L’actuelle invasion de l’Irak par les forces de la coalition américano-britannique offre aux Etats-Unis l’occasion de frapper le groupe Ansar al-Islam, accusé de liens avec Al Qaïda. Mais le groupe se trouve également sous le feu des projecteurs en Norvège et en Australie.
Le nom du groupe Ansar al-Islam (Partisans de l’islam), que nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer sur ce site, est apparu à plusieurs reprises depuis quelques jours dans les innombrables dépêches d’agence relatives à la guerre en Irak. Comme on le sait, le secrétaire d’Etat Colin Powell avait désigné Ansar al-Islam comme le chaînon manquant entre le gouvernement irakien et Al Qaïda. Certaines sources affirment en effet que Saddam Hussein aurait secrètement apporté un soutien au groupe depuis plusieurs années. Un personnage présenté comme un ancien membre des services secrets irakiens déclare même que des membres d’Ansar et d’Al Qaïda auraient bénéficié d’un entraînement dans l’école des services de renseignement militaires irakiens. Ces assertions sont évidemment invérifiables.
Très tôt le samedi 22 mars, entre 40 et 100 missiles de croisière Tomahawk ou plus (les chiffres varient selon les sources) ont en effet frappé des positions occupées par les quelques centaines de combattants d’Ansar al-Islam dans la région montagneuse autour de Halabja (nord-est de l’Irak). L’un des missiles aurait également détruit la station de radio du groupe. Apparemment certains abris souterrains où des militants d’Ansar avaient pris refuge dans l’attente de frappes américaines auraient également été visés. Des sources kurdes font état de plusieurs dizaines de victimes dans les rangs islamistes, mais ces chiffres sont bien entendu invérifiables.
Ansar al-Islam n’était pas la seule cible de l’opération: des bureaux de la Komala Islami Kurdistan (KIK, Société islamique du Kurdistan) ont également été touchés dans la même région, tuant plus de 40 personnes et en blessant 30 autres. Certaines sources laissent entendre que la KIK aurait en fait été plus durement frappée qu’Ansar. La KIK, dont les membres démentent toute implication terroriste, aurait été frappée en raison des liens amicaux qu’elle entretiendrait avec Ansar et de son refus de participer aux combats contre ce mouvement. Six bâtiments de la KIK auraient été touchés au total, ce qui a entraîné la décision de la KIK de se replier temporairement dans un camp proche de la frontière iranienne, à la suite d’un accord avec l’Union patriotique du Kurdistan.
Le 22 mars dans la journée, le photographe de presse australien Paul Moran a perdu la vie lors d’un attentat suicide à un carrefour à Sayed Sadiq, aux abords du village de Khurmal. Alors qu’il filmait des peshmergas kurdes, un taxi s’est approché de lui et a explosé. Plusieurs autres personnes ont été blessées lors de cet incident. L’attentat a été attribué par des sources kurdes à Ansar al-Islam. A la suite du décès de ce ressortissant australien, le gouvernement australien a décidé d’ajouter Ansar al-Islam à la liste des organisations terroristes interdites, afin de “dissuader des Australiens de s’impliquer dans ses activités“.
Le chef du groupe, Mullah Krekar, bénéficie d’un statut de réfugié politique en Norvège, mais se trouve menacé depuis quelque temps déjà de le perdre en raison d’abus (il est notamment retourné à plusieurs reprises dans la zone septentrionale de l’Irak). Au milieu du mois de mars, Mullah Krekar a reçu un avis l’informant qu’il avait trois semaines pour quitter volontairement la Norvège. Cet ordre d’expulsion a ensuite été annulé, mais, le 20 mars, il a été arrêté à son domicile en application de la loi réprimant la préparation d’actes de terrorisme. En effet, lors de déclarations diffusées le 19 mars sur une chaîne de télévision néerlandaise, Mullah Krekar aurait menacé les troupes américaines d’attentats suicides de la part de militants d’Ansar. Il se trouve maintenant en prison pour quatre semaines. Malgré le désir des autorités norvégiennes de le voir quitter le pays, l’arrestation aurait paradoxalement eu pour but de prévenir un risque de fuite.
Ansar al-Islam, avec sa réputation sulfureuse, ne semble à vrai dire pas pouvoir compter actuellement sur beaucoup d’amis. L’Iran a mis sur pied deux hôpitaux de campagne près de la frontière avec l’Irak pour venir en aide aux victimes des hostilités, mais a publiquement déclaré que les membres d’Ansar seraient exclus de cette assistance. Selon le Parti démocratique socialiste du Kurdistan, implanté dans la zone frontière, l’entrée du territoire iranien aurait été refusée à des membres d’Ansar blessés. Manifestement, personne ne souhaite être associé avec un groupe qualifié de terroriste et subir le cas échéant les représailles américaines. L’Iran se montre particulièrement soucieux d’être perçu comme neutre et de ne pas se retrouver entraîné dans les turbulences aux perspectives incertaines provoquées par le conflit en cours.
Les frappes contre Ansar auraient eu pour but de prévenir des risques de voir ce groupe se livrer à des actions dangereuses au moment de l’intervention américaine dans le nord de l’Irak. Les combattants de l’Union patriotique du Kurdistan estiment cependant que l’insistance américaine pour les voir lutter contre Ansar a également d’autres objectifs stratégiques: il s’agirait d’occuper les Kurdes sur ce front et d’éviter ainsi de les voir s’emparer pendant ce temps de Kirkouk et de sa zone pétrolifère.
Mise à jour : le 28 mars 2003, indiquent les agences de presse, plusieurs villages jusqu’alors sous contrôle d’Ansar al-Islam sont tombés aux mains des peshmergas de l’Union patriotique du Kurdistan. Selon des sources kurdes citées par la BBC, les peshmergas auraient été appuyés dans cette opération par des membres des forces spéciales américaines (plus un soutien aérien) et 70 combattants d’Ansar auraient perdu la vie. Pas moins de 5.000 peshmergas auraient participé à l’offensive: leurs chefs se déclaraient confiants que la zone serait “nettoyée” complètement dans les 24 heures, tandis que les survivants d’Ansar semblaient essayer de fuir dans les montagnes proches de la frontière avec l’Iran. (29.03.2003)