Petit groupe fondé en Belgique et qui eut durant quelque temps des relations privilégiées avec Action Directe avant de s’en distancer, les Cellules communistes combattantes (CCC) commirent plusieurs attentats en Belgique en 1984 et 1985. L’une des explosions, le 1er mai 1985, causa la mort de deux pompiers. Pierre Carette, Didier Chevolet, Bertrand Sassoye et Pascale Vandergeerde furent arrêtés à Namur le 16 décembre 1985. On trouvera dans le texte ci-dessous quelques précisions sur le destin de ces quatre prisonniers des CCC. Peu après l’entretien que nous reproduisons, Bertrand Sassoye fut libéré de la prison de Lantin (10 juillet 2000). A l’heure où sont rédigées ces lignes d’introduction, Pierre Carette, chef des CCC, se trouve toujours en prison. Des actions de soutien organisées par des sympathisants (réunions d’information, manifestations…) ont régulièrement lieu pour réclamer sa libération.
L’entretien que nous reproduisons ci-dessous date de juin 2000. Il contient les réponses de Pierre Carette et Bertrand Sassoye à des sympathisants. La source de ce texte est le site suisse Revolutionärer Aufbau. Comme on le verra, l’entretien éclaire le cadre idéologique dans lequel évoluent ces activistes et offre également leurs commentaires au sujet de la pratique du terrorisme ainsi que leur position par rapport aux autres courants de l’extrême-gauche.
Les informations ci-après ne sont plus accessibles sur le site du Secours Rouge, mais le sont à partir d’Internet Archive: https://web.archive.org/web/*/http://www.secoursrouge.org [04.06.2016].
Pour lire les différents textes importants des CCC, il est recommandé de consulter la section du site du Secours Rouge belge qui leur est consacré:
http://www.secoursrouge.org/secoursrouge/ccc.htm
Ce site continue d’être régulièrement mis à jour, notamment lorsque Pierre Carette diffuse une déclaration ou quand des actions pour demander sa libération sont menées.
Comment vous décririez-vous en tant que personnes? Quand les gens pensent aux terroristes, c’est généralement à des hommes masqués avec des grenades à la ceinture et des idées bornées dans la tête. Le mot “terroriste” a une sorte de connotation négative. Vous sentez-vous bien quand on vous appelle “terroristes”?
Etre communiste, ce n’est pas seulement adhérer peu ou prou au marxisme ou avoir sa carte au Parti, c’est aussi une question d’identité, de “vision du monde”, de morale, d’attitudes au quotidien. Etre communiste, c’est d’abord être déterminé par des facteurs subjectifs tels que l’amour de la vie, le souci d’autrui, ou la sensibilité à l’injustice et à la misère. Et c’est ensuite, pour satisfaire réellement ces facteurs subjectifs, faire abstraction de toute subjectivité dans l’étude de la situation, dans l’établissement de choix stratégiques et dans leur mise en ‘uvre. Nous ne croyons pas que les révolutionnaires aient à choisir leur front ou leur méthode de lutte en fonction de leurs envies ou de leurs craintes. Ces choix doivent être faits en fonction d’une analyse objective et doivent être menés à terme sans faiblesse. C’est dans l’unité entre l’importances et la richesses ce points de départ subjectifs d’une part, et ce renoncement délibéré et méthodique à tout subjectivisme d’une autre, que se trouve la singularité des communistes. C’est du moins dans cet esprit qu’en tant que personnes, nous nous décrivons comme étant des communistes.
Le mot “terroriste” a aujourd’hui une connotation négative… on peut même dire que c’est tout ce qui lui reste vu qu’il n’a plus le moindre sens intelligible. Le mot “terrorisme” a longtemps servi à désigner l’action politique (et policière, et militaire) qui visait à obtenir un objectif par la terreur inspirée au peuple ou à la classe ennemie. C’est aujourd’hui un vocable qui sert à disqualifier politiquement tout ennemi qui a recours aux armes. Nous n’avons donc pas été surpris que l’action des Cellules soit qualifiée de “terroriste” par les partisans du régime, même si elle s’inscrivait dans le cadre d’une stratégie de guerre prolongée et non dans une logique de terreur.
Comment vous êtes-vous rencontrés et êtes-vous passés à pareilles actions radicales alors que différents activistes ne font jamais ce saut? Avez-vous fait l’expérience de choses que d’autres n’expérimentent pas, quand vous réfléchissiez à ces idées? Le choix de passer à la clandestinité a-t-il été vite pris?
Pierre animait un comité de soutien depuis 1976 avec les prisonniers de la Fraction Armée Rouge (RAF), Bertrand a rejoint ce comité en 1978. Puis nous avons participé ensemble à divers projets (principalement une revue théorico-politique et le soutien à des prisonniers) et finalement à la fondation des Cellules en 1983.
Qu’est-ce qui conduit des militants communistes à l’action illégale? L’analyse politique exclusivement. Plus exactement: l’analyse politique dicte des choix stratégiques qui peuvent impliquer l’illégalité. L’illégalité ne constitue pas un choix en soi, pas plus que la légalité. L’explication de la pratique illégale des Cellules tient exclusivement dans l’objectif de la révolution et dans le choix politico-stratégique de la “guerre révolutionnaire prolongée”. Par nature, la légalité est au service du système en place, une révolution ne peut se faire dans son cadre. La question est de savoir quand et comment il faut rompre avec cette légalité. Le bilan du mouvement communiste international montre que la lutte armée est indissociable de tout projet révolutionnaire authentique et à quelque niveau que ce soit du processus de lutte.
La clandestinité est généralement un pis-aller. L’idéal est que le révolutionnaire puisse vivre dans la réalité sociale tout en remplissant ses tâches illégales de façon clandestine. Bref: clandestiniser l’activité plutôt que la personne. Pierre a pu mener ponctuellement des activités illégales dès la seconde moitié des années 70, mais la police commençant à le tenir sérieusement à l’œil, il a dû passer à la clandestinité complète au début 1984, quelques mois avant la première action de propagande armée des Cellules. Outre la menace policière, l’ampleur du travail illégal peut aussi nécessiter un passage à la clandestinité complète. Bertrand est passé à la clandestinité complète en 1982 dans ce cadre. La clandestinité n’est pas un choix facile, mais, comme nous l’avons dit, c’est la lutte même qui dicte leur devoir aux révolutionnaires: à eux de se montrer ensuite conséquents. C’est donc cette volonté de servir au mieux les objectifs révolutionnaires qui, au niveau individuel et subjectif, nous a amenés sur le terrain de la lutte armée.
Avec quel objectif avez-vous commencé les actions? Quels étaient les principes de base des C.C.C.? Aviez-vous une idée du moment où vous alliez arrêter de mener des attentats?
En tant qu’organisation communiste, l’objectif des Cellules était de contribuer à la prise du pouvoir par les travailleurs organisés (“dictature du prolétariat”), à l’instauration d’un régime socialiste, seul capable de satisfaire harmonieusement les intérêts populaires en mettant l’économie au service de l’homme et non l’homme au service de l’économie, et cela dans la perspective de l’avènement d’une société communiste, d’une société de progrès, juste et fraternelle, sans classe et sans Etat.
La base idéologique des Cellules Communistes Combattantes était le marxisme-léninisme :
- le “matérialisme dialectique” comme conception philosophique (très sommairement: le monde n’est que de la matière en mouvement et en transformation);
- le “matérialisme historique” comme conception de l’histoire et des sociétés (très sommairement : la conscience sociale des hommes est déterminée par le type et les contradictions de la société dans laquelle ils vivent; le processus de naissance, de développement et de disparition des formes d’organisation sociale répondent à des lois historiques sur lesquelles les homme peuvent opérer);
- l’économie politique marxiste comme compréhension des lois de l’action et du développement des forces productives;
- le “socialisme scientifique” comme patrimoine d’enseignements et guide pour l’action révolutionnaire des travailleurs, dont les références centrales sont la Commune de Paris et l’activité politique de Marx et Engels (définition de la “dictature du prolétariat” comme objectif historique, fondation de la 1ère Internationale, etc.); l’expérience de la révolution soviétique et l’activité politique de Lénine (construction d’un parti de type bolchevik, du premier Etat socialiste, etc.); l’expérience de la révolution chinoise et l’activité politique de Mao Tsé-toung (stratégie de la “guerre prolongée”, “révolution culturelle” pour empêcher l’apparition d’une bourgeoisie parasite dans le cadre de l’Etat socialiste, etc.).
L’instauration d’un régime conforme aux intérêts historiques des travailleurs passe par une victoire sur la bourgeoisie (propriétaire des richesses sociales qui fait “tourner” la société à son seul profit), sur ses instruments de pouvoir (Etat, gouvernement, médias) et ses moyens de défense (justice, police, armée). Cette victoire ne pourra être remportée qu’à travers une activité révolutionnaire violente, de masse, consciente et organisée. L’activité des Cellules visait donc deux objectifs: l’implantation d’une lutte violente pour le pouvoir dans la lutte de classe en Belgique, et la fondation d’un embryon de ce Parti révolutionnaire nécessaire pour organiser les travailleurs conscients et guider la lutte.
La stratégie était celle de la “guerre révolutionnaire prolongée” qui, pour encore une fois résumer sommairement, se déroule en trois phases :
- la propagande armée (phase qu’appliquaient les Cellules) où les actions visent à montrer concrètement aux travailleurs mobilisés pour la défense de leurs intérêts de classe, et éc’urés par l’impuissance du réformisme, que la lutte révolutionnaire est juste, nécessaire et possible;
- le “harcèlement” où les forces révolutionnaires nées de la première phase, et regroupant l’avant-garde du prolétariat, se développement et s’aguerrissent dans la lutte, et se présentent aux yeux des larges masses comme une alternative politique réelle;
- “l’assiègement” où ces forces étendent leur influence sur la société, constituent un véritable contre-pouvoir, et isolent la bourgeoisie et ses mercenaires policiers, politiques ou médiatiques; le couronnement de cette stratégie étant la prise de pouvoir par une insurrection de masse.
Avez-vous jamais eu l’impression que vous étiez allés trop loin avec une de vos actions?Les avis divergeaient-ils à ce propos dans le groupe?
Les Cellules se sont constituées autour d’un projet bien défini. Elles ont pu éviter les tâtonnements et les revirements qui se produisent dans des initiatives constituées spontanément et empiriquement dans la lutte. La mise à l’épreuve des faits du projet initial a apporté des enseignements, donc engendré des discussions, mais les orientations générales ont d’autant moins été remises en cause que l’expérience démontrait leur validité: la propagande armée portait bel et bien ses fruits!
Si la question fait référence au drame qui a entaché l’action du 1er mai 1985 contre la FEB, il nous faut dire que cela a provoqué une enquête et une autocritique au sein de l’organisation (qui s’en est d’ailleurs expliquée publiquement à ce moment). Mais cette autocritique ne visait pas le principe de l’action, son opportunité ou son objectif, elle visait l’organisation concrète de l’attentat (le fait de s’être “reposé” en partie sur la gendarmerie pour assurer l’évacuation de la ruelle).
Le débat le plus sérieux a eu lieu pendant la troisième campagne d’actions (fin 1985), lorsque l’organisation a pris conscience d’un déséquilibre existant entre sa pratique de propagande armée et le travail de valorisation des fruits de cette propagande. En bref: les Cellules consacraient trop de force aux actions et trop peu au travail d’implantation, de développement, de recrutement, de formation, etc. Le blitz policier est survenu avant que l’organisation ait pu mener à terme la critique de sa dérive militariste, dérive qui est largement responsable des effets dévastateurs du blitz.
On reproche souvent aux C.C.C. qu’elles étaient structurées hiérarchiquement, avec Pierre Carette comme leader incontesté du groupe. Comment selon vous est-on arrivé à cette idée? Est-ce parce que Carette était le plus âgé du groupe et prenait souvent des initiatives? Le groupe a-t-il connu des situations de crise du fait de situations hiérarchiques?
L’expérience historique a montré que l’organisation, structurée, centralisée et disciplinée des forces révolutionnaires est un élément capital du succès révolutionnaire. On ne peut envisager de réussir la conquête du pouvoir, et encore moins de construire une société nouvelle, par l’action anarchique d’une myriade d’initiatives isolées et indépendantes. Un parti de type léniniste est nécessaire.
Au niveau interne, le parti léniniste fonctionne selon le “centralisme démocratique”. Chacun participe en toute liberté à l’élaboration de la ligne politique, qui est sanctionnée par l’aval d’une majorité lors d’un congrès. Une fois adoptée, elle est appliquée strictement par tous; même ceux qui ont été mis en minorité dans les débats la défendent sans aucune réserve. C’est ainsi que le centralisme démocratique garantit la richesse du débat politique et l’efficacité optimale du parti révolutionnaire comme véritable machine de guerre.
La taille modeste des Cellules n’imposait pas encore une application conventionnelle du centralisme démocratique (avec congrès périodiques, projets de résolutions alternatives, etc.), mais l’organisation fonctionnait déjà dans cet esprit. Quiconque aurait prétendu à un rôle de “leader incontestable” se serait retrouvé exclu. Les décisions étaient prises à la suite de débats, le plus souvent par accord général et parfois, lorsque cet accord était impossible, majorité contre minorité. Il est arrivé à Pierre de se retrouver dans la minorité et cela n’a jamais posé problème.
Les problèmes apparaissent quand on renonce à ce fonctionnement, ça peut déboucher sur une crise faisant le jeu de l’ennemi. Ainsi par exemple notre collectif de prisonniers a fonctionné efficacement des années durant et n’a donné à l’ennemi l’occasion de remporter un succès que lorsque Didier Chevolet a renoncé aux principes du centralisme démocratique, n’a plus accepté les décisions majorité contre minorité, et a décidé de développer son point de vue individuel aux dépens d’une orientation collective, donc aux dépens de l’intérêt commun.
Que pensez-vous du système pénitentiaire belge?
Nous avons avez vu de l’intérieur, en quinze ans, pour remplir des pages et des pages sur la misère, la brutalité, le désespoir, les trafics, l’arbitraire, etc., qui règnent en maître dans l’institution pénitentiaire. Mais la prison n’est finalement que l’aboutissement d’une justice, d’un système juridique.
Le droit et la justice ne sont que des instruments aux mains de la bourgeoisie, des armes finalement destinées à assurer sa domination sur la société. Ils servent à gérer et défendre un ordre fondé sur l’exploitation, sur l’oppression, sur le vol et le meurtre organisés à l’échelle internationale. Cette société est entrée dans sa crise historique, ses contradictions ne peuvent aller qu’en s’exacerbant, et la bourgeoisie ne peut y faire face qu’en renforçant la répression ‘ et même en la rendant préventive. Derrière toutes les manipulations de la conscience sociale sur le thème de la “justice plus près du citoyen”, il y en réalité “un flic derrière chaque citoyen”, un retour de la loi du talion, une liquidation des droits de grève et de manifestation, et l’institutionnalisation de la délation.
Pascale Vandegeerde, militante des C.C.C., qui a subi un emprisonnement d’une durée jamais vue en Belgique pour une femme (14 ans), a été libérée sous conditions le 4 février 2000. Sa libération a été assujettie à plusieurs exigences, comme celle de n’avoir aucun contact avec “l’extrême-gauche”. Pouvez-vous préciser ce que sont ces exigences? Et qu’en pensez-vous?
La libération de Pascale n’a été assortie d’aucune condition extraordinaire, et certainement pas celle de n’avoir aucun contact avec “l’extrême-gauche”. Les conditions ont été celles habituelles du droit commun : avertir le bourgmestre lors d’un déménagement, répondre aux convocations des services de suivi du ministère de la justice, etc. ‘ mais aussi ne pas fréquenter d’anciens détenus (et donc nous, par voie de conséquence). Seule cette dernière condition pose vraiment problème. Renoncer à la liberté d’association, ce qui nous empêcherait de mener à l’extérieur un travail politique ensemble, équivaudrait objectivement à une condition politique. Nous ne l’accepterons donc pas.
Pour Pascale, en février, la question ne se posait pas concrètement : nous allions rester en prison, notre fréquentation était impossible avant longtemps. Elle se positionnera sur ce plan lors de nos libérations.
Didier Chevolet est libre depuis peu, il a renié les idées et les moyens des C.C.C. et souhaité que son cas soit traité de façon individuelle et apolitique. Comment ressentez-vous sa libération? Les médias ont tenté de dépeindre Vandegeerde et Chevolet comme des “suiveurs”, etc., etc. D’où cette stratégie de les décrire comme de parfaits idiots aujourd’hui alors qu’on désignait les C.C.C. comme une bande de monstres lors de vos arrestations, que la peine de mort était requise, etc. Est-ce la dernière preuve que la presse belge aussi fait une politique qui est influencée par les forces du capital?
Didier Chevolet était un militant qui a donné de nombreuses preuves de son courage et de ses autres qualités, dans la clandestinité comme dans la prison, lors des grèves de la faim par exemple. Voir un militant de cette trempe réduit à mendier sa liberté au prix de celle de ses camarades est d’une infinie tristesse. Nous avons un terrible mépris pour la misérable petite clique de fonctionnaires qui, année après année, a mené ses sales petites combines pour ainsi avilir un homme à la cheville duquel pas un seul d’entre eux n’arrivait. Vraiment, ils ont de quoi être fiers…
Le procédé qui consiste à trouver des “bons” et des “méchants” pour justifier une politique répressive contre les seconds, est vieux comme le monde. Au procès, les quatre militants des Cellules étaient les “méchants”; les deux repentis du FRAP étaient les “bons”. Ce procès-amalgame avait été conçu précisément pour justifier une répression féroce contre nous au moyen d’une clémence envers les autres; cela donnait une impression d’équilibre.
La presse belge n’est pas “influencée” par le régime, elle fait partie du régime. Les journalistes ont leur place dans ce système, un honnête salaire, un prestige social. Pour eux le système n’est pas intrinsèquement injuste, il souffre de “dysfonctionnements” et d’imperfections qu’ils sont précisément là pour critiquer, etc. Rien d’étonnant à ce qu’ils fassent bloc avec le système, à ce que le moindre pas en dehors d’une logique de conciliation leur fasse pousser des cris d’effraie. Qu’on se souvienne de l’hystérie médiatique qui a suivi la paire de claques reçue par le curateur de Clabecq! C’est à un point tel que certains ne peuvent même admettre l’existence d’une initiative révolutionnaire! A leurs yeux, il ne peut y avoir que complot ou manipulation. Et ce qui est vrai des journalistes est aussi vrai d’organisations humanistes bourgeoises comme la Ligue des Droits de l’Homme, Amnesty International, etc.
Vous êtes tous les deux prisonniers depuis presque quinze ans, dont une période de trois années à l’isolement total, une période où l’on ne vous reconnaissait même pas de droits en tant qu’êtres humains. Les autorités essayaient d’exercer une influence sur vous, elles ont réussi à séparer Didier Chevolet des trois autres prisonniers des C.C.C. Dans quelle mesure les autorités ont-elles eu un impact sur votre entente?
Nous n’avons ni plus ni moins d’accord et de désaccord qu’auparavant. Naturellement cette succession de combats communs renforce le sentiment de fraternité de lutte, mais au bout du compte, nous nous apprécions et agaçons l’un l’autre autant qu’avant la détention. Les man’uvres des autorités n’ont pas d’impact à ce niveau-là. Elles ont juste un effet pratique: elles nous incitent à faire bloc.
Pourquoi êtes-vous restés attachés à la nécessité de la lutte armée après vos arrestations?Vous étiez/êtes des prisonniers politiques. Pourquoi ce choix qui très probablement détermine toujours votre peine de prison?
Le capitalisme ne nous paraît pas plus acceptable qu’il y a quinze ans. Les capitalistes ne nous semblent pas moins décidés à massacrer, exploiter, affamer et humilier les peuples pour assurer leurs profits. La gauche et l’extrême-gauche légale et réformiste sont toujours aussi impuissantes face à ces capitalistes. La nécessité d’une lutte révolutionnaire nous semble donc toujours évidente, et une lutte révolutionnaire implique une confrontation violente avec le pouvoir. Nous le disons parce que nous le pensons. Nous savons que c’est ce que les serviteurs du régime nous font payer, mais qu’elle serait pour nous l’alternative?Aider les pisse-copies du régime, par notre démission, à proclamer que la lutte est vaine? C’est faux. Toutes les luttes ne remportent pas des victoires, mais les victoires ne naissent que dans la lutte.
“C’est une goutte d’eau dans un désert de misère” écriviez-vous dans vos réflexions sur les prisonniers sociaux. Receviez / recevez-vous encore toujours beaucoup de réactions d’autres prisonniers, qui sont parfois positives? Sentez-vous beaucoup de solidarité de la part d’autres prisonniers? Y en a-t-il aussi qui s’opposent à vous en raison de l’ignorance ou d’idées politiques différentes?
Nous recevons beaucoup de manifestations de sympathie de la part de prisonniers sociaux stupéfaits et révoltés de l’acharnement dont nous faisons l’objet. Notre résistance au système nous vaut un respect général. Mais cela ne se traduit pas en termes politiques, et le conseil que l’on nous donne le plus souvent est “Dis ce qu’ils veulent que tu dises, quelle importance?”. Les prisonniers fonctionnent selon le mode de la débrouille individuelle. Issus en grande majorité du lumpen-prolétariat (ou enfants de prolétaires – souvent immigrés – n’ayant jamais travaillé eux-mêmes), ils sont caractérisés par l’individualisme lorsqu’ils entrent en prison, et la prison fait tout pour l’encourager. C’est ainsi que la participation à un mouvement de protestation collectif sera réprimée plus durement qu’un racket ou qu’un trafic de stupéfiants. Tout le système carcéral fonctionne sur une logique de carotte et de bâton visant à la généralisation de la désolidarisation et du mouchardage. Les permis de visite, les congés pénitentiaires, les mutations ou les emplois sont accordés ou refusés dans le cadre de cette logique.
Quant aux rares cas où nous avons été confrontés à une opposition politique, ils n’ont jamais été plus loin qu’un simple échange de paroles faisant état de ce désaccord. En fait, les prisonniers se fichent de la politique, et nous faisons plutôt figure d’aimables Martiens…
Que pensez-vous de l’extrême-gauche aujourd’hui en Belgique? Avec quel groupement ou tendance avez-vous le meilleur contact’?Recevez-vous beaucoup de réactions écrites de personnes en Belgique ou à l’étranger?
L’extrême-gauche en Belgique, et particulièrement le PTB, a réagi à l’apparition des Cellules d’une manière assez hystérique, en niant tout simplement leur réalité. Il ne pouvait pas y avoir une initiative comme celle des Cellules en Belgique, donc cela devait être une manipulation, un complot, une provocation, etc. Il serait assez vain de faire le partage d’autisme sectaire (il n’y a de révolutionnaires que nous, le reste n’est qu’imposture) et de lâcheté politique (refuser la réalité des Cellules comme organisation communiste, c’était s’épargner un débat périlleux sur leur projet politique et stratégique) à l’origine de cette hystérie.
En violation de toute la tradition du mouvement communiste international (ainsi le Secours Rouge des années 30) qui veut que l’on soutienne les révolutionnaires confrontés à la répression bourgeoise au-delà des divergences, le PTB a poursuivi sa lutte contre notre organisation par une lutte contre ses prisonniers. Tout matériel, toute parole en notre faveur a toujours été proscrit dans sa presse, ses librairies, ses fêtes etc. (des diffuseurs de tracts ont été agressés etc.). On sait que le PTB hurle à la dictature fasciste dès qu’un de ses colleurs d’affiches passe la nuit au commissariat, son silence à propos de nos quinze années de prison n’en est que plus assourdissant.
La stratégie du déni (et ses corollaires: les mensonges et la diffamation) menée par le PTB est le prolongement naturel sa fameuse (quoiqu’inavouée) “stratégie du compas”. Lorsque l’on examine en effet le discours du PTB, on s’aperçoit qu’à l’intérieur d’un rayon de 300 km autour de Bruxelles, toutes les expériences de lutte armée sont des provocations des fascistes et de la CIA; entre 300 et 1000 km autour de Bruxelles, toutes les luttes armées (Action Directe, Brigades Rouges, etc.) sont des aventures irresponsables, gauchistes, petites-bourgeoises et par ailleurs manipulées; entre 1000 et 1500 km autour de Bruxelles, toutes les luttes armées (IRA, DHKP-C) méritent le soutien dans la cadre de la solidarité anti-impérialiste; et finalement au delà d’un rayon de 1500 km de Bruxelles, les luttes armées (ERP mexicaine, PC du Pérou) sont des modèles héroïques qu’il convient de soutenir sans faille et qui seule représentent vraiment les intérêts populaires et prolétariens, les autres n’étant que des lâches, des traîtres et des vendus.
Nous ne doutons pas que cette stratégie du compas se rencontre ailleurs; il se trouve en Turquie des gens pour dire que “la situation n’est pas mûres (à l’inverse du Pérou) pour la lutte armée”, il se trouve au Pérou des gens pour dire que “la situation n’est pas mûre (à l’inverse du Mexique) pour la lutte armée”, etc. Bref: “n’importe-où-sauf-dans-notre-pays-et-en-tous-cas-pas-aujourd’hui”, l’important étant ici d’organiser le 42ème barbecue pour financer l’achat de la 14ème “maison du parti”.
L’ensemble de l’extrême-gauche en Belgique fonctionne sur ce mode, mais à un degré moins hystérique que le PTB. Rares ont été les forces qui se sont solidarisées avec nous, même au pire moment de la répression, lors des grèves de la faim contre l’isolement par exemple. En fait, nous voyons dans la pérennité de l’attitude obtuse d’exclusion de l’extrême-gauche institutionnelle à notre égard la preuve que la lutte des Cellules (et notre résistance de prisonniers) représente encore et toujours pour elle un problème insurmontable: tout simplement celui d’une perspective et d’un engagement authentiquement révolutionnaires.
Avez-vous une explication au fait que la plupart des groupements menant la lutte armée aient des idées communistes? Avec quel groupement combattant actuel pouvez-vous vous identifier?
Le grand nombre d’organisations communistes armées s’explique par les raisons mêmes qui ont présidé à la naissance des Cellules: la combinaison d’une volonté de changements politiques et sociaux radicaux, avec les choix organisationnels et stratégiques qui donnent aux révolutionnaires les moyens de leur politique. Une des contributions essentielles de Mao Tsé-toung au socialisme scientifique a été de substituer la stratégie de la “guerre prolongée” à l’ancienne stratégie de préparation légale et “para-légale” de l’insurrection. Tous les marxistes-léninistes sont confrontés tôt ou tard au caractère universel des principes de la “guerre prolongée”. Pour citer une lutte dont nous nous sentons proche, aujourd’hui, en Europe, nous pourrions parler de celle du Parti Communiste d’Espagne (reconstitué) et des Groupes de Résistance Antifasciste du Premier Octobre qui ont, le mois passé, mené une demi-douzaine d’actions armées contre des entreprises de travail intérimaire.
Quand pensez-vous que vous serez libérés? Sera-t-il facile pour vous, après une si longue période d’emprisonnement, de vous réintégrer dans la société?
Il est difficile de dire quand nous serons libérés. Chaque mois qui passe rend le caractère politique et exceptionnel de notre détention plus évident, ce qui est positif, mais les forces militantes qui devraient dénoncer cette situation sont soit délibérément absentes, soit d’une grande faiblesse. L’institution des nouvelles Commissions de libération, “indépendantes”, complique aussi un peu la situation. Avant, nous avions face à nous une clique de fonctionnaires du ministère de la Justice qui obéissait sans s’en cacher à sa hiérarchie. Maintenant, nous avons des Commissions qui rendent des décisions “en toute indépendance” mais qui sont constituées de fonctionnaires du même ministère… Cette nouvelle situation peut avoir des effets positifs (il y a plus de jeu dans le dispositif ennemi pour les contradictions et les divergences de vue) comme des effets négatifs (le ministère peut dissimuler ses interventions derrière “l’indépendance” des Commissions).
La question de la réinsertion ne nous inquiète ni dans son aspect humain, ni dans son aspect matériel, ni dans son aspect politique. Nous avons su garder et développer des relations d’amitié et de fraternité militante malgré les efforts déployés pour nous isoler. Nos amis, parents et sympathisants ont déjà préparé le terrain en ce qui concerne la plupart des aspects pratiques. Quant à nos projets politiques immédiats, ils se situent dans le prolongement direct de ce que nous faisons aujourd’hui en prison: développement de l’unité de lutte des prisonniers révolutionnaires et des forces qui les soutiennent.
Pour conclure, voulez-vous encore parler de quelque chose quant auquel nous n’avons pas questionné dans l’interview?
Il y aurait beaucoup de choses à dire… Trop pour le cadre d’une interview. Nous nous bornerons à rappeler que les camarades peuvent nous écrire pour débattre avec nous directement. Rappelons aussi que nous avons exposé nos positions dans des documents tels que les déclarations au procès (où nous avons pu notamment développer nos thèses sur le droit et la justice), le débat avec Voie Prolétarienne (débat contradictoire que nous avons eu sur le thème de la stratégie révolutionnaire et de la “guerre prolongée” avec cette organisation communiste de France qui juge la lutte armée telle que menée par les Cellules beaucoup trop prématurée), ou le document intitulé La Flèche et la Cible (où dans le cadre d’un large tour d’horizon, nous nous sommes expliqués sur les principes fondateurs et les leçons de l’expérience des Cellules, etc…).
(Juin 2000)