursuivraient une spirale conduisant au déclin et finalement à la mort. » (p. 3[8]) « Cette crise de l’immigration de masse et de la fertilité en dessous du taux de remplacement est une attaque contre les peuples européens qui, si elle n’est pas combattue, résultera ultimement dans le remplacement racial et culturel complet des Européens. » (p. 3) Tarrant considère qu’il s’agit de rien moins qu’un génocide des peuples blancs (p. 4), qui exige l’arrêt de l’immigration et la déportation des « envahisseurs ». À l’appui de ses préoccupations, l’auteur cite des données statistiques trouvées dans des notices de Wikipedia[9].
Il répond ensuite à des questions, un peu comme il l’aurait fait dans une conférence de presse qu’il ne tiendra jamais, après ses actes. Il répond à des questions comme « Qui êtes-vous ? », « Pourquoi avez-vous commis cette attaque ? », etc.
Il explique être né en Australie, dans une famille modeste (mais sans histoires) aux origines écossaise, irlandaise et anglaise. Sa scolarité aurait été médiocre, de son propre aveu ; il n’est jamais allé dans une université et n’était pas intéressé par des études. Cela nous indique que ses connaissances sont celles d’un autodidacte, largement recueillies en ligne[10]. Il le reconnaît lui-même : c’est « bien sûr » grâce à Internet qu’il a développé ses convictions : « Vous ne trouverez la vérité nulle part ailleurs. » (p. 17)
Les motifs de ses actes ? La vengeance semble être le premier — non pas une vengeance personnelle, mais une vengeance contre tout ce que des Européens ont subi au cours des siècles du fait d’envahisseurs étrangers, jusqu’aux attentats djihadistes aujourd’hui — ou à ces soldats européens qui ont sacrifié leurs vies pour leurs pays et les voient aujourd’hui « donnés à n’importe quelle racaille étrangère qui se présente » (p. 6).
De façon presque mimétique (mais probablement sans le savoir) par rapport aux militants islamistes et djihadistes qui disent leur ressentiment pour des événements datant de plusieurs siècles, Tarrant se réfère lui aussi tant à l’histoire longue qu’à des événements plus récents : sur chacun de ses chargeurs, il avait inscrit les noms de personnes ou d’événements que son acte allait célébrer ou venger : des figures historiques qui ont combattu contre les Ottomans, comme le doge vénitien Sebastiano Venier (1496-1578), mais aussi l’Italien Luca Traini, qui avait tiré sur des immigrants en Italie en 2017, ou Alexandre Bissonnette, qui avait tué six personnes et en avait blessé dix-neuf autres dans une mosquée au Québec la même année[11].
Mais d’autres motifs s’y ajoutent, plus politiques ou « stratégiques » : intimider les immigrants, montrer la voie à suivre par une action révolutionnaire, créer une tension entre l’OTAN et la Turquie afin que cette dernière ne soit plus considérée comme une alliée, mais comme une « force étrangère et ennemie » (p. 6), susciter un conflit entre les deux positions idéologiques aux États-Unis autour de la question des armes à feu, dans l’espoir de voir ce pays en arriver à une guerre raciale qui permettra à la fois de diviser les races pour échapper aux mélanges et d’affaiblir les États-Unis sur la scène mondiale ; l’auteur en veut particulièrement au rôle joué par les États-Unis au Kosovo (pp. 6-7). Il se dit certain que « l’onde de choc de [son] action se répercutera pendant les années à venir, en orientant le discours politique et social et en créant l’atmosphère ou la crainte et le changement qui sont nécessaires » (p. 10). Même s’il affirme que sa personne ne compte pas et que son nom sera oublié, il conçoit son acte en termes grandioses.
La décision de passer à l’acte
Selon l’auteur, un voyage touristique en Europe en avril-mai 2017 aurait marqué pour lui le déclic l’ayant convaincu de passer à une « solution révolutionnaire violente » comme « seule solution possible à notre crise actuelle » (p. 7). Il dit notamment avoir été frappé par un attentat commis à Stockholm le 7 avril 2017, dont l’une des malheureuses victimes fut une fillette de 11 ans, Ebba Åkerlund (il avait d’ailleurs gravé son nom sur la crosse de son arme). Il reste cependant à voir si c’est une interprétation rétroactive, car le nom d’Ebba Åkerlund est régulièrement cité sur des sites antimusulmans, d’autant plus que la tombe de la jeune victime aurait été profanée plusieurs fois. Les parents d’Ebba Åkerlund se disent horrifiés de voir le nom de leur fille utilisé pour tenter de justifier des actes terroristes[12].
Durant le même voyage, Tarrant aurait été frappé par les élections française de 2017 et la victoire du « mondialiste » Emmanuel Macron face à Marine Le Pen, démontrant selon l’auteur l’impossibilité de retourner la situation par des moyens démocratiques[13]. En outre, son séjour en France lui aurait montré ce qu’il avait du mal à croire jusqu’à ce moment : les « envahisseurs » sont partout, dans chaque ville française, face à une population européenne vieillissante (p. 8).
Face à tout cela, pourquoi personne n’entreprend-il quelque chose, se demandait Tarrant ? Conclusion : le faire lui-même et recourir à la violence. Son texte montre une fascination pour la force : « La force est le pouvoir. L’histoire est l’histoire du pouvoir. La violence est le pouvoir et la violence est la réalité de l’histoire. » (p. 21)
Il affirme d’être membre d’aucun groupe politique, mais avoir eu des contacts avec de nombreux groupes nationalistes. L’attaque terroriste de Christchurch aurait été une décision purement personnelle. Mais, ajoute-t-il : « J’ai cependant pris contact avec les Chevaliers du Temple revenus (reborn) pour [obtenir] leur bénédiction afin de mener l’attaque, [bénédiction] qui a été donnée. » (p. 10) Il y a ici une reprise d’un thème qui existait déjà chez Breivik, qui se présentait comme « Commandant chevalier justicier pour les Chevaliers templiers d’Europe » ; Tarrant admet d’ailleurs que Breivik a été sa principale source d’inspiration et a probablement lu au moins une partie de son manifeste (p. 18). On peut spéculer sur l’existence d’un groupe secret de ce genre, mais — sans rien exclure à ce stade — il est fort possible que, comme Breivik, Tarrant veuille faire croire à l’existence d’une structure secrète mystérieuse et à l’inscription du massacre dans un cadre plus large. C’est le mythe de puissantes organisations secrètes qui prépareraient la résistance, que cultive également une littérature circulant dans ces milieux politiques.
Cela dit, il restera à interpréter le passage plus intrigant dans lequel il prétend avoir eu « seulement un bref contact » avec Breivik, et avoir reçu alors de lui « une bénédiction pour ma mission après avoir pris contact avec ses frères chevaliers » (p. 18). Sans commenter ce rôle « légitimant » de Breivik, on se demande surtout, sur le plan pratique, comment un tel contact, même bref et indirect, aurait été possible avec Breivik emprisonné, et en plus pour recevoir son approbation, ce qui aurait signalé Tarrant à l’attention des services de sécurité. Le doute s’impose donc, tout en laissant toutes les options ouvertes, dans l’attente des résultats de l’enquête.
Pourquoi cibler des musulmans ?
Tarrant affirme donc avoir caressé l’idée d’un attentat depuis deux ans et avoir planifié son acte à Christchurch depuis trois mois environ. Vu le temps nécessaire, notamment pour rédiger son manifeste et préparer les aspects « techniques », cette seconde indication correspond probablement à la réalité. Quant au choix de la cible, il dit s’en être pris à un « groupe d’envahisseurs large et visible, qui cherche à occuper les terres de mon peuple et à remplacer ethniquement mon propre peuple » (p. 10). Il avance en outre l’argument selon lequel les musulmans sont « le groupe d’envahisseurs le plus méprisé en Occident », et que s’en prendre à eux permettra donc d’obtenir « le niveau le plus élevé de soutien » (p. 21).
La Nouvelle-Zélande n’était pas son premier choix, il l’avait vu comme un lieu où se préparer et s’entraîner, mais se rendit compte ensuite qu’il offrait des cibles. Les mosquées particulières visées l’auraient été avant tout pour des considérations tactiques.
Quant au choix d’armes à feu plutôt que d’autres techniques terroristes, il l’explique par son effet médiatique), mais aussi par son désir d’aiguiser le débat sur la détention d’armes aux États-Unis dans l’espoir de voir celui-ci aboutir à une guerre civile quand « la gauche aux États-Unis » tentera de restreindre les droits conférés par le deuxième amendement de la Constitution américaine (droit de porter des armes) (p. 11).Tarrant n’a aucun problème avec l’étiquette de terrorisme : du point de vue de la définition, « c’est un attentat terroriste ». Mais, ajoute-t-il, « je crois que c’est une action de partisan contre une force d’occupation » (p. 12). S’il survit, écrit-il, il plaidera non coupable à son procès : « action partisane contre une force d’occupation » (p. 14) Il considère les envahisseurs sans armes comme plus dangereux que les envahisseurs armés, contre lesquels il est plus aisé de se défendre (p. 43). Et s’il tue des enfants, il ne se considère pas comme un monstre qui tue des innocents :
« Les enfants des envahisseurs ne restent pas des enfants, ils deviennent des adultes et se reproduisent, créant plus d’envahisseurs pour remplacer votre peuple. (…) Tout envahisseur que vous tuez, quel que soit son âge, est un ennemi de moins auquel vos enfants devront faire face. Préférez-vous tuer, ou laisser cela à vos enfants ? à vos petits-enfants ? » (p. 22)
La déshumanisation de « l’ennemi » et la froideur presque joyeuse de Tarrant apparaissent clairement dans son comportement et sa vidéo. Son seul regret sera de ne pas « avoir tué plus d’envahisseurs, et plus de traîtres aussi » — il déclare en effet blâmer les « capitalistes » tout autant que les immigrants (p. 21). Ses victimes ne sont pas innocentes, « car tous ceux qui colonisent les terres d’autres peuples partagent la culpabilité » (p. 13). Il ne vise pas n’importe qui : il entend à tout prix éviter de s’en prendre aux policiers néo-zélandais (mais n’aurait pas eu les mêmes réserves en Europe) (p. 14), ce que montre d’ailleurs la façon dont il s’est rendu.
Il affirme avoir beaucoup voyagé et avoir été bien accueilli partout, et ne ressentir aucune haine contre les musulmans s’ils vivent dans leur pays ; « le seul musulman que je hais vraiment est le converti » (p. 12).
Quelques traits idéologiques revendiqués par Tarrant
Il n’a aucun problème non plus pour se désigner comme raciste (p. 14)[14] et pour admettre la dimension raciale et xénophobe de ses actes, en raison du lien entre races et cultures, d’une part, et taux de fertilité, d’autre part. C’est une attaque « anti-immigration, anti-remplacement ethnique et anti-remplacement culturel » (p. 13). Les musulmans sont ciblés en tant qu’immigrés, mais une dimension spécifiquement anti-islamique est reconnue : « se venger contre l’islam pour les 1300 ans de guerre et de dévastation qu’il a fait subir aux peuples d’Occident et aux autres peuples du monde » (p. 13). On remarque qu’il s’agit d’une critique de l’islam civilisationnelle et « stratégique » plus que religieuse — d’ailleurs, Tarrant lui-même donne l’impression de n’être pas très religieux[15].
Tarrant se définit comme ethno-nationaliste[16], mais pas comme nazi (« il n’existe pas de vrais nazis ») (p. 15). La lecture de plusieurs commentaires enthousiastes de personnes qui ont suivi la tuerie sur 8chan ou qui sont allés y chercher plus tard des informations et la vidéo du tueur permet de voir apparaître assez fréquemment une imagerie (néo-)nazie. De façon plus générale, le ton des commentaires sur 8chan est glaçant — au point qu’un visiteur finit par se demander s’il y a autre chose que des psychopathes se réjouissant d’un massacre sur le site (« So is there anyone on this board who isn’t a psychopath that celebrates after a mass killing? Looking pretty hard but can’t find any »), mais pour s’attirer des réponses du style : « Des musulmans ne méritent aucune sympathie », « Ils n’étaient que des cafards » ou « Je vais faire la fête ce soir. »
Tarrant accepte de se désigner comme fasciste, plus précisément éco-fasciste (p. 15), d’autant plus que l’environnement est menacé par la surpopulation, dont sont responsables les « envahisseurs », mais pas les Européens (p. 22). De façon inattendue, il ajoute que le pays le plus proche de ses valeurs politiques et sociales est… la République populaire de Chine ! (p. 15) La figure politique qu’il considère comme la plus proche de ses idées est Oswald Mosley (1896-1980), fondateur de la British Union of Fascists en 1932 (p. 16)[17].
Il donne plusieurs autre indications sur ses convictions, expliquant notamment qu’il n’est pas homophobe et qu’il soutient Donald Trump « comme symbole d’une identité blanche renouvelée », mais certainement pas comme politicien et dirigeant (p. 16). Il ne soutient pas le Front national (français), « incapable de créer un vrai changement et sans plan réel viable pour sauver leur nation » (p. 16).
Un appel au combat physique — et beaucoup d’ennemis
Après les réponses aux questions telles qu’elles ont été mises en scène par Tarrant, une suite de textes composites commence à la page 23. Il y a d’abord une section avec des « adresses à différents groupes », introduite par une version modifiée du poème de Rudyard Kipling (1865-1936) The Beginnings (« It was not part of their blood… »), dans laquelle le nom « Anglais » est chaque fois remplacé par « Saxon ». Apparemment, cette version modifiée n’est pas due à Tarrant, mais circulait sur certains sites d’extrême-droite[18].
Des textes s’adressent ensuite aux conservateurs, « qui ne croient même pas à la race » (p. 24) ; aux chrétiens, avec des propos du pape Urbain II (1042-1099) appelant à la Croisade ; aux « antifas / marxistes / communistes », face auxquels il est laconique, puisqu’il veut simplement voir « votre nuque sous ma botte » (p. 27) ; aux Turcs, qu’il invite à fuir chez eux tant qu’ils ont encore une chance de le faire, tout en les avertissant que tout minaret et toute mosquées seront détruits à Constantinople (p. 28) — car « tant que Sainte Sophie se sera pas libérée des minarets, les hommes d’Europe ne seront des hommes que de nom » (p. 30).
La section suivante offre des considérations générales et des « stratégies potentielles ». Il y a d’abord deux pages sur les viols de femmes européennes par les envahisseurs, avec une liste de liens vers des notices de Wikipedia à l’appui du propos (pp. 31-32), en concluant par une solution radicale : « Tuez les violeurs, pendez leurs familles. »
Cela continue avec une critique de la diversité, avec des réflexions sur la radicalisation des jeunes gens occidentaux face à la décadence dont ils sont les témoins, avec le constat de l’échec de l’assimilation et avec le « nationalisme vert » présenté comme seul vrai nationalisme. Mais des aspects plus pratiques sont énumérés, notamment sur quelques cibles à choisir parmi les personnalités — ou contre les élites économiques et les « marchés capitalistes globalisés » (p. 67), avec appel au meurtre contre les responsables d’entreprises qui font appel à une main d’œuvre extra-européenne (p. 48). Sans oublier les trafiquants de drogue : « Tuez votre trafiquant de drogue local. » (p. 49)
L’énumération de ces textes parfois très brefs ne présenterait qu’un intérêt limité pour la plupart des lecteurs de cet article. Ils ne font, pour beaucoup qu’élaborer un peu les thèmes déjà abordés dans les réponses aux questions. Appel à l’action, l’Europe aux Européens, union entre Européens, redressement démographique, insistance sur la dimension raciale des appartenances nationales…
Quelques points plus originaux méritent mention ici ou là, par exemple l’incitation à ne pas fuir les villes, mais au contraire à y courir, car c’est là qu’il faut combattre, tandis que les campagnes restent plus traditionnelles : il s’agit donc de « reprendre la villes » où « les marxistes ont empoisonné les institutions » et où résident les médias et les puissances économiques (p. 54).
On note aussi une critique de la fiscalité : tant que « nos nations » ne sont pas dirigées par « des hommes et des femmes loyaux à notre cause », le « refus de payer des impôts est un signe de loyauté raciale ». Il prône donc la grève des impôts versés aux « anti-Blancs », même si cela implique la prison, car « l’imposition est du vol dans un système traître » (p. 71).
Après le populaire poème Invictus de William Ernest Henley (1849-1903), Tarrant conclut avec une page récapitulative dans la même veine que le reste du volume, pas très loin d’un ton de maximes : « Il n’y a qu’une victoire, mais beaucoup de défaites », « La guerre ne sera pas facile », « Tout ce que je peux garantir est que l’inaction est la défaite certaine », etc.
Il déclare aussi ne pouvoir garantir son propre succès, mais être convaincu de la nécessité de sa cause : « sachez que j’ai tout fait pour vous ; mes amis, ma famille, mon peuple, ma culture, ma RACE. » (p. 73) Et cette note finale : « je vous verrai au Valhalla », la demeure des guerriers tombés au combat. La dernière page rassemble quelques photographies d’Européens dans des scènes rurales ou guerrières.
Un « modèle » de plus pour de futurs actes terroristes ?
Pour atteindre la victoire, il faut d’abord « accepter la mort, embrasser l’infamie » en souriant (p. 56) À travers ses appels, Tarrant se place dans une posture héroïque et construit son personnage, quelle que soit la modestie qu’il affecte par ailleurs. Il a conscience que son acte attirera l’attention de tous les médias.
Son manifeste n’aura pas une grande carrière littéraire, mais il est possible que certains passages de ce texte soient repris ici et là par des sympathisants, à la manière de slogans. Car les réactions en ligne déjà signalées montrent qu’il existe un public applaudissant de tels actes, public qui n’est certainement pas composé, la plupart du temps, de lecteurs aux fortes attentes littéraires et idéologiques, à en juger par le niveau des commentaires.
C’est d’abord l’acte lui-même qui fascine, avec l’effet multiplicateur de vidéos qui donnent le frisson malsain du massacre en direct ; les services de police tentent d’empêcher la diffusion de ces documents, mais c’est une bataille difficile, avec l’existence de réseaux sociaux parallèles qui ne réagissent pas aux injonctions de la police comme le font Facebook et Twitter. Commentant cet acte qui a fait plus de morts en peu de temps que tous les meurtres commis en une année entière sur le territoire néo-zélandais, Stratfor souligne que ce massacre entend aussi encourager des imitateurs à s’en prendre physiquement non seulement à des musulmans, mais aussi à différentes autres cibles[19]. Or, la visite de certains réseaux sociaux montre qu’il existe un milieu réagissant favorablement à de tels actes, et pas simplement aux griefs exprimés par leur auteur. Même s’il est vrai que la plupart de ceux qui l’applaudissent ne sont probablement pas prêts à risquer leur peau ou le reste de leur vie en prison pour suivre l’exemple de Tarrant…
Jean-François Mayer
Notes
- La vidéo est effarante, comme les scènes d’égorgement djihadistes, mais dans un autre genre que celles-ci, puisqu’il n’y a pratiquement pas de contact physique direct avec les victimes : le tueur agit comme s’il se trouvait dans un jeu vidéo. Il effectue plusieurs passages successifs dans la salle de prière pour s’assurer que tous ceux qu’il a abattus sont bien morts et achever ce qu’il a commencé quand il a un doute sur la survie de corps à terre. ↑
- Tout en envisageant le risque de mourir, il écrit cependant préférer survivre, à la fois pour mieux diffuser ses idées « et pour drainer les ressources de l’État par mon propre emprisonnement » (p. 13). Il estime que, comme « le terroriste Nelson Mandela », il passera vingt-sept ans en prison et recevra ensuite le Prix Nobel de la paix (on peut penser que cette observation relève de l’ironie même dans l’esprit de Tarrant), s’il n’y est pas tué avant ou se suicide si la défaite de sa cause devient évidente… (p. 18) ↑
- J.M. Berger, « The Dangerous Spread of Extremist Manifestos », The Atlantic, 26 février 2019, https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2019/02/christopher-hasson-was-inspired-breivik-manifesto/583567/. ↑
- Robert Evans, « Shitposting, Inspirational Terrorism, and the Christchurch Mosque Massacre », Bellingcat, 15 mars 2019, https://www.bellingcat.com/news/rest-of-world/2019/03/15/shitposting-inspirational-terrorism-and-the-christchurch-mosque-massacre/. ↑
- Pour l’essentiel, ce sont les 22 premières pages qui fournissent les renseignements les plus importants, bien qu’avec certains recoupements entre deux sections. Ce sont donc celles-ci qui seront citées principalement ici. ↑
- « (…) le symbole le plus emblématique du château, celui qui, à lui seul, résume l’esprit supérieur de l’Ordre, c’est l’extraordinaire roue runique de la salle des Obergruppenführer. Jusqu’à ce jour, un mystère plane quant à sa signification, sa destination et l’identité de son concepteur. Aucun document ou témoignage de l’époque n’en a donné d’explication. Les plans architecturaux ne comportent aucun dessin la représentant. (…) Malgré tout, elle gouverne la configuration de la tour dans son ensemble. Sa géométrie dynamique est un guide puissant autour duquel l’aménagement trouve son harmonie, ce qui marque son importance. » (Edwige Thibaut, Wewelsburg : histoire d’un nouveau Montsalvat, Maraye en Othe, Éd. Versipellis, 2018, p. 295) L’auteur ajoute qu’on peut penser à l’influence de Herman Wirth (1885-1981), dans les ouvrages duquel sont « illustrées des rouelles alémaniques du même style ». ↑
- Ibid., p. 297. Le thème a été repris dans le titre d’un livre de l’historien Nicholas Goodrick-Clarke (1953-2012), traduit en français sous le titre de Soleil noir : cultes aryens, nazisme ésotérique et politiques de l’identité (trad. Sébastien Raizer), Rosières en Haye, Camion Noir, 2007 ↑
- Tarrant a omis de paginer le document : les pages correspondent donc aux feuilles du PDF. ↑
- En dehors de liens vers Wikipedia, aucune source externe n’est cité, aucun site n’est recommandé. ↑
- Son texte n’est d’ailleurs pas un chef d’œuvre littéraire, quoique lisible aisément ; il contient des répétitions. Il déclare l’avoir rédigé en deux semaines avant son acte : il avait un précédent texte de 240 pages, beaucoup plus détaillé, mais qu’il dit avoir effacé dans un moment d’autocritique sur le contenu (p. 19). Attendons de voir si la police parviendra à faire « parler » son ordinateur. ↑
- On trouvera la liste complète et explication des différentes références inscrites par Tarrant sur son chargeur dans un utile panorama établi par Chris Pleasance, « New Zealand killer scrawled ‘inspiration’ for his shooting spree on his guns – from far-right murderers and historical figures to sex scandals linked to Muslims », Mail Online, 15 mars 2019, https://www.dailymail.co.uk/news/article-6812729/New-Zealand-killer-scrawled-inspiration-shooting-spree-guns.html. ↑
- Barbie Latza Nadeau, « Christchurch Mosque Shooting Suspect Used Swedish Girl’s Death as License to Kill », Daily Beast, 15 mars 2019, https://www.thedailybeast.com/new-zealand-shooting-who-was-ebba-akerlund-whose-death-mosque-shooter-used-as-pretext-for-revenge. ↑
- « Ne souffrez pas de l’illusion d’une victoire démocratique sans effort, sans risque. Préparez-vous pour la guerre, pour la violence, et préparez-vous pour le risque, la perte, la mort au combat. La force est le seul chemin vers le pouvoir et le seul chemin vers la vraie victoire. » (p. 21) ↑
- Il déclare n’avoir aucun problème avec un juif vivant en Israël « du moment qu’ils ne cherchent pas à subvertir ou à nuire à mon peuple » (p. 15). ↑
- À la question de savoir s’il est chrétien, il répond : « C’est compliqué. Je vous le dirai quand je le saurai. » (p. 14) ↑
- Cet ethno-nationalisme est pan-européen : des personnes d’origine européenne vivant dans d’autres pays peuplés par des Européens ne représentent pas un remplacement, « ils sont le même peuple, ils sont la même culture » (p. 16). ↑
- Cf. Jan Dalley, Un Fascisme anglais : 1932-1940, l’aventure politique de Diana et Oswald Mosley (trad. Laurent Bury), Paris, Éd. Autrement, 2011. Sous la plume de Rémi Trembly, le N° 14 (2018) des Cahiers d’Histoire du Nationalisme (Éd. Synthèse Nationale) est consacré à Mosley et à l’Union fasciste britannique, mais nous n’avons pas encore eu l’occasion d’en prendre connaissance. En outre, une anthologie de textes d’Oswald Mosley est annoncée chez un éditeur français pour le mois d’avril 2019. ↑
- Nous l’avons trouvée sur le site de European Americans United. Notons que cette organisation reprend après sa condamnation du massacre commis par Tarrant un commentaire publié par Greg Johnson (North American New Right) sous le titre « Understanding the New Zealand Mosque Massacre ». Ce texte se distance de la méthode utilisée par Tarrant, jugée contre-productive et conduisant ensuite à des mesures répressives entraînant des pertes supplémentaires de liberté. Tout en ajoutant : « Oui, Tarrant a commis quelque chose de mal et de stupide. Mais le motif profond de Tarrant — la crainte du remplacement de la race blanche — n’est ni irrationnelle ni folle. C’est une saine réaction à des faits objectifs. (…) Tarrant et des gens comme lui peuvent n’être rien de plus que des canaris dans une mine : les premiers à sentir la présence d’une menace pour notre survie à tous. Tarrant peut simplement avoir été anormalement sensible aux terribles conséquences psychiques de la perte de contrôle de notre société au profit d’étrangers : stress, aliénation, colère, haine, rage, etc. » ↑
- « New Zealand: A Mass Shooting Intended to Foment Copycat Attacks », Stratfor, 15 mars 2019, https://worldview.stratfor.com/article/new-zealand-mass-shooting-mosque-copycat-attacks. ↑
WITEK T. dit
Je pense comme beaucoup… mais une part de vérité validée par des propos tenus par “ces personnes” venant de l’Afrique du Nord déjà il y a plusieurs décennies, de mes oreilles entendu : “nous vous coloniserons avec le ventre de vos femmes, pas besoin d’armes..”, ces fréquences sonores résonnent encore dans ma tête du haut de mes 67 ans…!! on peut comprendre (pour certains), que compte tenu des générations côtoyant la mixité sociale depuis longtemps, la perception des valeurs s’amenuise, voire être amenée à disparaître tout simplement et remplacée par un dictat bien organisé…..
kervennic dit
Tarrant rêve. Les villes sont foutues. Ce sont les appendices pétroliers du Royaume saoudien. La résistance sera rurale.