Le renforcement de liens entre extrémistes indiens de gauche et insurgés maoïstes au Népal s’est trouvé une fois de plus mis en évidence dans la dernière semaine de février 2003, lorsque la police des Etats du Bihar et du Bengale occidental a découvert un réseau de maoïstes népalais actifs à Kolkata [nom actuel de Calcutta – NDT] et à Patna et a arrêté quinze de leurs responsables.
A nouveau, ces arrestations confirment que les cadres du Parti communiste du Népal-maoïste (Communist Party of Nepal, Maoist, CPN-M) utilisent de plus en plus le territoire indien et travaillent en étroite collaboration avec des groupes naxalites [naxalites: par ce terme sont désignées des insurrections rurales d’inspiration maoïste; le terme remonte à un soulèvement à Naxalbari, dans le district de Darjeeling, en 1967 – NDT], en particulier avec le Centre communiste maoïste (Maoist Communist Centre, MCC) et le Groupe de guerre du peuple (People’s War Group, PWG). L’objectif plus vaste est de parvenir à la création d’une “zone révolutionnaire compacte”, qui irait du Népal à l’Andhra Pradesh en passant par le Bihar et la région de Dandakaranya. L’établissement de cette zone révolutionnaire compacte est conçue comme le prélude à une expansion de l’extrémisme de gauche dans le sous-continent indien.
Le 15 février 2003, à Patna (Bihar), la police a découvert un repaire du MCC et arrêté cinq maoïstes népalais ainsi que trois responsables du MCC. Parmi les personnes appréhendées figure Subash (alias Suchit), fils de Pramod Mishra, chef du MCC. L’interrogatoire des maoïstes arrêtés a conduit à l’arrestation de quatre autres maoïstes de la zone de Gandhi Maidan (Patna) le 27 février 2003. L’un des extrémistes interpellés serait le chef du bureau de la zone de Poorvanchal du CPN-M.
A nouveau, lors d’une opération menée le 28 février 2003, la police a retrouvé une importante cachette d’armes appartenant aux maoïstes népalais de Lalji Tola (Patna). Parmi les armes saisies se trouvent des fusils automatiques et 8.000 cartouches. Des sources policières indiquent que les maoïstes étaient impliqués dans le financement du CPN-M en se livrant à des extorsions de fonds ainsi qu’en imprimant et en faisant circuler des documents naxalites au Bihar.
Avant cette arrestation, la police du Bihar avait déjà appréhendé 18 activistes du CPN-M, dont quinze avaient été remis aux autorités népalaises. A la suite des récentes arrestations survenues à Patna, un haut responsable de la police du Bihar a déclaré que les groupes d’extrême-gauche avaient déjà atteint un “succès à 60% environ” dans leur mission de créer la zone révolutionnaire compacte.
Au Bengale occidental, quatre activistes maoïstes avaient été arrêtés le 26 février 2003 à la station de chemin de fer de Howrah pour avoir diffusé des textes incendiaires soutenant les insurgés maoïstes au Népal. Ils se trouvaient depuis quelque temps à Kolkata et étaient actifs dans des activités de propagande et de recrutement visant des jeunes d’origine népalaise. Leur arrestation a entraîné la découverte d’un réseau maoïste opérant à partir de Kolkata. Les maoïstes arrêtés ont révélé qu’ils avaient recruté 30 jeunes de la ville en janvier 2003 et les avaient envoyés au Népal pour y rejoindre l’insurrection maoïste.
Les liens toujours plus étroits entre maoïstes népalais et groupes naxalites indiens suscitent en Inde une préoccupation croissante. Lorsqu’il s’est adressé à la conférence des chefs de gouvernement des Etats de l’Union indienne à la Nouvelle Delhi le 8 février 2003, le premier ministre Atal Bihari Vajpayee a exprimé son inquiétude quant au problème de l’extrémisme de gauche du Néapl à l’Andhra Pradesh. Auparavant, le 2 janvier 2003, le vice-premier ministre L.K. Advani avait déclaré que les maoïstes népalais avaient tenté d’intensifier la violence naxalite dans certains Etats indiens proches du Népal. Il avait ajouté que, après avoir stimulé l’instabilité politique au Népal, les maoïstes de ce pays avaient commencé à s’infiltrer en Inde pour contribuer à la violence naxalite dans le Bihar, le Jharkand et d’autres Etats.
Cela fait longtemps que les naxalites sont actifs dans certaines parties de l’Andhra Pradesh, du Jharkand, du Bihar, du Chhattisgarh, du Bengale occidental, de l’Orissa, du Madhya Pradesh, de l’Uttar Pradesh et du Maharashtra. En dehors de leurs citadelles traditionnelles, un important développement d’activités naxalites s’est produit dans de nouvelles zones telles que la partie septentrionale du Bihar, le Nord et l’Ouest de l’Orissa, le centre du Chhattisgarh, les zones orientales de l’Uttar Pradesh et certaines parties du Bengale occidental. Les groupes naxalites pensent que l’expansion dans ces régions pourrait hâter le processus de cristallisation de la zone révolutionnaire compacte, c’est-à-dire créer un “corridor rouge” représentant une “zone libérée” qui irait du Népal à l’Andhra Pradesh. Cette expansion s’est également signalée par une croissance notable des actes de violence d’origine naxalite. Après un déclin continu de la violence entre 1996 et 2001, un renversement de tendance s’est produit en 2001 et la montée de la violence s’est poursuivie en 2002 et jusqu’à maintenant.
Les liaisons entre groupes d’extrême-gauche dans la région ne sont pas nouvelles, bien que l’idée de la zone révolutionnaire compacte ne se soit cristallisée qu’en août 2001, lorsque les dirigeants des maoïstes népalais et des naxalites indiens se rencontrèrent à Siliguri. Ils y discutèrent de différents moyens pour faire de la zone révolutionnaire compacte un territoire continu facilitant les mouvements d’extrémistes d’une zone à l’autre. Il y avait cependant deux obstacles au développement de la zone révolutionnaire compacte. Tout d’abord, l’absence de continuité territoriale dans les zones d’activité gauchiste exigeaient leur expansion et leur consolidation dans de nouvelles zones. Ensuite, la fragmentation et la division en factions au sein du mouvement de gauche exigeait une plus grande unité entre des groupes tels que le MCC et le PWG, qui se combattaient jusqu’alors. Auparavant déjà, en juillet 2001, les groupes d’extrême-gauche (maoïstes) de l’Asie du Sud avaient constitué le Comité de coordination des partis et organisations maoïstes de l’Asie du Sud. Par la suite, en décembre 2001, le MCC et le PWG auraient tenu un sommet dans les zones forestières du Jharkhand pour discuter du soutien au mouvement maoïste népalais.
Une consolidation au Bengale occidental et au Bihar est vitale pour atteindre l’objectif de la zone révolutionnaire compacte. Les naxalites projettent d’utiliser le Bengale occidental comme un corridor entre les zones qu’ils dominent en Inde et au Népal. Par conséquent, ils renforcent leur présence dans le district de Midnapore Ouest ainsi que dans les régions de Bankura et de Purulia. Les maoïstes népalais ont également infiltré les zones frontalières de Darjeeling et de Siliguri. A Siliguri, ils ont essayé de consolider leurs positions dans le Nord du Bengale en établissant des liens avec les insurgés de l’Organisation de libération de Kamtapur. En outre, les maoïstes incitent les personnes d’ascendance népalaise à affirmer leur “droit à l’auto-détermination” dans les zones à dominante népalaise de Darjeeling et du Sikkim.
Au Bihar, on peut observer une expansion considérable des activités naxalites dans les zones du Nord-Est à la frontière du Népal. Dans ces régions, le MCC – qui est active à Motijari, Sheohar, Sitamarhi, Muzaffarpur et Darbangha – a également renforcé ses liens avec les maoïstes du Népal. Ils ont formé un Comité régional conjoint de la frontière indo-népalaise pour assurer leurs objectifs communs. Plusieurs rapports indiquent que des maoïstes népalais franchissent fréquemment la frontière avec le Bihar pour y trouver abri depuis les mesures prises contre eux au Népal. Des informations font également état de camps d’entraînement dans les jungles du district de Champaran Ouest. Selon des sources officielles, tandis que la violence naxalite a décliné entre 2001 et 2002 dans les Etats les plus affectés par celle-ci, tels que l’Andhra Pradesh et le Jharkhand, la part de la violence d’extrême-gauche au Bihar a augmenté.
Dans une large mesure, le MCC et le PWG ont résolu leurs différends: des circulations circulent même sur une fusion possible entre les deux groupes. Si les groupes naxalites parviennent à s’unir et à remplir les “zones vides”, leur plan d’établir une zone révolutionnaire compact pourrait aboutir dans un avenir pas tellement lointain. Les développements des deux dernières années sont conformes au concept large d’une zone révolutionnaire compacte en gestation. La création d’un “corridor révolutionnaire” donnerait un nouvel élan aux groupes extrémistes de gauche et pourrait rendre le mouvement naxalite en Inde plus violent qu’il ne l’est actuellement. Une certaine inquiétude existe également que l’Inter Services Intelligence (ISI) du Pakistan puisse jouer un rôle catalysateur dans la déstabilisation en injectant des armes dans les zones où est prévue la zone révolutionnaire compacte. Le trafic de drogue et la circulation de fausse monnaie à travers le frontière sont déjà manifestes.
Le processus de paix en cours au Népal ne paraît pas de nature à transformer radicalement la situation. Les maoïstes népalais ont toujours eu tendance à adopter une attitude fermement anti-indienne et à soutenir que les monarques et dirigeants politiques successifs au Népal ont compromis les intérêts nationaux du pays face à l’Inde. La crainte de l’expansionnisme indien et l’image “hégémonique” de l’Inde occupent une place de choix dans les discours des dirigeants maoïstes. Il est donc vraisemblable que les maoïstes poursuivront leurs relations avec les naxalites même si un accord négocié aboutit au Népal.
Le problème est encore compliqué par le fait que la région à travers laquelle la zone révolutionnaire compacte est supposée s’étendre – en particulier la section allant du Népal au Chhattisgarh – souffre d’une pauvreté largement répandue, de chômage et d’un faible développement économique. A cela s’ajoutent de fortes disparités régionales, des gouvernements médiocres, l’existence de de structures d’exploitation traditionnelles puissantes et des forces de police sous-équipées. Dans beaucoup de ces régions, les institutions étatiques ont pratiquement cessé d’exister ou n’ont, au mieux, qu’une existence symbolique. Les naxalites remplissent ce vide et tirent avantage du piètre fonctionnement des institutions gouvernementales sur des questions telles que les droits fonciers, les salaires minimaux, l’éducation et la lutte contre la corruption. Dans certaines zones, ils assument de nombreuses tâches de l’Etat et dirigent une administration parallèle. Toute nouvelle cristallisation de l’idée d’une zone révolutionnaire compacte ne peut qu’aggraver les sérieux défis en matière de sécurité déjà présents sur ce vaste territoire et recèle un potentiel de déstabilisation des régions beaucoup plus étendues.
Sanjay K. Jha
La version originale de cet article a été publiée en anglais le 10 mars 2003 par la South Asia Intelligence Review (1/34). La SAIR est publiée par l’Institute for Conflict Management, Nouvelle Delhi (Inde).
Copyright © 2003 SATP. Publié par Terrorisme.net avec l’autorisation de l’Institute for Conflict Management.
Traduction française par les soins de Terrorisme.net.