Après la victoire militaire contre régime des Talibans l’an dernier, la campagne contre le terrorisme conduite par les Etats-Unis semble avoir ralenti. A en croire des voix critiques, il est devenu difficile, au cours de l’année écoulée, de déterminer qui gagne la guerre contre le terrorisme. Oussama ben Laden, chef d’Al Qaïda, et le mollah Omar, chef des Talibans, sont toujours en liberté. Et après avoir conservé durant des mois un profil bas, Al Qaïda se trouverait à l’origine d’une récente vague d’attentats qui montrent que la campagne antiterroriste est loin d’être arrivée à son terme. Un rédacteur de RFE/RL se penche sur les développements au cours de l’année qui se termine.
Au cours des trois derniers mois, à travers le monde, nous avons pu observer une nette augmentation des attentats attribués à Al Qaïda ou à des groupes ayant des liens avec le réseau terroriste international dirigé par Oussama ben Laden. Ce réseau est soupçonné d’être impliqué dans l’attentat du mois d’octobre contre une boîte de nuit sur l’île indonésienne de Bali ainsi que de l’attaque contre un pétrolier français à l’aide d’une embarcation chargée d’explosifs au large des côtes yéménites. Le réseau terroriste est également soupçonné d’être lié à l’affaire du marine américain abattu alors qu’il s’entraînait au Koweit. Et il se trouve en outre accusé d’être impliqué dans le double attentat de la fin du mois de novembre contre un hôtel appartenant à des Israéliens au Kenya et contre un avion israélien non loin de là.
Bien que les deux missiles qui visaient l’appareil israélien aient manqué leur cible, le recours à de telles armes contre un avion civil est considéré comme un signe parmi plusieurs autres indiquant que Al Qaïda étendrait son champ d’action.
Selon des experts sur les questions de terrorisme international, la vague de violence survenue à travers le monde depuis le mois d’octobre représenterait un glissement dans la stratégie d’Al Qaïda et de ses sympathisants. Au lieu de s’en prendre à des cibles “dures” et bien gardées – par exemple des vaisseaux militaires américains, des ambassades, ou même le Pentagone – nous assistons à des attentats frappant des cibles civiles “molles”.
L’explosion survenue à Bali constitue l’attentat le plus meurtrier depuis les événements du 11 septembre 2001. Quelque 180 touristes – dont plus d’une moitié d’Australiens – y ont perdu la vie. Un touriste australien filma la scène sur une caméra vidéo quelques instants après l’explosion. “C’est horrible“, a-t-il expliqué. “Je n’ai jamais rien vu comme cela. C’est énorme. C’est terrifiant. Des gens brûlés partout. Il y a des morts. Il y a tout. Je ne peux tout simplement pas croire que c’est arrivé ici ce soir – ground zero.”
Dans les jours qui suivirent l’attentat de Bali, le président George Bush annonça que la vague émergente de violence semblait s’inscrire dans un nouveau modèle de terrorisme global. “Clairement, [pour ce qui est] des attaques de Bali, je crois que nous devons supposer que c’est Al Qaïda. Nous commençons à recevoir certaines informations qui sont plus affirmatives que cela. Mais j’attendrai notre propre analyse“, déclara le président des Etats-Unis.
Peu de jours après ces remarques, George Tenet, directeur de la CIA(Central Intelligence Agency), comfirma dans un témoignage devant le Congrès des Etats-Unis que des éléments opérationnels appartenant à Al Qaïda étaient soupçonnés d’avoir lancé une nouvelle vague d’attentats après avoir conservé durant des mois un profil bas. “Quand vous voyez les différents attentats qui se sont produits à travers le monde, de Bali au Koweït, le nombre de tentatives d’attentats manqués, les différents messages qui ont été émis par de hauts responsables d’Al Qaïda, vous devez bien supposer qu’Al Qaïda est entré dans une phase d’exécution [d’opérations] et a l’intention de nous frapper tant sur notre territoire qu’outre-mer. A mon avis, cela ne fait aucun doute“, expliqua Tenet.
Magnus Ranstorp, qui travaille au Center for the Study of Terrorism and Political Violence à l’Université de Saint Andrews (Ecosse), a déclaré à RFE/RL que les cibles “molles” frappées depuis le mois d’octobre semblent avoir été soigneusement choisies. “S’il s’agit vraiment d’Al Qaïda, nous sommes entrés dans une phase dans laquelle ils attaquent des cibles économiques et en particulier tentent d’ébranler les échanges commerciaux et la stabilité.”
Ranstorp estime que l’attaque contre le pétrolier Limburg et l’attentat de Bali semblent tous deux avoir été des opérations réussies du point de vue de leur impact économique. Il note également les conséquences considérables sur le secteur des assurances, certains marchés boursiers et l’industrie touristique dans le Sud-Est asiatique.
Outre les retombées économiques, la dernière vague d’attentats a suscité des doutes sur l’efficacité de la campagne antiterroriste dirigée par les Etats-Unis. En outre, des politiciens et enquêteurs européens estiment que la menace d’attentats terroristes contre des cibles européennes pas Al Qaïda et d’autres groupes islamiques radicaux est plus forte qu’ils ne l’avaient pensé au départ.
Cette conclusion vient après les témoignages lors des récents procès de personnes soupçonnées d’appartenir à Al Qaïda aux Pays-Bas et en Allemagne – ainsi qu’à la suite de la diffusion d’un enregistrement provenant d’Al Qaïda au mois d’octobre par la chaîne de télévision arabe Al-Jazira, dont le siège se trouve au Qatar.
Philip Sabin, expert des affaires de terrorisme au Department of War Studies du King’s College (Londres), déclare que, plus d’un an après les attentats du 11 septembre, les données recueillies par les services de renseignement sur le réseau Al Qaïda sont encore lacunaires. “Nous n’en connaissons pas assez sur Al Qaïda pour savoir dans quelle mesure le groupe est dominé par une hiérarchie centrale qui est au courant de tout et contrôle tout. Nous ne savons même pas si Ben Laden est vivant, par exemple. Il me semble vraisemblable que beaucoup d’initiatives soient prises à l’échelon local – y compris au sein même d’Al Qaïda – en saisissant des occasions qui se présentent. C’est la nature d’une organisation terroriste. Plus centralisée elle est, plus facile il devient de l’infiltrer et de la détruire“, commente Sabin.
Les reponsables américains soulignent qu’il y a eu des succès: des terroristes ont été tués ou arrêtés au cours de l’année écoulée. Un suspect important dans l’organisation Al Qaïda, Qaed Senyan al-Harithi (connu également sous le nom d’Abu Ali), a péri avec cinq accompagnants alors qu’il circulait en voiture au Yémen au début du mois de novembre. Cette attaque aurait été mise sur pied par la CIA. Deux autres figures clés d’Al Qaïda, Ramzi Binalshibh et Omar al-Faruq, ont été arrêtés l’un à Karachi et l’autre en Indonésie au cours des derniers mois.
Au début de cette année, on a également fait état de succès dans les efforts pour mettre un terme au financement international du terrorisme. Mais à l’automne, les experts occidentaux se montraient critiques quant au front financier de la guerre contre le terrorisme.
Selon une étude rendue publique au mois d’octobre par une task forceindépendante patronnée par le Council on Foreign Relations, les Etats-Unis et leurs alliés – dont l’Europe et l’Arabie saoudite – n’ont pas réussi à entraver suffisamment le réseau financier des groupes extrémistes.
Le rapport reprochait au gouvernement Bush de ne pas utiliser toute la puissance de l’influence américaine pour faire pression sur d’autres gouvernements afin qu’ils combattent le financement du terrorisme. Le document accusait également l’Arabie saoudite de ne pas vouloir prêter attention aux individus et organisations caritatives qui ont été les plus importantes sources de fonds pour Al Qaïda.
Le rapport conclut que, après un début énergique, les efforts actuels du gouvernement Bush sont “stratégiquement inadéquats” pour garantir la sécurité des Etats-Unis.
Le document Financing Terrorism cité ci-dessus peut être déchargé sous forme de fichier PDF:
http://www.cfr.org/pdf/Terrorist_Financing_TF.pdf
Les succès les plus visibles de la campagne contre le terrorisme dirigée par les Etats-Unis sont survenus dans les mois qui ont immédiatement suivi les attentats du 11 septembre 2001. L’expulsion du régime des Talibans de Kaboul et de Kandahar ainsi que la mise sur pied d’un nouveau gouvernement afghan pro-occidental dirigé par Hamid Karzai ont eu lieu au cours des dernières semaines de l’an dernier.
Depuis le mois de mars, quand les Etats-Unis ont lancé la dernière grande bataille importante contre une concentration de combattants d’Al Qaïda et des Talibans en Afghanistan, la campagne militaire semble s’être ralentie.
Une explication est que Washington s’efforce de bâtir un soutien intérieur et international pour une éventuelle campagne militaire visant à renverser le président Saddam Hussein en Irak, ou au moins pour éliminer les programmes d’armement qu’il est accusé de développer.
Une autre explication est que les dirigeants américains pourraient avoir été, au début, trop optimistes sur les chances d’éliminer Oussama ben Laden et le mollah Omar. Les lieux où se trouvent l’un et l’autre demeurent inconnus.
Un enregistrement audio de remarques qui auraient été faites par Ben Laden a été diffusé sur la chaîne Al Jazira au mois de novembre. Si cet enregistrement est authentique, il confirmerait que Ben Laden est toujours de ce monde. La voix que l’on peut entendre sur ce document revendique des attentats qui se sont produits cette année, y compris ceux qui ont eu lieu en Tunisie et à Karachi – et même la prise d’otages du théâtre de Moscou.
[…] Mais malgré des évaluations initiales en provenance de Washington qui ont jugé l’enregistrement authentique, d’autres analyses par des experts américains et européens ont émis des doutes à cet égard.
Ron Synovitz
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Publication originale: 13 décembre 2002.
Traduit de l’anglais par les soins de terrorisme.net