Les attentats du 11 septembre, attribués à Al Qaïda, ont-ils marqué la naissance d’une forme nouvelle et plus virulente de terrorisme international? Beaucoup d’experts répondent positivement à cette question. Ils soulignent le caractère impitoyable sans précédent d’Al Qaïda, ils insistent également sur sa taille et sur ses buts afin d’expliquer que le groupe dirigée par Oussama ben Laden présente pour la communauté internationale une menace plus sérieuse que toute autre organisation terroriste antérieure.
Plusieurs experts affirment que les attentats de l’an dernier aux Etats-Unis n’ont pas seulement atteint une échelle sans précédent, mais annoncent l’irruption d’une forme nouvelle et plus violente de terrorisme international.
Ils déclarent qu’Al Qaïda, le groupe accusé d’être à l’origine de ces attentats qui ont fait plus de 3.000 morts et des milliards de dollars de dégâts, est plus impitoyable, plus ambitieux et mieux organisé que toute autre organisation terroriste l’ayant précédé.
Paul Wilkinson est un expert internationalement reconnu, qui travaille au Center for the Study of Terrorism and Political Violence, à Saint Andrews University, en Grande-Bretagne. Pour décrire Al Qaïda, il utilise l’expression de “nouveau terrorisme“. Selon lui, l’organisation représente pour la stabilité internationale une menace plus dangereuse que les anciens groupes séparatistes d’un genre plus traditionnel, tels que l’IRA en irlandaise ou le groupe basque ETA, ou encore que les groupes terroristes d’extrême-gauche, tels que les Brigades rouges en Italie. Al Qaïda “est une forme de terrorisme bien plus impitoyable, bien plus dangereuse que celle qui défiait la sécurité internationale et la sécurité nationale des Etats dans les années 1970 et 1980, et jusqu’au milieu des années 1990. Et je crois que nous avons sous-estimé l’émergence de ce ‘nouveau terrorisme’ au milieu des années 1990.”
Une différence importante: un groupe tel qu’Al Qaïda est prêt à provoquer des destructions à une vaste échelle: l’objectif n’est plus simplement, comme autrefois, de terroriser, mais de tuer un grand nombre de gens. “Le recours à la violence [par Al Qaïda] est beaucoup plus destructeur de vies humaines [et] beaucoup plus menaçant pour la paix et la sécurité que la violence traditionnelle des […] organisations terroristes plus anciennes, qui pourraient être appelées les organisations traditionnelles du terrorisme. Dans le cas du réseau Al Qaïda, son caractère impitoyable qui s’est manifesté le 11 septembre indique certainement que, si [ces gens] avaient accès à des armes chimiques, biologiques, radiologiques ou nucléaires, ils les utiliseraient sans remords“, explique Wilkinson.
Bien entendu, il est pratiquement impossible d’évaluer avec exactitude la menace que représente Al Qaïda. Publiquement, on ne connaît pas tellement de choses sur le groupe. Les experts ne parviennent même pas à se mettre d’accord pour déterminer dans combien de pays le groupe est actif ou combien de membres il peut compter. Le problème est compliqué encore par le fait que les gouvernements, les analystes et même – dans une certaine mesure – les journalistes ont des raisons de gonfler la menace présentée par Al Qaïda: cela renforce l’importance de leur propre travail pour combattre le terrorisme ou écrire à ce sujet.
Néanmoins, le jugement porté par Wilkinson sur Al Qaïda est largement partagé.
Professeur de politique internationale à la George Washington University (Etats-Unis), Bernard Reich est un expert renommé en matière de groupes terroristes. Ils nous a déclaré que, dans les années 1970, les groupes radicaux de gauche (Brigades rouges en Italie et Fraction Armée Rouge en Allemagne) étaient relativement petits et opéraient en s’appuyant sur une idéologie relativement bien définie – bien que radicale – de la gauche politique. “Dans les années 1970 et 1980, nous observions – en Europe, au Proche-Orient ou ailleurs – principalement de petits groupes, eet qui se concentraient sur une ou deux cibles étroitement choisies, selon qui ils étaient et ce qu’ils étaient. [Ils avaient une] idéologie plutôt définie pour changer un système en place ou changer un régime, ou encore changer quelque chose d’autre à un endroit particulier, mais rien de comparable à cette combinaison d’activité mondiale.”
D’après ce que l’on sait publiquement au sujet d’Al Qaïda – organisation à laquelle sont également imputés les attentats à la bombe contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie en 1998 – ses objectifs politiques paraissent plus larges que ceux des groupes terroristes précédents et sont liés à l’idéologie potentiellement plus explosive de l’islam radical.
Si l’on en croit les déclarations vidéo d’Oussama ben Laden et les preuves découvertes en Afghanistan, le groupe chercherait, dans une première étape, à chasser les troupes américaines installées dans le golfe Persique, à proximité des lieux saints de l’islam. Il vise également à renverser les gouvernements de plusieurs Etats arabes et musulmans qui collaborent avec les Etats-Unis et leurs alliés. Enfin, Al Qaïda cherche à établir le Califat, en d’autres termes un unique Etat islamique qui engloberait un grande partie de l’actuel monde arabe et musulman.
En comparaison, les groupes d’origine musulmane ayant des activités terroristes au Proche-Orient, par exemple le Hamas dans les territoires palestiniens et le Hezbollah au Liban, ont des ambitions politiques relativement modestes. Wilkinson commente: “Le projet d’Al Qaïda ne se limite pas à un seulEtat arabe. Pour l’essentiel, ce que veut Hamas est une république islamique en Palestine et la destruction d’Israël, bien sûr. C’est ce qu’ils veulent vraiment. Ce que voulait et veut encore le Hezbollah est une république islamique au Liban. Tandis que ce que veut Al Qaïda, en fin de compte, est rien moins qu’un califat panislamique pour tous les peuples musulmans.”
Auteur du livre Inside Al-Qaeda [paru en français sous le titre Al-Qaida, au coeur du premier réseau terroriste mondial – lire notre recension de cet ouvrage], Rohan Gunaratna a passé vingt ans à étudier les organisations terroristes. Il partage l’avis de Wilkinson selon lequel Al Qaïda pose un défi plus grand que les groupes terroristes antérieurs.
En effet, explique-t-il, l’islam radical, en tant qu’idéologie de motivation, attire potentiellement bien plus de gens que les idéologies gauchistes ou communistes des anciens groupes. Il ajoute que la taille potentielle d’Al Qaïda et sa structure d’organisation placent ce groupe à part. “Al Qaïda est le premier groupe terroriste multinational du 21e siècle. Il regroupe des membres de quelque 40 nationalités. Et il est présent dans au moins 94 pays. C’est pourquoi, afin de combattre Al Qaïda, il est nécessaire de disposer d’une organisation et d’une structure globales.”
Gunaratna fait observer que les anciens groupes terroristes étaient organisés verticalement, avec des dirigeants au sommet qui envoyaient des ordres et des structures inférieures à la base, qui les exécutaient. En contraste, Al Qaïda a une organisation horizontale, avec des cellules qui opèrent plus ou moins indépendamment les unes des autres. “Sa structure est pour l’essentiel une organisation plate, un réseau de cellules, plutôt comme une toile d’araignée. C’est pourquoi il est si difficile de détruire un groupe comme Al Qaïda. Il est tellement différent de tous les autres groupes que nous connaissons et qui ont une organisation très verticale.”
Selon Gunaratna, le sérieux d’Al Qaïda est mis en lumière par ses programmes d’entraînement pour ses éléments opérationnels et ses recrues. Les services de renseignement occidentaux ont obtenu des informations surtout grâce aux enregistrements vidéo retrouvés dans les camps d’entraînement d’Al Qaïda en Afghanistan. Gunaratna remarque que cet entraînement est beaucoup plus structuré que celui des groupes actifs au Proche-Orient ou en Amérique latine. “Al Qaïda connaît trois types d’entraînement: la formation de base, la formation avancée et la formation spécialisée. La formation de base est destinée aux recrues. La formation avancée s’adresse à ceux qui vont participer activement au combat, afin de les y préparer physiquement et mentalement. La formation spécialisée est conçue surtout pour ceux qui vont se livrer à des missions terroristes.”
Le danger est que de futurs groupes terroristes, encouragés par le succès d’Al Qaïda, imitent ses structures d’opération et d’organisation.
Wilkinson est d’accord avec cette analyse: Al Qaïda a ouvert le chemin à d’autres groupes, en montrant comment de nouvelles techniques (Internet, systèmes modernes d’armement…) pouvaient être utilisées au service d’objectifs terroristes. Il ajoute qu’Al Qaïda – qui peut s’appuyer sur la fortune personnelle de Ben Laden et sur les contributions de riches musulmans qui soutiennent sa cause – a fait tout cela sans avoir derrière soi les vastes ressources d’un Etat ou d’un gouvernement. “Vous pouvez utiliser de nouvelles techniques, comme l’Internet, comme le genre d’armes et d’explosifs qu’on aurait pu croire accessible seulement à des Etats dans le passé, dans le cadre de votre arsenal terroriste. A partir des données recueillies en Afghanistan, je pense que le réseau Al Qaïda fait et continue de faire de gros efforts non seulement pour acquérir du matériel detsiné des attentats chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires, mais aussi pour trouver les moyens d’en faire des armes utilisables“, précise Wilkinson.
Les experts estiment que les gouvernements qui combattent cette nouvelle forme de terrorisme devront adapter leurs stratégies à ces réalités nouvelles. Selon eux, il n’est plus possible pour des Etats d’agir seuls dans le combat contre la menace du terrorisme: une collaboration au plus haut niveau est nécessaire. “Nous ne pouvons faire cela sur la base d’une réaction unilatérale. Aucun Etat à lui seul – même les Etats-Unis, avec ses extraordinaires ressources militaires et économiques – ne peut éradiquer un réseau global aussi diffus. En dépit du succès des opérations militaires en Afghanistan, le réseau n’a pas été éradiqué. Pour l’éradiquer, il faut manifestement gagner la bataille du renseignement, découvrir où se trouvent les cellules et traîner les membres de ces cellules devant les tribunaux“, déclare Wilkinson.
Un défi sans précédent, observe Gunaratna. Et d’ajouter qu’Al Qaïda est une organisation universelle menant une campagne universelle. Sous l’angle de l’organisation, de la façon de définir ses cibles et de la manière de penser, “il s’agit d’un phénomène complètement différent de tous les autres groupes terroristes que nous connaissions.”
Mark Baker
Source: Radio Free Europe-Radio Liberty – www.rferl.org
Date: 2 septembre 2002
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Traduit de l’anglais par les soins de terrorisme.net