Quelles menaces réelles représente le terrorisme aujourd’hui? Comment sanctionner les auteurs, commanditaires et financiers tout en respectant un juste équilibre entre la réparation due aux victimes et la sauvegarde des droits et des libertés de chacun? Qu’en est-il de la coopération européenne et internationale? Réalisé par S.O.S. Attentats, sous la direction de Ghislaine Doucet, un ouvrage aux contributions solidement documenté dresse un véritable état des lieux.
Même s’il ne fera sans doute pas la une des journaux, ce livre est un événement pour tous ceux qui s’intéressent aux phénomènes terroristes et à la lutte contre ceux-ci. Ce n’est pas tous les jours, en effet, que sort des presses un volume en français de plus de 500 pages consacré au terrorisme, rassemblant les contributions de quarante experts. Ce volume paraît en outre également en anglais, tandis que les versions italienne et espagnole sont accessibles en ligne sur le site de S.O.S. Attentats.
Cette publication est différente de la plupart de celles qui ont vu le jour ces dernières années. Il se concentre principalement sur des questions de droit, ce qui est d’une importance cruciale dans le contexte actuel, afin de développer une réponse qui dépasse les réactions émotionnelles. Les visiteurs du site Terrorisme.net se souviennent sans doute d’avoir lu il y a quelques mois l’entretien riche en informations et en réflexions qu’avait bien voulu nous accorder Françoise Rudetzki, déléguée générale de S.O.S. Attentats, et se souviennent sans doute de l’accent constamment mis par celle-ci sur le droit. Rien d’étonnant si cette ligne directrice et ce souci à la fois pour les victimes et pour la justice se retrouvent dans le livre qui vient de paraître, qui a bénéficié du partenariat de l’Irish Centre for Human Rights de Galway (Irlande) et de l’Institut supérieur international de sciences criminelles de Syracuse (Italie).
C’ est un précieux dossier, indispensable à tout juriste s’intéressant au terrorisme, mais aussi à des questions comme les droits des victimes, les crimes contre l’humanité, l’immunité des chefs d’Etat – et le droit international en général. Mais il faut souhaiter que cet ouvrage atteigne aussi d’autres catégories de lecteurs: même si certains passages sont techniques, ils restent accessibles à tout lecteur cultivé et bien des thèmes abordés méritent l’attention non seulement des experts en matière de terrorisme, mais de tout citoyen.
Il convient aussi de remarquer et de saluer une approche qui n’est nullement hexagonale: c’est légitimement que le programme GROTIUS-II de la Commission européenne a apporté un appui financier à cette publication, dont la perspective est résolument internationale, passe en revue la situation des différents pays européens et nous ouvre même quelques perspectives sur l’Afrique.
L’avant-propos du professeur Cherif Bassiouni, Président de l’Institut international des droits de l’homme (Chicago), de l’Association internationale de droit pénal (Paris) et de l’Institut international de sciences criminelles (Syracuse, Italie), définit bien le cadre de l’ouvrage:
“L’histoire du droit, dans toutes les grandes familles de droit tout au long de l’Histoire, témoigne de l’effort de toutes les civilisations fondées sur un Etat de droit afin que la responsabilité soit établie à partir de l’acte et ses conséquences, et non pas sur sa justification politique. C’est dans cette perspective qu’il faut mesurer la nature criminelle de l’acte, même si le mobile de l’auteur se rattache à de plus hautes valeurs, car celles-ci ne pourraient survivre à l’anarchie que créerait une telle justification envers un acte criminel. Notre civilisation doit donc rejeter la violence contre les innocents, dans toutes ses formes et commise par quiconque, à moins de vouloir retomber dans la barbarie où la force prévaut à l’encontre des valeurs humaines.”
Les événements du 11 septembre 2001 ont accéléré les processus de création d’instruments juridiques pour répondre au terrorisme, et l’un des auteurs constate qu’ils ont bouleversé la donne en matière juridique de lutte contre le terrorisme. Mais la réaction doit être adéquate si elle ne veut pas mettre en péril les principes mêmes qui fondent les sociétés que l’on entend défendre: cette préoccupation est exprimée dans les contributions de plusieurs auteurs, qui entendent réaffirmer les principes de l’Etat de droit: “Si les droits de l’accusé sont sacrifiés pour un intérêt dit supérieur, un des piliers de l’Etat de droit – et non des moindres – s’effondre: la procédure pénale ne pourra plus jouer son rôle de garant de la séparation des pouvoirs” (p. 119). Les garanties de l’Etat doivent rester les mêmes quel que soit le crime: l’on ne s’étonnera donc pas de trouver dans ces pages également un chapitre sur le “trou noir judiciaire” des détenus de Guantanamo, à partir de l’exemple de la situation de détenus français et des démarches entreprises par les familles de ceux-ci.
Outre un état des lieux de la législation des pays de l’Union européenne et de la coopération judiciaire internationale, plusieurs chapitres abordent la question de la qualification du terrorisme en droit pénal international. Une question importante est notamment celle de l’usage de la notion de crimes contre l’humanité. Jusqu’à présent, celle-ci implique une certaine forme d’intervention étatique, ou en tout cas d’entités “de type étatique” (conflit de l’ex-Yougoslavie). Plusieurs juristes estiment que le recours au concept de crimes contre l’humanité n’est opportun que là où des atrocités risqueraient sinon d’échapper à toute poursuite, ce qui n’est pas le cas du terrorisme. D’autres intervenants estiment en revanche qu’un tel développement est nécessaire, en particulier pour éviter que des chefs d’Etat, par exemple, puissent échapper à des poursuites pour actes terroristes. Dans cette perspective, il conviendrait d’inclure le terrorisme dans la compétence de la Cour pénale internationale.
Cela conduit à consacrer plusieurs chapitres à la question de la responsabilité pénale et de l’immunité des dirigeants, “entre justice et diplomatie“. A l’origine de ce volume, les animateurs de S.O.S. Attentats ont fait l’expérience des difficultés pour obtenir justice dans le cadre de l’affaire du DC10 UTA (attentat commandité par la Libye) et se montrent donc particulièrement sensibles à cette dimension. Les différentes contributions à ce sujet offrent un bon aperçu d’ensemble de la question.
Le volume contient également quelques chapitres non juridiques, portant sur des thèmes tels que la gestion des risques, le terrorisme à fondement religieux, l’éventualité d’un recours à des armes de destruction massive ou les dimensions criminologiques et victimologiques.
Toute bibliothèque offrant un choix de livres sur le terrorisme se doit d’y ajouter ce volume, qui complétera fort utilement les descriptions du phénomène ou études de cas.
S.O.S. Attentats, Terrorisme, victimes et responsabilité pénale internationale, Paris, Calmann-Lévy, 2003 (546 p.)
Pour information, veuillez trouver ci-dessous la table des matières du livre Terrorisme, victimes et responsabilité pénale internationale.
CHAPITRE I : LE DROIT FACE AU TERRORISME
Section 1 : Terrorisme, menaces actuelles
Risques, terrorisme et sociétés : nouveaux enjeux, Patrick Lagadec, Directeur de Recherche à l’Ecole Polytechnique (Paris) et membre du Governing Council de l’European Crisis Management Academy
Terrorisme et armes de destruction massive, Corinne Lepage, Avocat au Barreau de Paris, ancien ministre, Professeur à l’Institut d’Etudes Politiques, Présidente de CAP 21
Terrorisme et religion : Continuités et mutations de la violence politique, Jean-François Mayer, Historien suisse, chargé de cours à l’Université de Fribourg, rédacteur en chef des sites web terrorisme.net et religioscope.info
Islam, laïcité et terrorisme ou la question de la légitimité du recours à la force au nom de l’Islam, Abdoullah Cisse, Doyen et Professeur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénagal)
Etat de la menace terroriste islamiste, Jean-François Ricard, Premier Juge d’Instruction, Tribunal de Grande Instance de Paris
Section 2 : Sanctionner le terrorisme, un défi pour le XXIe siècle
- Sanctions et coopération internationale
La coopération européenne, Denise Sorasio, Directrice Sécurité et Justice Pénale, Relations extérieures et élargissement, Commission européenne, Direction générale Justice et Affaires Intérieures
La coopération judiciaire européenne dans la lutte contre le terrorisme, Frédéric Baab, Magistrat de liaison à Berlin, ministère français de la Justice, mis à disposition du ministère français des Affaires étrangères
Les Nations Unies et la lutte contre le terrorisme. Aspects juridiques et pénaux, Jean-Paul Laborde, Chef du Service de prévention du terrorisme Office des Nations unies contre la drogue et le crime
Le terrorisme : cadre juridique au plan de l’Union Africaine, Roch Gnahoui David, Maître de conférences Agrégé des Facultés de Droit – UCAD Dakar, Sénégal
- Aspects sécuritaires et droits de l’Homme : un juste équilibre entre le droit des victimes et les droits de la défense
La procédure pénale appliquée aux infractions terroristes : droit commun ou régime particulier ? William A. Schabas, Professeur de droit, National University of Ireland, Galway, Directeur Irish Centre for human Rights et Clémentine Olivier, Doctorante en droit, National University of Ireland, Boursière à l’Irish Centre of Human Rigts de Galway
Reconnaissance internationale des droits des victimes, Cherif Bassiouni Professeur de Droit, Président de l’Institut International des Droits de l’Homme, Faculté de droit de l’université De Paul, Président de l’Institut supérieur international de Sciences Criminelles, Président de l’Association Internationale de Droit Pénal
Les détenus français à Guantanamo : un trou noir judiciaire, William Bourdon, Avocat, Barreau de Paris
Inter arma silent leges, Eileen Servidio-Delabre, Maître de conférences, Université de Cergy-Pontoise, Professeur/Président de l’American Graduate School of International Relations and Diplomacy
CHAPITRE II : PLACE DU TERRORISME ET DES VICTIMES DANS LES LEGISLATIONS PENALES DES ETATS EUROPEENS ET DANS LA JUSTICE PENALE INTERNATIONALE
Section 1: Etat des législations pénales nationales des Etats membres de l’Union européenne
La procédure pénale européenne à l’épreuve du terrorisme, Jean Pradel, Professeur Faculté de droit de Poitiers, Président de l’Association Française de Droit International
Etat de la législation en France : le rôle joué par S.O.S. Attentats, Françoise Rudetzki, Fondatrice et Déléguée Générale de S.O.S. Attentats
Orientations du Parquet de Paris dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, Yves Bot, Procureur de la République Tribunal de Grande Instance de Paris
Législation antiterroriste en Italie, Giovanni Pasqua, Directeur de l’Institut supérieur international de Sciences Criminelles
Législation antiterroriste en Espagne, José Luis de la Cuesta, Professeur de Droit Pénal et Directeur de l’Institut Basque de Criminologie, Secrétaire Général Adjoint de l’Association Internationale de Droit Pénal, membre du Conseil de Direction de la Société Internationale de Criminologie
Les droits des victimes dans le procès pénal allemand, Stéphan Maigné, Avocat, Barreau de Berlin
La législation anti-terroriste en Irlande, William A. Schabas, Professeur de droit, National University of Ireland, Galway, Directeur Irish Centre for human Rights et Clémentine Olivier, Doctorante en droit, National University of Ireland, Boursière à l’Irish Centre of Human Rigts de Galway
La législation anti-terroriste au Royaume Uni, William A. Schabas, Professeur de droit, National University of Ireland, Galway, Directeur Irish Centre for human Rights et Clémentine Olivier, Doctorante en droit, National University of Ireland, Boursière à l’Irish Centre of Human Rigts de Galway
Etat de la législation anti-terroriste des autres Etats européens (Autriche, Belgique, Danemark, Finlande, Grèce, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Suède), William A. Schabas, Professeur de droit, National University of Ireland, Galway, Directeur Irish Centre for human Rights et Clémentine Olivier, Doctorante en droit, National University of Ireland, Boursière à l’Irish Centre of Human Rigts de Galway
Section 2: Le procès: une réparation indispensable pour les victimes
Témoignages de victimes
Terrorisme et droits des victimes, Robert Cario, Professeur de sciences criminelles, Codirecteur de l’Unité Jean Pinatel de Sciences criminelles comparées ; Directeur du DESS “Droit des victimes et victimologie”, Université de Pau et des Pays de l’Adour
L’accès des victimes à la justice pénale internationale, Claude Jorda, Juge à la Cour pénale internationale, ancien président du Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie
CHAPITRE III : RESPONSABILITE PENALE INTERNATIONALE POUR TERRORISME
Section 1 : Droit international pénal : entre évolution et hésitations
- Terrorisme : quelle qualification ?
Terrorisme et Résistance, Stéphane Hessel, Ambassadeur de France
Terrorisme, crime contre l’humanité? William A. Schabas, Professeur de droit, National University of Ireland, Galway, Directeur Irish Centre for human Rights et Clémentine Olivier, Doctorante en droit, National University of Ireland, Boursière à l’Irish Centre of Human Rigts de Galway
Terrorisme : recherche de définition ou dérive liberticide? Ghislaine Doucet, Conseiller juridique international
- Responsabilité pénale et immunités des dirigeants : entre justice et diplomatie
La responsabilité des dirigeants pour crime international de l’Etat, Alain Pellet, Professeur Paris X-Nanterre, membre et ancien président de la Commission de Droit International de l’ONU
L’apport des tribunaux ad hoc pour la répression du terrorisme, Cécile Tournaye Juriste au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie
La question de l’immunité des chefs d’Etat étrangers à la lumière des arrêts de la Cour de cassation française du 13 mars 2001 et de la cour internationale de justice du 14 février 2002, Eric David, Professeur à l’Université Libre de Bruxelles
La coutume internationale en question? Emmanuel Decaux, Professeur Université de Panthéon-Assas, Paris II
Le principe de compétence universelle à la lumière de l’expérience belge : le mouvement du balancier, Damien Vandermeersch Vice-président et Juge d’instruction au Tribunal de première instance de Bruxelles, Maître de Conférences à l’Université catholique de Louvain
Immunité, impunité :Rien qu’une consonne de différence ? L’immunité pénale des chefs d’Etat: entre coutume et évolution, Thierry Cretin, Magistrat détaché auprès de l’OLAF – Commission européenne
Section 2: Quelles réponses au terrorisme ?
Approche criminologique et victimologique du terrorisme, Reynald Ottenhof Professeur émérite, vice président de l’AIDP, vice-président de l’Institut Supérieur International de Sciences Criminelles
Terrorisme et responsabilité pénale internationale, Ahmedou Ould Abdallah, Représentant spécial du Secrétaire Général de l’ONU pour l’Afrique de l’Ouest
Guerre contre le terrorisme : fondements juridiques et réflexion prospective, Yves Sandoz, Membre du CICR, chargé de cours aux Universités de Genève et Fribourg
Le droit international humanitaire face a la guerre contre le terrorisme, Michel Veuthey, Professeur Adjoint, Fordham University, Directeur académique du Centre pour la Santé et la Coopération internationale
CONCLUSION
De la nécessité d’une réponse pénale internationale universelle au crime de terrorisme, Ghislaine Doucet, Conseiller juridique International