La photographie a été publiée par tous les magazines et quotidiens du monde: un homme, les yeux bandés, entravé et emmené par des policiers en armes, dans une rue de Karachi. Ramzi bin al Shibh, un membre très recherché d’Al Qaïda, venait d’être arrêté. Selon de récentes informations que publie un service de presse spécialisé, les services de renseignement du Qatar seraient à l’origine de l’arrestation de l’islamiste yéménite – grâce à la surveillance d’un journaliste de la célèbre chaîne de télévision Al Jazeera…
Ramzi bin al Shibh était un homme très recherché: accusé par les services américains d’avoir partagé un appartement avec Mohammed Atta, le chef présumé du groupe terroriste entré en action le 11 septembre 2001, et d’avoir remis de l’argent à Zacarias Moussaoui, actuellement en prison aux Etats-Unis, Ramzi bin al Shibh aurait pu être, affirme-t-on, le vingtième homme de l’opération de septembre 2001, mais le refus répété de visas d’entrée pour les Etats-Unis l’en aurait empêché.
L’arrestation de Ramzi bin al Shibh est donc considérée comme un succès important. Plusieurs observateurs sont cependant curieux de savoir comment les enquêteurs ont trouvé sa piste. Selon des sources pakistanaises, ce serait un “passeur” arrêté le 9 septembre 2002 qui aurait dévoilé le repaire dans lequel logeaient les hommes d’Al Qaïda – huit Yéménites, un Pakistanais et un Eygptien.
D’autres sources laissent cependant entendre que la piste de Ramzi bin al Shibh aurait été trouvée en surveillant un journaliste de la chaîne de télévision Al Jazeera, dont le siège se trouve au Qatar.
Telle est la version qu’accrédite notamment la lettre d’information spécialisée Intelligence Online (26 septembre 2002). L’Egyptien Yosri Foda, journaliste qui a pu réaliser des entretiens avec plusieurs membres d’Al Qaïda, aurait été surveillé de près et aurait ainsi involontairement permis de localiser Ramzi bin al Shibh.
Comme on le sait, en raison de sa très forte audience dans le monde arabe et de l’indépendance qu’elle cultive par rapport aux autres médias de cette zone du globe, la chaîne Al Jazeera a souvent été choisie comme interlocutrice privilégiée par les proches de Ben Laden. A plusieurs reprises, des journalistes de cette chaîne ont été les seuls à réussir à recueillir les propos de figures importantes de la mouvance islamiste radicale.
Si cette explication de l’arrestation de Ramzi bin al Shibh est la bonne, Al Jazeera deviendrait paradoxalement victime de son succès, et l’on peut supposer que d’autres figures de proue d’Al Qaïda y regarderont à deux fois avant de lui accorder des entretiens.
Il peut d’ailleurs s’agir de l’un des buts recherchés. La surveillance de journalistes de cette chaîne dans des zones sensibles est certes probable. En même temps, il est possible que la diffusion de fuites selon lesquelles un journaliste aurait sans le vouloir permis de repérer le lieu où se trouvait Ramzi bin al Shibh vise aussi à faire hésiter les membres d’Al Qaïda à accorder des entretiens aux reporters de la célèbre télévision arabe. Les Etats-Unis n’ont pas toujours apprécié l’écho que la chaîne qatarie donnait aux déclarations de certains islamistes radicaux.
De son côté, Intelligence Online voit deux principales conséquences de l’arrestation de Ramzi bin al Shibh: d’une part, mettre hors combat un personnage qui jouait un rôle important dans les relations médiatiques d’Al Qaïda; d’autre part, identifier et détruire certains réseaux que Ramzi bin al Shibh connaissait bien, notamment au Yémen.
Le reportage de l’émission “Top Secret” d’Al Jazeera, dans le cadre de laquelle avait été interviewé Ramzi bin al Shibh (seconde partie du reportage), tentait de reconstituer, à travers l’itinéraire de Mohammed Atta, le chemin qui aboutit aux événements du 11 septembre 2002.
Sur le phénomène Al Jazeera, deux spécialistes arabes des médias qui enseignent dans des universités américaines ont tracé un portrait de la célèbre chaîne de télévision du Qatar. Mohammed El-Nawawy et Adel Iskandar, Al Jazeera: How the Free Arab News Network Scooped the World and Changed the Middle East |