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Comprendre la violence politique dans les années 1960: un film documentaire sur le Weather Underground

24 novembre 2005 Par Jean-Marc Flükiger

Contrairement à ses habitudes, Terrorisme.net publie ici une recension d’un film documentaire, The Weather Underground (de Sam Green et Bill Siegel, 2003, États-Unis). Nominé dans plusieurs festivals, ce documentaire propose une excellente introduction à un mouvement politique violent méconnu, le Weather Underground, né du mouvement estudiantin américain Students for a Democratic Society (SDS), qui a enflammé les campus des universités américaines durant les années 1960.

Mélangeant images d’archives et interviews récentes des principaux protagonistes du Weather Underground (Bernardine Dohrn, Mark Rudd, Brian Flanagan, David Gilbert, Bill Ayers, Naomi Jaffe; le groupe était composé de 20 à 30 membres), de leurs critiques (David Gitlin, ancien président du SDS) et d’un membre d’une unité du FBI spécialisée dans la chasse aux Weathermen (Don Strickland, ancien membre du FBI), ce film donne également une image des événements qui ont déchiré l’Amérique durant les années 1960.


1. Guerre du Vietnam

191_wu_1_posterLa guerre du Vietnam constitue l’un des éléments principaux qui ont provoqué l’apparition du Weather Underground. Ainsi Mark Rudd, qui a organisé des manifestations à la Columbia University dans les années 1960, déclare «notre pays était en train d’assassiner des millions de gens. En réalité, le chiffre se situe à quelque part entre trois et cinq millions de personnes. Cette révélation représentait plus que ce que nous pouvions supporter. Nous ne savions quoi faire, c’était un fait trop énorme. Il n’est pas passé une seconde, entre 1965 et 1975, sans que je sois conscient que notre pays était en train d’attaquer le Vietnam (…)».

Les troubles sociaux américains n’étaient cependant pas uniques: dans un contexte plus global, l’ensemble du monde qui semblait au bord de la révolution.

Naomi Jaffe

Naomi Jaffe

Naomi Jaffe, une militante déclare que «si vous regardez en arrière, vous verrez une bande jeunes vagabondant en train de hurler que la révolution était en train d’arriver. Ca peut paraître complètement débile. Et ça l’était. Mais ces événements trouvaient leur place dans une période de révolution qui touchait le monde entier. Il me semblait que nous entrions dans une incroyable période de révolution. Je ne voulais pas la manquer, je voulais en faire partie». On reproche souvent aux groupes politiques violents leur lecture déformée et détachée de la réalité. Par une suite d’images de différents foyers de lutte (Angola se bat pour se libérer de la domination portugaise, les étudiants manifestent en France, les Vietnamiens tiennent tête à la nation la plus puissante du monde) autour du globe et des propos des différents protagonistes, le film rend plausible cette perception flouée de la réalité.


2. Juin 1969: convention de l’organisation Students for a Democratic Society à Chicago

Alors que l’organisation Students for a Democratic Society – un mouvement estudiantin américain opposé à la guerre du Vietnam – avait atteint son apogée en terme de représentativité et de pouvoir (plus de 100’000 membres dans tout le pays) cette année-là, la convention de 1969 fut marquée par une profonde crise: entre les partisans de solutions plus musclées (beaucoup de militants avaient le sentiment que les méthodes non-violentes de manifestation n’avaient rien apporté) et les partisans de solutions plus classiques, les Weathermen prirent la direction de l’organisation. Selon Tod Gitlin, un ancien président de SDS, il ne s’agissait rien d’autre que d’une «piraterie organisationnelle».

SDS était né au début des années 1960 et avait été fortement influencé pour le mouvement non-violent pour les libertés civiles. Les «Weatherman» (girouette) tiraient leur nom d’une chanson de Bob Dylan, «You don’t need a weatherman to know which way the wind blows» («Il n’est pas nécessaire d’avoir une girouette pour savoir dans quel sens le vent souffle»). Pour ses membres, il était évident que la révolution mondiale était en marche et qu’une girouette n’était pas nécessaire pour voir que soufflait un vent qui détruirait bientôt le système en place; que ce soit aux États-Unis avec les Black Panthers, en Amérique du Sud et au Vietnam, la révolution arrivait. Selon les Weathermen, le SDS devait également devenir partie intégrante de celle-ci en enrôlant des jeunes blancs pour se battre. Le but était donc de transformer une jeunesse blanche privilégiée et pacifiste en une troupe violente, pendant des Black Panthers aux États-Unis.

Pour préparer la révolution, les membres de l’organisation créèrent durant l’été 1969 de nombreuses communautés – généralement au sein de milieux ouvriers pour pouvoir également les organiser – à travers les États-Unis qui devaient devenir la future armée révolutionnaire.


3. «Days of Rage», explosion à New York: escalade de la violence

En été 1969, les Weathermen organisèrent à Chicago les «Days of Rage» (jours de colère) un nouveau type de manifestation violente contre la guerre du Vietnam. Alors que les organisateurs attendaient plusieurs milliers de personnes, seuls 200 à 300 se déplacèrent. Ceux-ci saccagèrent le quartier nord, le plus riche de Chicago, ce qui provoqua une condamnation simultanée de la part des Black Panthers et du reste de la gauche estudiantine.

L’isolation du reste de la gauche estudiantine ressentie après les «Days of Rage», la poursuite de la guerre du Vietnam, les exactions commises par les Américains à My Lai (dont les photos firent le tour du monde) radicalisèrent encore un peu plus le mouvement: les Weathermen étaient maintenant prêts à tuer.

Mark Rud

Mark Rud

Selon Mark Rudd, «à ce moment, dans notre réflexion, il n’y avait plus d’Américain innocent, du moins pas parmi les Blancs. Ils jouaient tous un rôle dans les atrocités du Vietnam, même si ce n’étaient que les rôles passifs que sont l’ignorance, l’acquiescement et l’acception de leurs privilèges. Ils étaient tous coupables: tous les Américains constituaient des cibles légitimes pour être attaquées». A lire ces propos – le fait de ne plus considérer la culpabilité ou l’innocence d’individus mais des systèmes politiques (nations) dans lesquels ceux-ci vivent – on peut se demander quelle est la différence avec des groupes terroristes actuels (Al Qaïda, par exemple) qui ont également adopté ce même mode de réflexion.

Sous la direction de Terry Robbins, un groupe autonome de New York avait décidé de passer à l’action et de faire exploser une bombe lors d’un bal des officiers à Fort Dix. Le 6 mars 1970, alors qu’ils terminaient la bombe, un court-circuit la fit exploser, tuant trois Weathermen (dont Terry Robbins). Pour ce dernier «(…) il était trop tard pour une quelconque réconciliation dans ce pays et le mieux que nous pouvions faire était de provoquer une série d’actions catastrophe (…)». L’explosion provoqua la prise de conscience du FBI du danger que constituaient les Weathermen et initia une nouvelle approche à leur égard (ainsi par exemple, Bernardine Dohrn fut placée sur la liste des 10 personnes les plus recherchées par le FBI).

Bernardine Dohrn

Bernardine Dohrn

Après l’explosion, une partie des membres des Weathermen plongèrent dans la clandestinité, ce qui marque le début du Weather(men) Underground. L’explosion ne provoqua pas seulement le début du Weather Underground, mais également une prise de conscience par ses membres que la voie sur laquelle ils avaient voulu s’engager était fausse. Ainsi Bill Ayers déclare qu’«une terrible erreur avait été commise et il était inconstestablement faux de libérer une violence indiscriminée contre des gens ordinaires, ce qui était en fait du terrorisme (…)». Dès ce moment, le Weather Underground prit un soin méticuleux à ne blesser personne. Malgré la multiplication des attentats, cette stratégie fut couronnée de succès.

On peut citer les actions suivantes: 28 février 1971 attaque à la bombe contre le Capitole pour protester contre l’invasion du Laos; 28 août 1971, une bombe explose dans les bureaux de l’administration pénitentiaire à San Francisco suite à la mort de Georges Jackson («connu aussi sous le nom de «Soledad Brother»), un leader du mouvement carcéral;28 septembre 1973 attaque à la bombe du siège principal de ITT à New York en réponse au coup d’État au Chili; 28 janvier 1975, le Département d’État en réponse à l’escalade du conflit au Vietnam.


4. La fin du Weather Underground

A la fin de la guerre du Vietnam en 1975, de nombreux membres du Weather Underground focalisèrent leur énergie vers l’intérieur du mouvement qui commença à s’entre-déchirer et à s’effondrer sur lui-même. Selon Mark Rudd «la plupart des organisations de gauche, lorsqu’elles atteignent le moment où elles ne sont plus pertinentes, se tournent contre elles-mêmes et s’entre-tuent. Et c’est à peu près ce qui est arrivé». Certains membres commencèrent à se rendre à la police. Bernardine Dohrn, l’une des figures de proue du mouvement, ne se rendit que 5 ans après la fin de la guerre du Vietnam, en 1980. Mais peu de membres furent condamnés du fait des méthodes illégales utilisées par le FBI contre le groupe et d’autres (par exemple les Black Panthers).

Brian Flanagan

Brian Flanagan

En guise de conclusion, les membres du Weather Underground tirent un bilan de leur activité violente. A cet effet, on retiendra particulièrement les propos de Brian Flanagan, qui s’exprime sur le terrorisme actuel (le film a été tourné après les attentats du 11 septembre): «si vous pensez être du bon côté d’un point de vue moral, vous vous trouvez alors dans une position très dangereuse qui pourrait vous inciter à faire des choses horribles. Vous le voyez en ce moment avec ces terroristes qui pensent qu’Allah ou l’histoire est de leur côté (…). C’est une position éthique dangereuse à laquelle nous avons succombé et qui fut causée par la guerre du Vietnam. Je crois que la guerre du Vietnam nous a tous rendu un peu cinglés».

Ce propos invite à la réflexion: peut-on considérer le Weather Underground comme un groupe terroriste parce qu’il a succombé à une position éthique qui ne reculait pas devant le meurtre de civils – même s’il n’a jamais fait de victimes (si ce n’est les trois Weathermen tués dans l’explosion de New York)? Ou bien le fait de n’avoir jamais tué d’innocents disculpe-t-il le mouvement du prédicat de «terroriste»? Une intention que l’on pourrait qualifier «d’observable» (que l’on peut constater objectivement par la construction d’une bombe, par exemple) est-elle déjà terroriste?

Incontestablement, dans leurs bilans, les anciens Weathermen répondent de différentes manières à ces questions. Naomi Jaffe, par exemple, serait prête à le refaire: «je le referais, dans un contexte révolutionnaire (…). Je voudrais en faire partie. C’était une opportunité précieuse. Je crois que le monde n’était pas loin de changements majeurs.»
Mark Rudd, quant à lui, est réticent à parler de ses expériences du fait de ses sentiments de culpabilité et de honte: «ce sont des choses dont je ne suis pas fier et je trouve difficile d’en parler en public».


Conclusion

Même si le support audiovisuel ne peut prétendre à la précision conceptuelle d’un ouvrage scientifique sur le sujet, le film de Sam Green et Bill Siegel offre une réflexion stimulante sur la période des années 60 à 80 aux États-Unis et l’un de ses groupes politiques violents, le Weather Underground. Le fait que le mouvement n’ait jamais fait de victimes (si ce n’est les trois membres tués à New York par l’explosion de la bombe qu’ils étaient en train de fabriquer) en fait un cas limite qui a également des ramifications pour le présent. Le Weather Underground ne nous renvoie-t-il pas au Front de Libération Animale (ALF) et aux questions auxquels il nous confronte: contrairement à ce que prétend le FBI (qui le considère comme un mouvement terroriste), un groupe qui prend soin d’éviter de tuer des civils/ non-combattants peut-il ou doit-il être considéré comme terroriste?

Le film n’offre évidemment pas de réponse univoque à la question de la nature terroriste (ou non) du Weather Underground. Pourtant, il constitue un instrument pertinent pour entamer et développer cette réflexion et développer notre connaissance pour les groupes actuels.

Jean-Marc Flükiger


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