Si la force militaire israélienne est indiscutable, en revanche Israël n’a pas donné l’impression de remporter la bataille de son image médiatique ces derniers mois. Tant le gouvernement que différentes organisations privées s’efforcent de renverser le courant. Le contexte devient donc aussi celui d’une guerre de propagande, un facteur dont il faudra tenir compte en examinant les analyses et évaluations du terrorisme au cours des mois à venir.
“Israël lance l’offensive des médias“, annonçait la BBC le 19 avril 2002. Un centre très professionnel a été mis en place à Jérusalem pour fournir des informations aux centaines de journalistes qui couvrent le conflit – en nombre bien plus important que les effectifs habituels des correspondants de presse en Israël. Le terrorisme est bien sûr l’un des thèmes sur lequel ces efforts mettent particulièrement l’accent – il y a en effet eu plus de 600 victimes en moins de deux ans, selon les statistiques officielles, et des magazines israéliens publient régulièrement la liste des dernières victimes.
Les responsables israéliens ont en effet le sentiment que, malgré la condamnation des attentats suicides par tous les pays européens, la critique également émise envers la réplique israélienne donnerait l’impression que ces actes de terrorisme ne sont pas entièrement dénués de légitimité dans le cadre d’une lutte de libération nationale (Jerusalem Report, 22 avril 2002).
En outre, selon de récentes enquêtes menées aux Etats-Unis et financées par des organisations juives et donateurs privés, l’opinion publique américaine semble de plus en plus se lasser face à un conflit qui lui paraît aussi séculaire qu’insoluble et tend à renvoyer dos à dos Israéliens et Palestiniens. En dehors des milieux politiques et religieux (différents courants chrétiens fascinés par l’interprétation des prophéties en lien avec le Proche-Orient) traditionnellement favorables en Israël, le soutien à l’Etat hébreu est en baisse – même si l’image d’Israël reste plus positive que celle de l’Autorité palestinienne. Tant le nombre des personnes exprimant leur sympathie pour les Palestiniens que celui des indifférents est en hausse. Parmi les “leaders d’opinion”, 36% considéreraient que le comportement d’Israël peut être qualifié de “terroriste”.
Alarmées par les résultats de ces sondages, dont les résultats détaillés ne sont d’ailleurs pas tous rendu publics, les organisations juives américaines espèrent réussir à contrecarrer cette ambivalence en finançant une campagne publicitaire de plusieurs millions de dollars “mettant l’accent sur la démocratie israélienne et les valeurs qu’elle partage avec les Etats-Unis, sur sa volonté de faire la paix et son importance comme allié stratégique des Américains” (Jewish Telegraphic Agency, 19 août 2002). L’argument du terrorisme (“Israël est un allié dans la guerre contre le terrorisme“, “seul un dirigeant palestinien qui choisit la violence plutôt que la terreur peut obtenir un Etat palestinien indépendant“) semble être du nombre de ceux qui peuvent faire vaciller certaines personnes dans leur approche du conflit.
“Délégitimer les pays arabes”
Dans un article publié par Guysen Israël News (21 juillet 2002), Yoav Djebali se réjouit que “le premier ministre Ariel Sharon ait compris que la communication est un point critique pour notre existence“. Il aurait compris que “la guerre de la propagande était tout aussi importante que la guerre sur le terrain“.
Selon l’article, le prochain but doit être de “délégitimer les pays arabes” – en insistant sur leur manque de respect des droits de l’homme et en brisant l’union qui, selon l’auteur, lierait depuis une vingtaine d’années les pays arabes, d’une part, et l’intelligentsia occidentale et les organismes de défense des droits de l’homme occidentaux, d’autre part. L’auteur suggère des “offensives ciblées sur l’Arabie saoudite“. De façon plus générale, il s’agirait d’inonder “les médias occidentaux de faits réels qui se passent dans ces régimes“.
Dans ses réponses à des questions posées par la même agence de presse (27 juillet 2002), Hervé Giaoui, président de l’Union des Patrons et Professionnels Juifs de France (UPJF), estime très important de lutter contre la “désinformation“, en poursuivant par exemple à plus large échelle la diffusion – déjà entamée dans des cercles privés – de reportages sur la situation des chrétiens dans les pays musulmans.
Outre des initiatives pro-israéliennes qui existent depuis déjà soit pour le contrôle des informations circulant dans les médias (par exemple CAMERA – Committee for Accuracy in Middle East Reporting in America, Honest Reporting…), soit pour diffuser des informations critiques à l’égard des Palestiniens (par exemple Palestinian Media Watch) ou des analyses bien documentées, mais destinées également à encourager une approche pro-israélienne (par exemple l’intéressant site du MEMRI – Middle East Media Research Institute), de nouvelles initiatives allant dans le même sens voient le jour actuellement.
Conséquences probables pour les analyses sur le terrorisme
Nous n’avons donc cité ici que quelques exemples recueillis dans l’actualité récente. Et cela pourrait avoir des conséquences pour notre terrain d’investigation. Il ne s’agit pas vraiment d’un phénomène nouveau, mais qui va probablement s’accentuer. Comme le faisait remarquer Andrew Silke dans un récent article (“The Devil You Know: Continuing Problems with Research on Terrorism”, Terrorism and Political Violence, 13/4, hiver 2001, pp. 1-14), la recherche sur le terrorisme souffre de déficiences identifiées depuis plusieurs années déjà: nombre de ceux qui y travaillent sont loin d’avoir la distance critique souhaitable, d’une part, et utilisent très largement des informations provenant de sources ouvertes, à commencer par celles qui sont fournies par les médias. En comparaison avec d’autres domaines académiques, l’utilisation de matériel déjà existant occupe une place considérable par rapport à la recherche originale; il est vrai que les enquêtes sur le terrorisme présentent des difficultés particulières qui expliquent en partie ces limitations.
Mais cela signifie que les efforts de propagande de différents camps et courants, surtout s’ils sont suffisamment bien conçus pour trouver des échos et relais dans des médias respectés, peuvent conduire à la diffusion d’informations orientées ou inexactes, qui seront ensuite reprises dans des publications spécialisées, surtout si elles viennent confirmer les préjugés de chercheurs.
Il convient donc d’exercer son esprit critique face aux informations qui circulent, en particulier dans le domaine du terrorisme: à l’heure de la “guerre contre le terrorisme”, ce n’est pas un souci limité au contexte du conflit israélo-palestinien que nous avons pris ici comme exemple…
Au cours des mois et années à venir, en analysant certaines nouvelles relatives au terrorisme, il sera plus que jamais nécessaire de garder en mémoire ce contexte plus large d’une guerre de propagande, à laquelle le thème du terrorisme se prête particulièrement bien.
Liste des victimes du terrorisme en Israël depuis septembre 2000:
http://www.israel-mfa.gov.il/mfa/go.asp?MFAH0ia50
Le sujet du terrorisme est très présent sur le site du Ministère israélien des affaires étrangères:
http://www.mfa.gov.il/mfa/home.asp