Le 28 août 2007, l’Animal Rights Militia (ARM) revendiquait sur le site Bite Back Magazine deux actions contre l’entreprise pharmaceutique Novartis, basée en Suisse. La lutte contre cette entreprise, considérée comme cliente d’Huntingdon Life Sciences – le principal laboratoire de vivisection en Europe – est structurée sur plusieurs niveaux, allant de l’action à grande échelle à des actions plus individuelles. Ce sera aussi l’occasion de rappeler les spécificités de l’Animal Rights Militia et les éléments qui distinguent ce groupe de l’Animal Liberation Front.
1. ARM : empoisonnement et canulars
Dans ses deux communiqués, publiés le 28 août 2007 sur le site Bite Back Magazine, l’Animal Rights Militia annonçait avoir empoisonné 85 bouteilles de produits ophtamologiques en France ainsi que 250 tubes d’un produit antiseptique en Grande-Bretagne, fabriqués tous deux par l’entreprise pharmaceutique Novartis, dont le siège se trouve en Suisse, dans la région de Bâle.
Dans ses communiqués, l’Animal Rights Militia annonçait vouloir donner à Novartis un avant-goût des douleurs endurées par les animaux dans les laboratoires d’Huntingdon Life Sciences – principal laboratoire d’expérimentation animale en Europe et client supposé de Novartis. Même si les entreprises pharmaceutiques responsables ont annoncé avoir retiré leurs produits du marché, il s’agit probablement ici d’un canular. En effet, ce n’est pas la première fois que l’ARM a recours à la tactique du faux empoisonnement.
Dans une des premières actions revendiquées sous le nom d’ARM en 1984, les activistes avaient annoncé avoir empoisonné des barres de chocolat pour manifester contre les expérimentations pratiquées sur des animaux par l’entreprise qui les produisait. L’ARM annonça quelques semaines plus tard qu’il s’agissait canular. La compagnie renonça à ses expérimentations, non sans avoir essuyé d’importantes pertes financières suite au retrait de son produit.
Outre d’autres canulars (parmi lesquels une action similaire au Canada en 1992, qui coûta à des producteurs de barres de chocolat plusieurs millions de dollars), l’ARM s’est mise en évidence par deux actions spectaculaires ces dernières années: le 6 octobre 2004, en Angleterre, des activistes profanaient la tombe de la belle-mère d’un des propriétaires de la ferme de Darley Oaks qui fournissait des cobayes à Huntingdon Life Sciences.
Son corps ne fut retrouvé qu’après que la ferme eut cessé ses activités.
Le 14 décembre 2006, les activistes de l’ARM annonçaient avoir contaminé 487 bouteilles de jus de fruit aux Etats-Unis pour protester contre les expérimentations de privation d’oxygène menées par l’entreprise sur des souris nouvelles-né. Un mois plus tard, l’entreprise responsable annonçait mettre un terme à ses expérimentations, alors qu’il semble que l’action ait été une nouvelle fois un canular.
La motivation des activistes à revendiquer des canulars est ici relativement claire. Il s’agit simplement de causer des dommages économiques à ces entreprises: le retrait de certains produits du marché est extrêmement coûteux (comme dans le cas du producteur de barres de chocolat au Canada qui perdit plusieurs millions de dollars, suite au retrait de son produit). A long terme, ces dommages visent à forcer les entreprises à abandonner leurs expérimentations sur les animaux, les coûts devenant trop importants.
2. ALF et ARM: différences idéologiques
Alors que la plupart des mouvements politiques violents fonctionnent autour d’une hiérarchie qui offre une ligne idéologique et un contrôle opérationnel, les factions radicales du mouvement de libération animale s’organisent autour du principe de «résistance sans leader». Ainsi, contrairement à des mouvements violents plus classiques, ce sont un ensemble de règles qui donnent au mouvement son identité et son orientation idéologique. Ces règles sont les suivantes:
1. LIBÉRER les animaux des endroits où ils sont maltraités, c’est-à-dire des laboratoires, des fermes industrielles, des élevages de fourrure, etc., et les placer dans des domiciles accueillants où ils peuvent vivre leur vie naturelle, à l’abri de la souffrance.
2. INFLIGER des dommages économiques à ceux qui profitent de la misère et de l’exploitation des animaux.
3. PRENDRE toutes les précautions nécessaires pour ne pas blesser d’animal, qu’il soit humain ou non-humain
4. RÉVÉLER les horreurs et les atrocités commises contre les animaux enfermés à l’abri des regards, en accomplissant des actions directes non-violentes et des libérations.
Au niveau des mouvements radicaux de libération animale, il faut distinguer ici entre les activistes qui respectent ces règles et revendiquent par conséquent leur actions sous la bannière de l’Animal Liberation Front (ALF) et les activistes qui ne respectent pas toutes ces règles ; ceux-ci revendiquent alors leurs actions sous le nom d’ «Animal Rights Militia» ou de «Justice Department», la différence fondamentale résidant dans le respect, ou non, de la troisième règle. Comme le dit Robin Webb, porte-parole de l’ALF: «Et si quelqu’un désire agir comme un membre de l’Animal Rights Militia ou du Justice Departement? Tout simplement, la troisième règle de l’ALF n’est plus valable» (No Compromise, N° 22, automne 2003).
Il faut relever ici que les actions de l’ARM ou du Justice Department ne représentent qu’une minorité des actions du mouvement radical de libération des animaux, la plupart étant revendiquée sous le label de l’ALF. De plus, d’un point de vue idéologique, on note que, même au sein du mouvement radical, le non-respect de la troisième règle est condamné par la majorité des activistes. On peut illustrer ce point par une polémique entre Jerry Vlasak, porte-parole du Front de Libération Nord Américain (North American Animal Liberation) et le comité éditorial de No Compromise, un magazine centré autour des activistes de l’ALF et de leurs actions. Dans un entretien accordé à la chaîne CBS, Vlasak avait declaré que l’assassinat de personnes pratiquant la vivisection pouvait être justifié. Il avait alors été violemment attaqué par le comité éditorial de No Compromise, qui se demandait dans quelle mesure celui-ci pouvait parler pour l’ensemble de l’ALF qui évitait la violence (No Compromise, N° 29, hiver/printemps 2006, pp. 18-19). De plus, No Compromise demanda à Vlasak de ne plus faire de commentaires au nom de l’ALF et de groupes qui rejettent la violence contre les êtres humains.
3. Une stratégie sur plusieurs niveaux
Outre le canular d’empoisonnements revendiqué le 28 août 2007, on a observé une intensification de la stratégie de l’ALF contre Novartis ces derniers mois. Celle-ci est fondée sur plusieurs tactiques: d’une part, des actions à large échelle, comme les (faux) empoisonnements, mais également une série d’actions moins radicales qui touchent l’entreprise et ses filiales dans le monde entier. Ainsi, depuis le début 2007, on a recensé sur le site www.shac.net [ce site n’existe plus,mais on trouve des copies sur Internet Archive, par exemple ici pour l’année 2007 – 21.06.2016] plus de 40 manifestations à travers le monde contre l’entreprise (Croatie, Italie, Etats-Unis, Pays-Bas, Allemagne, Grande-Bretagne, Belgique, France, Australie, Suisse, Russie, Suède).
On observe également des actions à une échelle individuelle contre des cadres de l’entreprise, en particulier en Suisse, dans la région de Bâle. Ces actions individuelles ont un impact important sur la structure des actions en Suisse: alors que dans la plupart des autres pays, les actions de sabotage et de vandalisme représentent la majorité des actions, les home visits (ou «visites à domicile») chez des cadres des entreprises pharmaceutiques représentent près de 35 % des actions totales. Ainsi, sur 104 actions revendiquées entre 2003 et 2007, 36 relevaient de la catégorie des home visits. De plus, sur ces 104 actions, une trentaine d’actions avaient eu lieu dans la région de Bâle, qui accueille le siège de plusieurs multinationales actives dans le domaine pharmaceutique.
Conclusion
Malgré les menaces d’empoisonnement de produits fabriqués par le groupe pharmaceutique Novartis, il est fort probable que la récente action de l’Animal Rights Militia en France et en Grande-Bretagne ait été un canular, comme à de nombreuses reprises par le passé. Il n’est pas impossible qu’à l’avenir, l’Animal Rights Militia ait à nouveau recours à ce genre de procédés, extrêmement coûteux pour les entreprises pharmaceutiques.
Affaire à suivre.