Dimanche 27 novembre, vers 18 h 00, les forces de sécurité népalaises ont désamorcé une bombe de forte puissance, déposée à l’entrée d’une église protestante de Katmandou. L’attentat aurait été revendiqué par la Nepal Defence Army, un groupe hindou nationaliste. Le groupe a laissé sur les lieux du crime des tracts demandant le départ des chrétiens et des musulmans du Népal.
Eglises d’Asie, 28 novembre 2011 – L’engin explosif, enveloppé d’un plastique blanc, avait été placé dans un sac en tissu, et abandonné près de la porte d’entrée, ce qui avait alerté le gardien de l’église. Appartenant à la mouvance pentecôtiste des Assemblées de Dieu, l’église de Navajiwan, est située en plein cœur de la capitale.
Après avoir fait évacuer le quartier, la police a mis l’engin meurtrier hors d’état de nuire par une suite d’explosions à distance. Selon les analyses d’un spécialiste du désamorçage pour l’armée appelé sur les lieux, le sac contenait trois bombes à très haut potentiel de destruction, qui auraient causé d’énormes dégâts tant humains que matériels si elles n’avaient pas été découvertes.
Le Rév. Suman Gurung, pasteur de l’église de Navajiwan, a assuré les fidèles que la sécurité des offices et des activités ecclésiales serait renforcée: «Nous continuerons à prier, mais tout en restant vigilants. Nous allons désormais contrôler les sac de tous ceux qui viendront participer aux assemblées».
Cette tentative d’attentat s’est produite quelques jours à peine après l’explosion d’une bombe devant les locaux de l’United Mission to Nepal (UMN), une ONG chrétienne qui gère en partenariat avec l’Etat, des programmes de lutte contre la pauvreté. La bombe, de fabrication artisanale, a explosé en plein midi, le mardi 22 novembre, sans faire de victimes et n’occasionnant que peu de dégâts matériels. Très bien perçu par la population locale, qui bénéficie de ses programmes de développement, ainsi que de ses hôpitaux et ses écoles, cet organisme chrétien international fondé en 1954 n’avait jamais fait l’objet de menaces.
Les deux attentats ont été revendiqués par la Nepal Defence Army (NDA), un groupe hindouiste nationaliste qui prône le retour à la monarchie et à la religion hindoues (1). Le groupe armé extrémiste est responsable de la plupart des attaques contre les chrétiens et musulmans au Népal depuis la proclamation de la laïcité de l’Etat par la Constituante en 2006. La NDA, entre autres attaques, assassinats et autres actes terroristes, a revendiqué les attentats à la bombe meurtriers de 2008 dans la mosquée de Birantnagar et de 2009 dans l’église catholique de l’Assomption à Katmandou (2). Selon son procédé habituel, la NDA a laissé sur les lieux du crime des tracts demandant le départ des chrétiens et des musulmans du Népal, accusant de plus l’UMN d’effectuer des conversions forcées d’hindous au christianisme.
Le P. Pius Perumana, pro-vicaire catholique du Népal et directeur de la Caritas locale, a pressé les autorités d’agir rapidement et fermement pour protéger les chrétiens: «J’espère que le gouvernement a bien pris conscience de ce qui s’est passé, et pris les mesures nécessaires contre les responsables de ces crimes ainsi que des autres attaques qui se produisent [actuellement] à l’encontre des minorités du Népal».
Après ces deux incidents rapprochés, le Rév. Gurung, accompagné d’autres responsables de communautés chrétiennes dont deux catholiques, a rencontré le 28 novembre les forces de police afin de mettre en place un dispositif de sécurité à l’approche des fêtes de Noël. «Nous craignons que d’autres attaques se produisent à cette occasion, confirme Chirendra Satyal, porte-parole de l’église catholique de l’Assomption. Les célébrations rassembleront beaucoup plus de croyants et nos Eglises n’ont pas les moyens d’assurer leur sécurité.»
Quant à la National Christian Federation of Nepal, qui regroupe plusieurs dénominations protestantes, elle a remis au Premier ministre Baburam Bhattarai, leader maoïste fraîchement élu, un memorandum recensant les dernières attaques antichrétiennes. Parmi elles, l’attentat à la bombe contre l’UMN ainsi que celle, ce même 22 novembre, menée par tout un village contre deux chrétiens évangéliques du district de Sindhupalchowk, situé dans la partie nord-est du pays (3).
«Bien que le Népal ait été déclaré Etat laïque il y a cinq ans, la persécution envers les chrétiens en cesse de croître», constate le Rév. Chandra Shrestha, pasteur de la Nepali Evangelical Church à Bhaktapur, une ville proche de la capitale. Le mois dernier, lors de la grande fête de Dasain (4), l’un des lieux de culte de son Eglise établi dans un district du centre du Népal, a été détruit par une foule d’hindous en colère. Les assaillants, rapporte le pasteur, ont molesté une demi-douzaine de chrétiens dont le pasteur qui sortait d’une grave opération. Le prétexte invoqué lors de l’émeute était que les chrétiens avaient refusé de participer aux festivités hindoues, préférant se rassembler pour deux jours de session. Selon les témoins, ni la police ni les autorités locales ne sont intervenues. «Les ennuis [des chrétiens] ont commencé quand plusieurs personnes sont devenues chrétiennes après avoir cessé de boire grâce à la prière, explique le Rév Shrestha (…) C’est un village très pauvre, avec un fort taux d’analphabétisme et la mafia qui gère le trafic d’alcool y est très puissante». Pour le pasteur, l’attaque a «de fortes chances d’avoir été manigancée par ces trafiquants, avec la complicité des autorités locales qui traitent les chrétiens comme des citoyens de seconde zone».
Un avis partagé par l’ensemble des chrétiens mais aussi des autres minorités religieuses, qui s’inquiètent de l’influence grandissante des mouvements extrémistes au sein des institutions d’Etat, alors que le Népal est toujours dans l’attente de sa Constitution, dont le délai de remise par la Constituante vient d’être repoussé à six mois supplémentaire, pour la quatrième fois (5).
«Il est évident que leaNDA tire avantage de l’instabilité politique du pays», analyse le P. Perumana, qui rappelle que, sous la pression des hindouistes, une loi anti-conversion a failli être votée cet été en plein débat sur la laïcité de l’Etat au Parlement, un principe pourtant acquis depuis 2006, tandis que se multipliaient les attaques et les menaces envers les minorités religieuses (6).
En apprenant que le gouvernement avait entamé des négociations avec la NDA, lui proposant de bénéficier d’une amnistie si le groupe terroriste rendait les armes, les chrétiens avaient vu leurs craintes redoubler (7). A la lumière des deux récents attentats, cette impunité suscite l’indignation des Eglises. «En proposant l’amnistie aux membres du NDA, le gouvernement choisit délibérément de sacrifier les vies de citoyens népalais», a déclaré le P. Chirendra Satyal, le 28 novembre.
Notes
(1) Jusqu’en 2006, l’hindouisme était la religion officielle du royaume du Népal. Avec l’établissement d’un Etat laïque en 2006, le droit à la liberté de religion et de culte a été reconnu par la Constituante, en attendant d’être régularisé officiellement par la Constitution définitive.
(2) L’attentat à la bombe dans l’église catholique de l’Assomption à Katmandou en 2009 avait fait trois morts et des dizaines de blessés.
(3) Le 22 novembre dernier, les habitants de Danchhe, un village tamang majoritairement bouddhiste, ont attaqué deux frères appartenant à une Eglise évangélique, lors d’une célébration se tenant à leur domicile. Armés de poignards et de bâtons, les villageois ont pris d’assaut la maison et tenté de lapider Panchman Tamang, 45 ans, instituteur dans le district et Buddhiman, paysan d’une cinquantaine d’année. Si Panchman a réussi à s’enfuir, son frère aîné, a été laissé pour mort, baignant dans son sang. Il a pu être emmené inconscient à l’hôpital par son frère revenu le chercher plus tard dans la nuit.
(4) Dasain, fête la plus importante du Népal, célébre la victoire de la redoutable déesse Durga-Kali sur les forces du mal, faisant pendant une dizaine de jours alterner sacrifices sanglants et festivités familiales.
(5) Le dernier délai de restitution des travaux de la Constituante avait été fixé au 30 novembre prochain. Le Premier ministre nouvellement élu, Baburam Bhattarai, s’était engagé personnellement à ce que cette fois, il n’y ait plus de nouveau report. Voir dépêche EDA du 4 novembre 2011.
(6) La proposition d’amendement du code pénal (article 160) prévoyait de sanctionner toute tentative de conversion ou de détournement de la religion hindoue «par quelque moyen que ce soit» par une amende de 50 000 roupies (soit 485 euros) et cinq ans de prison. La même sanction était prévue pour tout abattage de bovin afin d’en consommer la viande, une pratique interdite par l’hindouisme. Les minorités religieuses s’étaient mobilisées pour empêcher le vote, avant la date butoir de remise de la constitution, prévue alors pour le 31 août 2011. Leurs leaders avaient rappelé au gouvernement qu’il s’apprêtait à violer les fondements constitution provisoire sur laquelle s’appuyait la république népalaise, dont la liberté religieuse et la laïcité de l’Etat. Voir dépêche EDA du 22 août 2011.
(7) Début 2011, la police s’était aperçue que le chef de la NDA, Ram Prasad Mainali poursuivait son activité criminelle depuis la prison où il était incarcéré depuis l’attentat de 2009. Plusieurs de ses complices avaient été arrêtés et avaient avoué préparer des attentats de grande envergure selon les instructions de leur leader. A la même époque, la NDA s’était mis à menacer les chrétiens de nouvelles attaques, se déclarant protégée par le gouvernement qui l’avait autorisé à se constituer en parti politique légal et menait des négociations avec lui. Dans une déclaration le 29 août, Mgr Anthony Sharma avait fortement réagi: «Nous avons été très patients (…) mais avec cette mauvaise nouvelle [les négociations entre l’Etat et la NDA], nous nous sentons vraiment une minorité de ‘sans-voix’». Voir dépêche EDA du 30 août 2011.
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