Parmi les développements les plus troublants de ces dernières années dans le domaine des techniques terroriste figure la rapide expansion du recours aux attentats suicides et autres “opérations de martyre”: un être humain accepte de se détruire pour atteindre une cible. Lors de deux récents colloques en Australie, des interventions d’experts ont apporté des informations sur ce sujet.

Le Parlement de l’Etat de Victoria accueillait le colloque du Global Terrorism Research Centre.
Les recherches menées par le professeur Riaz Hassan (Flinders University) éclairent ces développements et ont été présentées au mois de novembre à Melbourne, à l’occasion d’un colloque organisé par le Global Terrorism Research Centre de Monash University.
La semaine suivante, un autre colloque, celui-ci à l’Université d’Adelaide, a permis d’entendre les observations du chercheur américain David Cook (Rice University, Houston) sur l’impact et les leçons de l’expérience irakienne en matière d'”opérations de martyre”.
Une base de données: statistiques des attentats suicides
Les recherches du professeur Hassan s’inscrivent dans le cadre du projet Flinders University Suicide Terrorism (FUST). Une base de données recense tous les cas d’attentats suicides à travers le monde. L’analyse statistique met en évidence une rapide croissance des attentats suicides depuis le début de la présente décennie, avec un pic en 2005.
Si l’on considère tous les attentats suicides survenus de 1981 à 2006, la moitié d’entre eux ont eu pour cadre l’Irak. Un classement par nombre d’attentats suicides aboutit aux résultats suivants:
Irak, 652
Israël / Palestine, 217
Sri Lanka, 93
Pakistan, 49
Liban, 48
Afghanistan, 35
Russie / Tchétchénie, 32
Turquie, 19
A noter que le nombre d’attentats suicides marque une forte augmentation en Afghanistan et au Pakistan depuis 2006: le “classement” risque donc de changer dans les années à venir.
En pourcentage, seulement 4,1% des attentats commis entre 1981 et 2006 ont été des attentats suicides. Mais ils se révèlent particulièrement meurtriers: un tiers du total des victimes des attentats terroristes durant la période considérée ont péri dans des attentats suicides (bien entendu, ces chiffres incluent les événements du 11 septembre 2001). L’attentat suicide est devenu une technique choisie à cause de son potentiel plus meurtrier, souligne Riaz Hassan.
Cependant, tous les groupes qui recourent à l’attentat suicide utilisent aussi d’autres techniques: l’attentat suicide est une solution de dernier ressort.
L’efficacité de la technique de l’attentat suicide varie selon les régions, notamment en raison de la qualité variable de la formation reçue par ceux qui les commettent. En Afghanistan, les auteurs d’attentats suicides n’ont généralement reçu qu’un médiocre entraînement: 42% ne tuent finalement qu’eux-mêmes. A l’inverse, les auteurs d’attentats suicides en Palestine et au Liban sont souvent des personnes bien entraînées, qui causent donc un nombre plus important de victimes.
Les cibles varient en partie selon les possibilités “techniques” de les atteindre. Au Sri Lanka, la majorité des attentats suicides dans la période considérée ont visé les forces de police et représentants de l’Etat. En Israël, où il est beaucoup plus difficile d’atteindre les forces de sécurité, les principales cibles sont des civils.
La question se pose de savoir dans quelle mesure l’attentat suicide est une arme utilisée par ceux qui n’ont pas d’autres ressources militaires pour atteindre leurs buts: Riaz Hassan note que, au Liban, le Hezbollah n’a plus recouru à l’attentat suicide depuis 1989: au fur et à mesure qu’il s’est renforcé, il a abandonné cette tactique.
L’intérêt des recherches menées par Riaz Hassan est qu’il a également conduit depuis de longues années des recherches sur le phénomène du suicide en général. Ses recherches l’ont conduit à remettre en question les explications classiques du suicide comme fuite: selon lui, le suicide peut être utilisé pour atteindre des objectifs multiples. Si une telle observation s’applique au suicide sans objectif collectif ou politique, elle apparaît comme valable à plus forte raison dans le cas des attentats suicides ayant des motifs politiques.
Les attentats suicides à la lumière de l’expérience irakienne
Erudit polyglotte, David Cook est bien connu des experts pour ses travaux originaux sur les courants millénaristes dans le monde musulman ainsi que pour ses analyses du djihadisme.
Lors de son intervention au colloque d’Adelaide, Cook a rappelé les espoirs qui avaient été placés par bien des extrémistes musulmans dans les développements en Irak, où la situation leur semblait permettre de créer peut-être un Etat islamique. Ces attentes étaient cependant irréalistes, puisqu’elles ignoraient (voire niaient) la présence d’une majorité chiite dans ce pays.
Sans qu’il soit possible d’établir une statistique exacte, les attentats suicides auraient causé 14.000 à 20.000 morts en Irak. Ils se divisent en plusieurs vagues de 2003 à maintenant, avec des objectifs en partie différents. Ainsi, Zarqawi avait lancé une vague d’attentats pour diviser chiites et sunnites, surtout à Bagdad, non sans résultats. Après la mort de Zarqawi en 2006, l’objectif est plutôt devenu d’essayer de créer une base territoriale pour un Etat islamique en Irak (au nord de Bagadad).
La première conséquence des développements intervenus en Irak a été une “normalisation” des attentats suicides, explique Cook. Au départ, l’utilisation de cette pratique en Palestine avait suscité peu de besoins de légitimation, tant la cause palestinienne jouit d’un soutien parmi les musulmans d’autres pays. En revanche, les autorités religieuses tentaient de les confiner plus ou moins au conflit israélo-palestinien. L’explosion du nombre des attentats suicides en Irak, et en même temps leur diffusion à d’autres champs d’opération, ont fait sauter ces tentatives de limitation.
Pour affaiblir des forces militaires, le recours à la tactique des attentats suicides est un échec. En revanche, les attentats suicides sont un moyen efficace pour ébranler une société et tenter de la plonger dans le chaos, comme nous le voyons en Irak.
Cook souligne la croissance des attentats suicides commis par des femmes en Irak. En Palestine, il n’y avait pas beaucoup de raisons d’envoyer des femmes plutôt que des hommes. En outre, le chef spirituel du Hamas, Cheikh Yassine, était plutôt réticent à engager des femmes dans les “opérations de martyre”. A l’inverse, en Irak, l’année 2008 a vu une forte augmentation des attentats suicides commis par des femmes: Cook en a recensé pas moins de 45 au cours de l’année écoulée. Il reste à voir quel impact cela pourrait avoir ailleurs.
De façon générale, Cook constate que, à ce stade, deux pays manifestent déjà une forte assimilation des techniques utilisées en Irak: le Pakistan et l’Afghanistan. Même si, comme nous l’avons vu plus haut, ce n’est pas toujours avec la même efficacité quant au nombre de victimes.
Sur le thème “Radicalisation Crossing Borders: New Directions in Islamist and Jihadist Political, Intellectual and Theological Thought and Practice”, le colloque organisé par le Global Terrorism Research Centre (GTRC) s’est déroulé dans la salle du Parlement de l’Etat de Victoria les 26 et 27 novembre 2008. Le GTRC est issu de la Global Terrorism Research Unit, formée en 2002. En 2006, le GTRC a reçu un crédit de 1,2 millions de dollars australiens dans le cadre d’une initiative de l’Etat de Victoria pour développer les activités de contre-terrorisme.
Quant au colloque de l’Asia Pacific Futures Research Network, intitulé “Globalising Religions and Cultures in the Asia Pacific”, il s’est tenu à Adelaide du 1er au 5 décembre 2008, sous les auspices des trois universités locales: University of Adelaide, University of South Australia and Flinders University.