Le combat contre les différentes manifestations du terrorisme est un travail patient et reposant sur l’analyse de multiples informations. Il s’inscrit également dans la longue durée et ne s’improvise pas. Telle est peut-être l’une des principales leçons du livre de Robert Baer.
Arrêtons-nous brièvement à cet ouvrage paru il y a déjà plusieurs mois et qui, en particulier dans son édition en langue anglaise, a attiré l’attention d’un large public. Mais il a aussi fait l’objet de comptes rendus plutôt positifs dans des revues spécialisées.
Malgré ce que laisse entendre le titre, il ne s’agit pas d’un ouvrage qui se concentre uniquement sur le terrorisme, mais de l’autobiographie de Robert Baer, qui travailla durant plus de vingt ans (1976-1997) pour la CIA, principalement sur le terrain, dans des pays “chauds, et surtout dans le monde musulman.
C’est ce qui fait avant tout l’intérêt de ce volume: l’évocation – à travers les expériences de Baer – des méthodes, du travail mené, du recrutement d’agents, puis de la conduite de ceux-ci. Les lecteurs en apprennent beaucoup sur le monde de l’espionnage, mais aussi sur la situation au Tadjikistan (où l’auteur passa deux ans) au lendemain de la désintégration de l’URSS ou sur le Kurdistan irakien des années 1990.
Ensuite, le livre est aussi une critique de l’évolution bureaucratique du renseignement américain et de ses déficiences. L’auteur connaît trop les aléas de son métier pour prétendre qu’une autre politique aurait permis d’empêcher les événements du 11 septembre 2001, mais il estime néanmoins que les services de renseignement américains ont négligé des secteurs qui sont par la suite apparus comme cruciaux (par exemple, selon Baer, quasiment pas de sources d’information dans les milieux islamistes radicaux de pays européens). Il dénonce également le rôle d’intérêts parfois troubles liés à des politiciens (à travers son expérience de figures proches des milieux pétroliers) et qui interfèrent avec le travail des services. Tout cela représente évidemment un sujet d’intérêt principalement pour le public américain.
La question du terrorisme occupe cependant un nombre important de pages, d’autant plus que Baer fut en poste au Liban et dans des pays voisins dans les années 1980. Il décrit le contexte des attentats contre l’ambassade américaine à Beyrouth et d’autres cibles occidentales ainsi que des prises d’otages – sans cacher sa conviction quant à l’étroite implication de l’Iran, pour lequel la fantomatique Organisation du jihad islamique n’aurait été qu’une couverture.
Mais pour qui s’intéresse au terrorisme, le livre mérite lecture avant tout par l’illustration qu’il donne du patient labeur qui conduit patiemment à reconstituer les pièces du puzzle permettant de remonter aux auteurs d’un attentat. Beaucoup plus que des actions spectaculaires, il s’agit de cultiver de multiples sources qui permettent de retrouver l’un ou l’autre détail, de corroborer des informations incertaines, d’identifier des personnes sur lesquelles on ne sait pratiquement rien.
Ce sont aussi des jours (et des nuits!) de travail d’analyse: dépouiller des dossiers, mémoriser des noms, établir des liens entre des éléments dispersés. A l’heure où gouvernements aussi bien qu’observateurs amateurs des phénomènes terroristes voudraient souvent des résultats rapides, le témoignage de Baer montre bien comment le travail efficace exige un effort dans la longue durée et une familiarité longuement cultivée avec un terrain difficile. Cela paraît relever de l’évidence: moins qu’on ne l’imagine, si l’on confronte cette approche idéale avec la réalité du fonctionnement d’un grand service de renseignement, telle que la décrit Baer.
L’ouvrage contient également plusieurs observations pertinentes sur les objectifs d’actes terroristes, qui ne visent pas seulement l’ennemi, mais sont également des “campagnes de recrutement“, souligne Baer. Il suggère de s’en souvenir à l’heure d’une présentation de Ben Laden comme “l’archi-ennemi“, une image qui lui garantit en même temps de voir affluer bien des jeunes en colère du monde musulman…
Robert Baer, See No Evil: The True Story of a Ground Soldier in the CIA’s War on Terrorism (nouvelle éd.), New York, Three Rivers Press, 2002, XX+292 p. Trad. française: La Chute de la CIA: les mémoires d’un guerrier de l’ombre sur les fronts de l’islamisme, Paris, Lattès, 2002, 392 p.
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