Tant le président Bush que le ministre de la Défense de l’Indonésie ont déclaré penser qu’il existait un lien entre le réseau terroriste Al Qaïda et l’attentat à la bombe qui a fait plus de 180 victimes à Bali à la fin de la semaine dernière. Bush affirme qu’il semble y avoir un modèle émergent d’attentats terroristes concertés, qui incluent les explosions de Bali, l’attaque contre un pétrolier français au large des côtes du Yémen et les récents attentats contre des marinesaméricains au Koweït. Correspondant de RFE/RL, Ron Synovitz examine de plus près les hypothèses selon lesquelles le monde se trouverait au milieu d’une nouvelle vague de terrorisme global.
Selon le président George W. Bush, une vague d’attentats violents survenus à travers le monde au cours des deux dernières semaines semble s’inscrire dans un nouveau schéma de terrorisme global.
Le 14 octobre, Bush a déclaré que ce modèle émergent comprend les explosions de bombes sur l’île indonésienne de Bali au cours du week-end, qui ont causé la mort de plus de 180 personnes, mais aussi les récents attentats contre des marines américains au Koweït et contre le pétrolier français Limburg au large des côtes du Yémen:
“Clairement, [pour ce qui est des] attentats à Bali, je pense que nous pouvons supposer qu’il s’agit d’Al Qaïda. Nous commençons à entendre certains échos qui sont plus affirmatifs que cela, mais j’attendrai notre propre analyse. Mais clairement, il s’agissait d’un attentat délibéré contre des citoyens qui aiment la liberté. Des citoyens de pays qui embrassent la liberté.”
Dans le passé, des responsables gouvernementaux indonésiens avaient publiquement rejeté les allégations selon lesquelles Al Qaïda disposait de cellules actives en Indonésie. Mais le 14 octobre, Matori Abdul Djalil, ministre de la Défense, a déclaré qu’il pensait qu’Al Qaïda était impliquée dans les explosions de Bali: “De façon générale, cela me semble être [l’oeuvre d’]un groupe professionnel. Même si beaucoup ont refusé de le faire, je ne crains pas de dire qu’un réseau d’Al Qaïda existe vraiment en Indonésie.”
Certaines autres sources officielles se montraient plus prudentes. S’adressant à des journalistes à Bali le 15 octobre, le président du Parlement indonésien, Amien Rais, a tenu à dire:
“Je dois respecter l’opinion exprimée par le ministre de la Défense, selon lequel Al Qaïda est très probablement impliquée dans l’attentat à la bombe de Bali. Mais, pour ma part, je ne veux pas mettre le doigt [sur ce groupe] maintenant, parce que nous devons d’abord travailler pour arrêter les personnes impliquées, ceux qui ont perpétré cet acte, les coupables, et ce n’est qu’alors que nous saurons avec certitude qui l’a commis.”
D’autres experts sur le terrorisme international estiment qu’il est trop tôt pour se dire certain qu’émergent de nouveaux modèles de violence de la part d’Al Qaïda. Parmi les partisans d’une analyse plus sceptique, Philip Sabin, professeur au Département de polémologie du King’s College de Londres:
“Si l’on s’en tient aux preuves directes pour l’attentat à la bombe de Bali, c’est probablement aller trop loin. Bien sûr, il y a eu une déclaration qui aurait été signée par Ben Laden – bien que cela paraisse très douteux – pour se féliciter de l’attaque contre le pétrolier [au large du] Yémen et qui semble, peut-être, impliquer une approbation de l’explosion de Bali. Mais, bien sûr, qu’un groupe terroriste revendique quelque chose ne signifie pas qu’il a réellement commis cet acte.”
Sabin pense que Bush est allé trop loin en liant Al Qaïda aux attentats de Bali alors que les experts du FBI et d’autres spécialistes de la lutte contre le terrorisme ne font qu’entamer là-bas leur enquête:
“Pour ce qui est de l’attentat en Indonésie, il est loin d’être clair qu’il s’agisse d’une action d’Al Qaïda. Beaucoup de choses se passent en Indonésie, depuis des décennies, qui pourraient conduire un groupe local [à commettre cet acte] – peut-être en se rattachant au message islamique d’Al Qaïda, mais sans lien avec eux.”
De fait, en Australie, le premier ministre John Howard a estimé que l’attentat de Bali avait été une opération soit dirigée par Al Qaïda, soit “inspirée par Al Qaïda“. Howard souligne que des rapports de services de renseignement montrent qu’Al Qaïda a des liens avec des cellules qui opèrent en Indonésie.
Sabin déclare que l’usage par Howard des termes “dirigé” et “inspiré” est nécessaire, parce qu’il manque des données sur le réseau Al Qaïda proprement dit:
“Nous n’en savons pas assez sur Al Qaïda pour déterminer dans quelle mesure le groupe est dominé par une hiérarchie centrale qui a connaissance de tout et contrôle tout. Nous ne savons même pas si ben Laden est vivant, par exemple. Il me semble vraisemblable que beaucoup d’initiatives soient prises localement – même au sein d’Al Qaïda proprement dite – en exploitant les occasions qui se présentent. C’est dans la nature d’une organisation terroriste. Plus elle est centralisée, plus il est facile de l’infiltrer et de la détruire.”
D’une part, explique Sabin, un attentat “inspiré par Al Qaïda” pourrait signifier une violence encouragée par la rhétorique anti-occidentale du groupe. Mais “inspiré par Al Qaïda” pourrait aussi inclure des terroristes désireux de l’imiter, dont les motifs pourraient être simplement d’attirer l’attention des médias internationaux:
“Le phénomène de l’imitation est bien connu. Une fois découverts, ceux qui ont commis l’attentat à la bombe de Bali doivent être sévèrement punis. Et tout motif qu’ils avaient doit être stoppé. Cela est crucial. Autrement, des groupes et des individus auront le sentiment que la terreur permet de parvenir à des résultats. Et ce serait la pire chose possible, parce qu’alors nous verrons vraiment des actes de violence par imitation.”
Directeur en charge du Centre pour l’étude du terrorisme et de la violence politique à l’Université de Saint Andrews, en Ecosse, Magnus Ranstorp a déclaré à RFE/RL qu’il n’est pas pour l’instant convaincu d’une implication directe d’Al Qaïda dans l’attentat de Bali. Mais si des preuves venaient confirmer un tel lien, un nouveau schéma d’activité terroriste émergerait alors bel et bien:
“Si cela est vraiment [l’oeuvre d’]Al Qaïda, nous sommes entrés dans une phase où ils s’en prennent à des objectifs économiques. Et en particulier en tentant de porter atteinte au commerce et à la stabilité.”
Ranstorp est d’accord sur le fait que l’attaque contre le pétrolier Limburg et les explosions de Bali correspondent à un modèle d’attentats visant à perturber l’activité économique:
“Avec l’attentat contre le pétrolier au large du Yémen, nous constatons qu’ils visent aussi à essayer de faire monter les prix. Cela a un fort impact sur le secteur des assurances et sur les économies. Nous pouvons observer maintenant, dans le sillage de l’attentat de Bali, que certaines bourses ont réellement essuyé un gros choc en termes d’impact économique de cet événement.”
En effet, les touristes étrangers ont commencé à déserter Bali depuis le week-end. Les répercussions vont probablement aussi avoir de dures conséquences économiques pour tout le reste de l’Asie du Sud-Est. Mahatir Mohammad, premier ministre de la Malaisie, a averti que cela allait porter atteinte aux investissements étrangers dans toute la région.
D’autres observateurs pensent que la déstabilisation et l’éventuelle fragmentation de l’Indonésie pourraient entraîner des troubles dans des pays voisins tels que les Philippines et la Malaisie – surtout s’il y a un regain d’affrontements interethniques et de nouvelles vagues de réfugiés quittant l’Indonésie.
Tandis que Washington a promptement établi un lien entre les attentats au Yémen, au Koweït et à Bali en les présentant comme des éléments d’un motif global émergent, les autorités américaines tendent au contraire minimiser tout lien entre le terrorisme et le tireur qui a tué ce mois neuf personnes dans la région de Washington.
Depuis l’an dernier, les autorités américaines ont averti qu’il pourrait y avoir sur le territoire des Etats-Unis nombre de cellules “dormantes” de terroristes formés par Al Qaïda. Au cours des semaines écoulées, un nombre croissant de suspects ont été arrêtés – y compris des citoyens américains – qui auraient été entraînés par Al Qaïda dans un camp situé à Kandahar, en Afghanistan.
Mais les enquêteurs de la région de Washington rejettent l’idée que le tireur pourraient être un terroriste formé par Al Qaïda, car les attaques visaient des individus plutôt que de grands cibles symboliques telles que le World Trade Center.
Bien que les attaques du tireur aient répandu la peur parmi les Américains ordinaires, Sabin déclare que les autorités américaines ont eu raison de ne pas provoquer une panique inutile aux Etats-Unis en lançant l’hypothèse de liens entre ces actions et Al Qaïda:
“Il n’est certainement pas possible d’exclure qu’il y ait quelque chose allant au delà d’un dérangement mental individuel derrière les attaques du tireur. Il est concevable qu’elles s’inscrivent dans un plan plus vaste. Cependant, nous devons être très, très prudents. Les théories du complot ont toujours tendance à fleurir – comme si une fantomatique organisation opposée à nos intérêts tirait les ficelles de chaque action commise autour du monde. A titre personnel, je juge très peu vraisemblable que le tireur de Washington soit motivé par autre chose que son propre sentiment pervers de satisfaction.”
Quelle que soit l’identité du tireur, les habitants de la région de Washington admettent ouvertement qu’il sont terrorisés et le tireur a perturbé leur mode de vie ordinaire.
Ron Synovitz
Source: Radio Free Europe-Radio Liberty – www.rferl.org – 15 octobre 2002.Copyright (c) 2002. RFE/RL, Inc. Reprinted with the permission of
Radio Free Europe/Radio Liberty, 1201 Connecticut Ave., N.W. Washington DC 20036.
Traduit de l’anglais par les soins de terrorisme.net et mis en ligne sur ce site avec permission.