Depuis des mois, les avertissements et préparatifs se succèdent: le bioterrorisme est manifestement considéré comme l’une des menaces les plus graves. Plusieurs développements récents confirment cette tendance. Ce n’est pas seulement le cas aux Etats-Unis: les Israéliens s’interrogent par exemple sur les risques auxquels ils pourraient devoir faire face. En Amérique du Nord, cependant, la discussion sur le bioterrorisme s’affiche particulièrement, y compris dans les médias: un guide a même été mis au point pour aider les journalistes à se préparer.
Il ne s’agit pas simplement d’agitation médiatique: le 28 janvier 2003, Jane’s Chem-Bio Web confirmait l’accélération des programmes de défense chimique et biologique aux Etats-Unis de la part du Département de la Défense. Le nouveau Département de la Sécurité intérieure semble appelé de son côté à jouer un rôle important dans la prévention d’attentats recourant à des armes biologiques. La mise en place d’un nouveau système de détection d’agents biologiques est en cours: 3.000 stations chargées normalement du contrôle de l’environnement vont être équipées, de façon à pouvoir réagir en cas de crise et prélever des échantillons d’air suspect pour les envoyer à des laboratoires répartis à travers le pays, ce qui devrait permettre de connaître les résultats dans un délai de 12 à 24 heures.
Jane’s Chem-Bio Web souligne qu’un point tournant a été le lancement de la Biological Defense Homeland Security Support Initiative en août 2002 à l’initiative de la Defense Threat Reduction Agency (DTRA).
Au mois de décembre 2002, la Maison Blanche a rendu publique sa National Strategy to Combat Weapons of Mass Destruction. Les armes de destruction massive (weapons of mass destruction, en abrégé WMD) y sont décrites comme “l’un des plus grands défis de sécurité auquel doivent faire face les Etats-Unis“. Cette menace, selon le gouvernement américain, peut provenir de deux sources: soit les “régimes les plus dangereux du monde“, soit des groupes terroristes. Le document précise les efforts en matière de non-prolifération et de contre-prolifération que les Etats-Unis entendent entreprendre, mais également la gestion des conséquences d’une éventuelle attaque utilisant des armes de destruction massive sur territoire américain.
Ces derniers mois, nombreux ont été les articles sur cette menace publiés dans de grands médias anglophones. “Preparing for terror“, titrait ainsi l’hebdomadaire réputé The Economist dans son édition du 30 novembre 2002. Dans un article bien documenté, les auteurs soulignaient que les Etats-Unis étaient le seul pays à se préparer de façon aussi ambitieuse à faire face à un éventuel recours au bioterrorisme. Et dans de tels événements, “la détection précoce est cruciale“.
Bioterrorisme: un guide pour préparer les journalistes
Un effet de la multiplication d’articles à ce sujet est de préparer l’opinion – pour autant que cela soit possible – à faire face à un éventuel incident de bioterrorisme. Mais les médias auraient alors un rôle capital à jouer. Dans cette optique, la Radio-Television News Directors Foundation a publié à la fin de l’année 2002 un Journalist’s Guide to Covering Bioterrorism (ce document peut être déchargé au format PDF [ce lien donne accès à la seconde édition, publiée en 2004 – 06.06.2016]).
Ce document de près de 50 pages souligne la responsabilité qu’auraient les journalistes dans le cas d’une telle attaque, mais aussi le manque d’expérience partagé par tous les acteurs pour faire face à un événement de cet ordre. Cela vaudrait même pour beaucoup d’interlocuteurs auxquels les innombrables médias s’adresseraient: et toutes les crises récentes nous ont appris quel pouvait devenir le rôle (plus ou moins “pédagogique”) des experts dans les médias.
Le guide définit ce qu’est le bioterrorisme et explique ses “avantages” en termes de coûts pour un groupe terroriste: recourir au bioterrorisme exige des investissements bien moins coûteux (en comparaison du nombre de victimes qu’il peut entraîner) que la tentative d’utiliser des armes nucléaires, par exemple. En outre, l’impact psychologique du bioterrorisme promet d’être considérable, notamment du fait des mécanismes de diffusion plus lents et des incertitudes qu’il causerait. La responsabilité du journaliste parlant d’un incident de bioterrorisme sera donc d’autant plus grande.
Très bien fait et reposant manifestement sur un gros travail documentaire, le texte explique à quelles occasions des agents biologiques ont déjà été utilisés et comment un attentat utilisant de telles armes pourrait se dérouler (problème de la dissémination – plusieurs de nos lecteurs ont certainement en mémoire les échecs des tentatives d’Aum Shinrikyo). Le guide explique également comment les responsables réagiraient – et l’importance d’une réaction aussi rapide que possible pour limiter les conséquences.
Une description détaillée des différentes armes biologiques qu’il serait possible d’utiliser est ensuite fournie, puis un résumé des traités internationaux à ce sujet et une liste des pays possédant de telles armes (petite mention à relever, pour un site dont les lecteurs sont principalement francophones: “Selon des rapports de renseignement de novembre 2002, la France serait l’un des quatre pays possédant des stocks non autorisés du virus de la variole (les autres sont l’Irak, la Russie et la Corée du Nord). Le gouvernement français a déclaré que de tels stocks, s’ils existent, sont uniquement destinés au développement de vaccins.“) S’il est déjà très difficile de déterminer quels pays possèdent des réserves d’armes biologiques, la tâche est encore plus ardue pour des groupes transnationaux, souligne le rapport. La disparition de l’URSS et le développement d’Internet sont évoqués comme deux facteurs importants pour la diffusion de connaissances permettant la mise au point d’armes biologiques. Cependant, si tout indique que le réseau Al Qaïda avait développé des capacités en matière d’armes chimiques, il y a beaucoup plus d’incertitudes en ce qui concerne les armes biologiques.
Le guide se termine en fournissant aux journalistes non seulement des suggestions pour enquêter sur le sujet, mais également une très utile liste d’adresses (pas seulement celles d’organismes officiels) et de références bibliographiques ainsi qu’un glossaire. Ce guide se révélera utile non seulement pour les journalistes, mais également pour les chercheurs et, plus généralement, pour tous ceux qui ont un intérêt sérieux pour les questions de terrorisme.