Le 11 décembre 2002, le solliciteur général du Canada, Wayne Easter, a annoncé que le gouvernement du Canada avait ajouté trois groupes à la liste des entités terroristes: le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), Aum Shinrikyo et le Hezbollah. Cette mesure satisfait les organisations juives, mais irrite l’ambassade du Liban. Le Hezbollah lui-même souhaite “rectifier l’erreur“. La décision des autorités canadiennes met ne fois de plus en évidence le délicat débat autour de la définition du terrorisme.
Selon le communiqué publié le 11 décembre 2002, “[le] gouvernement du Canada a convenu que ces entités sont reconnues pour leur participation à des activités terroristes. Tout particulier ou groupe inscrit sur cette liste peut voir ses biens saisis et confisqués. […] le fait de participer ou de contribuer sciemment aux activités d’un groupe terroriste ou de les faciliter constitue un crime.”
Ce sont presque uniquement des groupes islamistes qui figurent sur la liste canadienne. Outre les trois nouveaux venus, on y trouve le Groupe islamique armé (GIA), le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), Al Jihad (AJ) (alias Jihad islamique égyptien (JIE), Avant-garde de la conquête (AGC), Al-Qaïda, Al-Jama’a al-islamiya (AJAI) (alias Groupe islamique (GI), Al-Ittihad Al-Islam (AIAI), l’Armée islamique d’Aden (AIA), Harakat ul-Mudjahidin, Asbat Al-Ansar, le Jihad islamique palestinien, le Jaish-e-Mohammed et Hamas.
Les six derniers avaient été ajoutés à la liste très récemment, en novembre 2002. A cette occasion, le Canada-Israel Committe (CIC) avait exprimé son mécontentement. Un communiqué du 27 novembre 2002 déplorait plusieurs absences sur la liste, dont celle du Hezbollah. “L’engagement du Canada dans la guerre internationale contre le terrorisme ne peut pas être considéré comme crédible tant que de tels groupes ne sont pas interdits“, avait déclaré Joseph Wilder, président du CIC.
Le CIC n’était pas le seul groupe à faire campagne pour obtenir l’inclusion du Hezbollah sur la liste. Le B’nai Brith du Canada avait déposé plainte – en nommant dans sa plainte le ministre des Affaires étrangères et le ministre de la Justice – afin de contraindre un tribunal à examiner les actions du gouvernement canadien (la plainte a été retirée sur-le-champ une fois l’interdiction annoncée). Le gouvernement se refusait à interdire purement et simplement le Hezbollah du fait des importants services sociaux fournis par celui-ci au Liban: le ministre des Affaires étrangères insistait sur la distinction à faire entre l’aile militaire du Hezbollah – à laquelle il était déjà interdit d’avoir des activités au Canada – et son aile humanitaire, qui continuait à récolter de l’argent dans le pays. Une distinction que le B’nai Brith et les autres organisations juives refusaient bien sûr d’admettre – les milieux politiques se montraient pour leur part divisés.
Comme nous l’avons déjà souligné à plusieurs reprises sur ce site, les développements du conflit au Proche-Orient ont à plusieurs égards des répercussions en dehors de la région. Mais aussi – et plus généralement – la question de la définition du terrorisme reste toujours sujette à discussion. Sous une même étiquette sont rassemblés des groupes dont les pratiques et le rôle dans la société sont très divers: le Hezbollah et Al Qaïda représentent des réalités différentes non seulement sous l’angle de leur idéologie, mais aussi de leur fonction et de leur insertion sociale – entre autres. Les modalités de leur recours à la violence ne sont pas identiques non plus.
Plusieurs observateurs s’attendaient à voir le gouvernement canadien finir par inclure le Hezbollah dans la liste des entités tombant sous le coup de la loi contre le terrorisme. Officiellement, une déclaration du Sheikh Hassan Nasrallah incitant les Palestiniens à poursuivre le combat contre Israël et les attentats suicides aurait été la raison qui aurait amené le gouvernement du Canada à modifier sa position, ont relaté des agences de presse à ce moment. Les adversaires de la décision y voient en revanche plutôt le résultat de l’intense lobbyingmené par les organisations précitées et d’autres associations: ce rôle a notamment été dénoncé par le directeur exécutif du National Council on Canadian Arab Relations; mais la visibilité médiatique de ce dernier organisme est bien moindre que celle des organisations juives.
Le site officiel du Solliciteur général décrit aujourd’hui le Hezbollah dans les termes suivants:
Le Hezbollah, ou “Parti de Dieu”, est une organisation terroriste islamiste basée au Liban. Le Hezbollah souhaite restaurer l’hégémonie de l’islam sur la vie politique, sociale et économique dans le monde musulman. Ses objectifs, qu’il a énoncés dans son manifeste politique du 16 février 1985, incluent l’éradication de toute influence occidentale au Liban et au Moyen-Orient, ainsi que l’annihilation de l’État hébreu et la libération de Jérusalem et de tous les territoires palestiniens placés sous le joug de l’occupation israélienne, sans possibilité de négocier quelque traité de paix que ce soit. Dans ce contexte, le but ultime du Hezbollah est d’instaurer une théocratie chiite radicale au Liban. Le Hezbollah est responsable d’attentats à la voiture piégée, de détournements d’avions et de l’enlèvement de cibles occidentales et israéliennes ou juives en Israël, en Europe de l’Ouest et en Amérique du Sud. Il opère principalement au Liban, mais est aussi actif en Europe, en Amérique du Nord, en Amérique du Sud et en Afrique.
Présentation du Hezbollah sur le site du Solliciteur général du Canada |
La Loi antiterrorisme prévoit également un processus permettant de faire appel de la décision. Dès le mois de décembre, le gouvernement libanais a demandé au Canada de retirer le Hezbollah de la liste. Le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères du Liban a affirmé au chargé d’affaires canadien à Beyrouth que la déclaration incriminée de Nasrallah aurait été mal traduite. Celui-ci n’aurait pas encouragé les attentats suicides contre des civils, mais déclaré: “Si les Israéliens détruisent la mosquée d’Al Aqsa à Jérusalem, tous les musulmans et tous les Palestiniens détruiront l’entité sioniste par le sang des martyrs.” (Il s’agit ici du sens général du texte tel qu’il est présenté par la partie libanaise, les traductions qui en circulent varient sur plusieurs points.)
Le Hezbollah lui aussi a évidemment protesté contre la mesure le frappant. “Cette action ne peut être considérée que comme une partie de l’oppressive campagne américaine contre les Arabes et les musulmans ainsi que ceux qui refusent de se plier aux désirs du gouvernement américain“, déclarait le communiqué du Hezbollah. Cependant, le ton est rapidement devenu un peu plus conciliant: le responsable des affaires internationales du Hezbollah s’est déclaré “ouvert à toute initiative qui permettrait de corriger la situation“. Le Hezbollah semble avoir intensifié son activité diplomatique à la suite de cette mesure, afin de préciser sa position à différents pays étrangers à travers leurs représentations au Liban. Les dirigeants du Hezbollah tentent notamment de faire passer le message que leur mouvement est un acteur politique qui ne peut être ignoré par quiconque ayant des intérêts politiques au Proche-Orient. Et à l’heure de la guerre internationale contre le terrorisme, aucun groupe ne souhaite se retrouver sur un trop grand nombre de listes noires…