Alors que l’attention du monde entier est tournée vers la guerre en Irak, les opérations jihadistes au Jammu-Cachemire s’intensifient. En l’espace de 12 heures seulement, le dimanche 23 mars 2003, deux incidents dramatiques ont illustré l’escalade du terrorisme dans l’Etat.
Ancien Salar-e-Ala (commandant en chef) du Hizb-ul-Mujahideen (HM), Abdul Majeed Dar a été abattu par des tireurs non identifiés dans le quartier de Noor Bagh de la localité de Sopore (Nord du Cachemire). Deux jeunes gens armés ont subitement fait irruption dans sa demeure familiale et ont tiré sur tout ce qui bougeait, tuant Dar sur place et blessant grièvement sa mère et sa soeur.
Second incident: au moins 24 Pandits (hindous du Cachemire, descendants de brahmanes) du Cachemire ont perdu la vie vers minuit dans le village de Nandimarg, près de Shopian (district de Pulwama). Les terroristes ont tout d’abord pris leurs armes aux policiers, puis ont tiré sur les Pandits. Un groupe de 25 terroristes fortement armés et vêtus d’uniformes de la police auraient fait irruption dans le petit village, à 75km de Srinagar, capitale de l’Etat.
Deux organisations terroristes ont revendiqué l’assassinat de Dar. Tout d’abord, un groupe jusqu’à maintenant peu connu, le Mouvement pour sauver le Cachemire, qui servirait de paravent à Al Umar Majahideen: en revendiquant l’opération, le groupe qualifie Dar d'”informateur des services indiens” et le présente comme un “ennemi du peuple du Cachemire“. Une autre personne, se présentant comme le porte-parole du groupe Al Nasireen, a revendiqué dans un message à une agence de presse locale l’assassinat au nombre de ce groupe obscur, en déclarant que ses militants auraient tué Dar en raison de ses “activités anti-mouvement“.
Par ailleurs, une personne se présentant comme un porte-parole du HM a appelé l’agence de presse pour condamner l’assassinat de Dar. Dar avait été un responsable de haut niveau du HM avant son “expulsion” en mai 2002. Dans le cadre de ses fonctions de “commandant suprême adjoint“, de “conseiller militaire” et de “commandant en chef des opérations“, Dar avait joué un rôle important dans l’endoctrinement, le recrutement et l’entraînement des cadres du Hizb. Selon certaines informations, lorsqu’il s’occupait des camps du Hizb au Pakistan, il était le seul terroriste cachemiri à avoir accès direct au premier ministre Nawaz Sharief ainsi qu’au général Pervez Musharraf.
Avec l’assassinat de Dar culmine une bataille de près de trois ans pour occuper la position dominante, bataille menée par ses partisans contre la faction dirigée par Syed Salahuddin, le “commandant suprême” du HM et chef du United Jehad Coucnil (UJC), un conglomérat de 14 groupes installés au Pakistan.
Abdul Majeed Dar s’était retrouvé au premier plan en revenant il y a trois ans du Pakistan et en annonçant un cessez-le-feu unilatéral avec les forces de sécurité indiennes le 24 juillet 2000. Le 3 août 2000, une équipe officielle à haut niveau du gouvernement indien se rendit à Srinagar et eut une rencontre avec Dar et ses associés. Cependant, le 8 août 2000, Syed Salahuddin “retira” le cessez-le-feu lors d’une conférence de presse à Islamabad.
Les pourparlers de paix amorcés par Dar entraînèrent une division au sein du Hizb: les rangs pakistanais craignaient qu’un véritable processus de négociations soit mis en place, au détriment des intérêts du Pakistan. Une guerre pour la suprématie s’ensuivit au sein du HM, avec des factions séparées proclamant allégeance l’une à Dar et l’autre à Salahuddin. Les partisans de Salahuddin – qui opèrent à partir du Pakistan – et ceux de Dar ont connu des accrochages. En novembre 2002, deux fidèles de Salahuddin furent tués dans les camps de Mirpur et Tarbela, dans la partie pakistanaise du Cachemire. La direction du Hizb au Pakistan a également publié des déclarations affirmant que Dar se serait aligné sur les services de renseignement indiens. Selon certaines informations, Dar aurait été déçu par l’Inter Services Intelligence du Pakistan et sa direction militaire. Dar fut “suspendu” par la faction Salahuddin et remplacé le 4 mai 2002 par Saiful Islam comme “commandant en chef des opérations” du Hizb au Cachemire. Deux de ses proches associés, Assad Yazdani et Zaffar Abdul Fatah, furent également “retirés” de leurs postes de commandement. Le 9 mai 2002, la direction du Hizb démit deux autres “commandants de division” dans le Cachemire méridional. Tandis que Dar et ses proches étaient accusés d’assister les forces de sécurité indiennes, beaucoup de leurs partisans furent tués par la faction Salahuddin. Face à la popularité ascendante de Dar dans les rangs du HM, Salahuddin et l’ISI avaient pris ces derniers mois plusieurs mesures pour marginaliser et viser Dar et ses associés.
La faction Salahuddin est également fortement soupçonnée de se trouver à l’origine de l’assassinat de Parvaz Mohammed Sultan, rédacteur de News and Feature Alliance (NAFA), à Srinagar le 31 janvier 2003. Le périodique avait en effet publié beaucoup d’informations sur les querelles internes du HM au cours des deux semaines qui précédèrent l’assassinat de Sultan. Les articles affirmaient que la faction installée dans la vallée avait “renversé” la faction Salahuddin.
Dans les heures suivant le meurtre de Majeed Dar, des heurts auraient éclaté dans les camps du HM de l’autre côté de la frontière avec le Pakistan entre partisans du dirigeant assassiné et membres de la faction menée par Salahuddin. Des affrontements violents auraient eu lieu dans les camps de Kotli, de Mirpur, d’Oggi, de Jungal-Mangal, de Haripur et de Gadhi-Dupatta. De premières informations indiquent que Salahuddin était nerveux quant à la perspective d’une épreuve de force dans les camps. A l’heure où le présent article est écrit (24 mars 2003), les détails et résultats de ces affrontements ne sont pas encore connus.
La brève accalmie de violence jihadiste au Jammu-Cachemire de décembre à février était avant tout tactique – la conséquence des mauvaises conditions météorologiques le long des cols traversant la frontière. Le général N.C. Vij, chef de l’état-major général, avait prédit le 23 mars 2003 un regain des infiltrations au Jammu-Cachemire après le début de la fonte des neiges. Cela a été confirmé par les tendances observées au mois de mars, beaucoup plus tôt que d’habitude en comparaison avec les années précédentes. Les infiltrations le long de la ligne de contrôle indo-pakistanaise et de la frontière ont augmenté depuis que le Lashkar-e-Toiba et le Jaish-e-Mohammed ont intensifié leurs activités dans l’Etat. Cela a pour conséquence que toute la région du Jammu ainsi que quelques secteurs des districts de Srinagar, Anantnag, Budgam, Pulwama, Baramulla et Kupwara ont été déclarés “zones de trouble”. […]
Le massacre des Pandits marque la poursuite du processus de “purification ethnique” lancé en janvier 1990 par les terroristes. De tels incidents ont clairement pour objectif de bloquer la politique affichée par le gouvernement de l’Etat de faciliter le retour des Pandits vers leur terre. En fait, cela pourrait entraîner un nouvel exode de Pandits quittant la vallée et les zones de la région du Jammu à prédominance musulmane. Les incidents passés avaient déjà montré que les hindous qui sont restés dans la vallée représentaient une cible prioritaire pour les terroristes, qui revendiquent le Cachemire comme une “terre musulmane“.
Le massacre de Pulwama constitue un revers pour le premier ministre de l’Etat, Mufti Mohammed Sayeed, qui avait fait du “retour sûr” des Pandits un argument clé de sa campagne lors des élections de septembre-octobre 2002. Le gouvernement de l’Etat a récemment élaboré des plans pour installer les Pandits autour du sanctuaire de la source sainte de Tullamullah (district de Srinagar) et de Mattan (district d’Anantnag). Les Pandits ont cependant montré peu d’enthousiasme pour le projet en raison de la situation actuelle en matière de sécurité dans la vallée. Leurs réticences ne pourront que croître considérablement après le brutal massacre qui vient de se produire. […]
Kanchan Lakshman
Note de Terrorisme.net : la remarque de l’auteur de l’article sur les objectifs d’intimidation recherchés (et obtenus) par de tels massacres est confirmée par des informations en provenance du Cachemire. Lors de la visite du premier ministre adjoint L.K. Advani sur le site du massacre, les proches des victimes entourèrent l’homme politique en lui criant: “Nous voulons partir, sauvez-nous“, rapporte la BBC (25 mars 2003). Advani a répondu: “Si vous ne vous sentez pas en sécurité, nous vous emmènerons dans un lieu plus sûr, mais c’est ce que veut l’ennemi.” Le premier ministre adjoint a précisé que quelque 10.000 Pandits vivaient encore au Cachemire. 100.000 avaient fui il y a treize ans. Un groupe qui défend les intérêts des Pandits, Panun Kashmir, les a appelés à quitter la vallée, mais, indique le journal Gulf News (31 mars 2003), des résidents du village où s’est produit le massacre affirment avoir été empêchés de partir par la police et renvoyés chez eux. (31.03.2003)
Mise à jour : mentionné dans cette analyse, Saiful Islam a été tué le 2 avril 2003 dans une opération conjointe menée par la police indienne et les forces de sécurité frontalières. L’incident s’est produit dans le village de Pohru (district de Badgam). La police précise que son véritable nom était Ghulam Hassan Khan. Il était âgé de 57 ans. (4.4.2003)
La version originale de cet article a été publiée en anglais le 24 mars 2003 par la South Asia Intelligence Review (1/36). La SAIR est publiée par l’Institute for Conflict Management, Nouvelle Delhi (Inde).
Copyright © 2003 SATP. Publié par Terrorisme.net avec l’autorisation de l’Institute for Conflict Management.
Traduction française par les soins de Terrorisme.net.