Comme Terrorisme.net a déjà eu l’occasion de le souligner à plusieurs reprises, la violence politique en Inde, et notamment le développement du maoïsme, méritent l’attention. Au cours des derniers mois, plusieurs médias internationaux semblent d’ailleurs en avoir pris conscience. Et les actions maoïstes ne se limitent pas à des actions de guérilla contre la police ou des forces paramilitaires: le recours à la terreur comme arme de combat est bel et bien au programme, ainsi que nous le révèle l’actualité des derniers jours. L’occasion de nous intéresser aussi à quelques débats au sein du mouvement maoïste en Inde.

Si le maoïsme n’est plus à la mode en Chine, il n’en va pas de même dans certaines autres régions du continent asiatique…
Dans l’Etat indien du Jharkand (l’un des Etats de l’Est de l’Inde nés de la division du Bihar en 2006), la mousson a été bonne cette année, après quatre années de sécheresse. Les agriculteurs devraient donc se réjouir. Pourtant, dans certains districts, certains d’entre eux n’osent pas aller cultiver leurs champs: les militants du Parti communiste de l’Inde-Maoïste (CPI-Maoist) ont en effet délimité à l’aide de drapeaux noirs de larges périmètres dans lesquels ils ont décrété l’interdiction des activités agricoles. Et les paysans visés ne veulent pas risquer leur vie pour aller cultiver leurs terres, même si la police est présente: d’ailleurs, aucun d’eux n’ose déposer plainte, et les policiers ne seront pas là pour toujours…
La “justification” des maoïstes pour ce décret est que la terre appartient aux pauvres. Ces derniers, bien entendu, souffriront tout autant que le reste de la population de la diminution des récoltes. A travers ces actions, les maoïstes visent plusieurs buts, notamment: susciter un ressentiment des secteurs les plus pauvres de la population; créer une situation dans laquelle se multiplieront les mécontents; affirmer leur influence sur des zones dans lesquelles ils exercent un gouvernement parallèle; montrer l’incapacité du gouvernement à protéger la population, ce qui incitera les habitants de la région à accepter leurs demandes futures. En menaçant de mort des agriculteurs s’ils cultivent leurs terres, les maoïstes mettent en place un climat de peur – et de soumission à leurs exigences.
Dans le Bihar, plusieurs incidents ont eu lieu ces derniers jours. Le 23 octobre 2006, dans le district de Champaram occidental, un attentat a détruit une centaine de mètre de voies de chemin de fer, interrompant le trafic. Un autre engin explosif placé sur une voie ferrée a été désamorcé à temps par la police dans le district de Gaya. En revanche, un bureau du département des affaires forestières a été la cible d’un attentat à la bombe. Pas de victime, mais un climat de panique.
Des incidents de ce genre sont régulièrement relatés en Inde, dans différents Etats, et montrent à la fois que l’activité maoïste ne faiblit pas et qu’elle affecte également des civils. Selon les statistiques soigneusement tenues à jour par le South Asia Terrorism Portal, huit civils ont ainsi perdu la vie suite à des actes de violence maoïstes en Inde dans la semaine du 23 au 29 octobre 2006.
Dans certains Etats, comme le Chhattisgarh, des groupes anti-insurrectionnels ont été constitués parmi des populations tribales. Les activistes s’opposant aux maoïstes deviennent des cibles de choix, et l’on entre dans une spirale de violence qui, finalement, démontre probablement surtout l’impossibilité pour les autorités de mettre un terme à la violence. C’est ainsi que le corps d’un membre du groupe Salawa Judum, une milice luttant contre les insurgés, a été découvert la semaine dernière dans le district de Bastar, particulièrement touché par les activités maoïstes: la victime avait apparemment été battue à mort.
Débats sur la stratégie maoïste au Népal
Les succès des maoïstes népalais ne sont pas étrangers au nouvel élan du maoïsme en Inde, qui est parvenu il y a deux ans à la fusion des deux principaux groupes maoïstes (il en demeure plusieurs autres plus petits et encore indépendants). Cependant, les positions des maoïstes indiens et népalais ne coïncident pas sur tous les points, malgré les sympathies mutuelles affichées et la participation à des organismes communs, comme en témoigne l’entretien accordé à la fin du mois de juin par le “camarade Azad”, porte-parole du Comité central du CPI (Maoist) au magazine pro-maoïste People’s March (entretien publié dans le vol:7, N° 6 & 7, juin-juillet 2006).
Le “camarade Azad” salue le succès des maoïstes et le mouvement populaire au Népal, mais il met en garde contre le risque que les “aspirations du peuple” soient trahies à travers l’alliance entre maoïstes et “partis bourgeois” au sein de l’Assemblée constituante. Il explique que les militants népalais ne doivent pas s’arrêter en route, se contentant de la “dictature démocratique du peuple” (sic) mise en place “brillamment” à l’échelle locale, mais poursuivre l’élan révolutionnaire afin de s’emparer des villes, qui restaient l’ultime bastion de l’ancien régime. Azad dit également son désaccord quant à une fusion entre les troupes maoïstes et l’armée, car ils ne seraient alors plus l’armée du peuple. Le porte-parole du Comité central du CPI (Maoist) explique que celui-ci a été “fortement troublé” par les affirmations du “camarade Prachanda”, chef des maoïstes népalais, selon lesquelles ces derniers seraient favorables à une démocratie multipartite avant la prise du pouvoir révolutionnaire par le prolétariat, donc dans le cadre d’une société “semi-coloniale et semi-féodale”. L’idée d’une coexistence pacifique avec les partis des classes dirigeantes est analysée par les maoïstes indiens comme une erreur, qui peut conduire à un dévoiement de la révolution et à sa récupération par les forces “bourgeoises”.
Comme modèles de gouvernement, le CPI (Maoist) voit la Commune de Paris, les soviets établis lors de la révolution de 1917 et les Conseils révolutionnaires en Chine, en contraste avec la “république parlementaire bourgeoise”. Sous prétexte de lutter contre le dogmatisme en proposant de nouvelles tactiques qu’ils proposent comme modèles pour les révolutions du 21ème siècle, les maoïstes népalais s’aventurent sur un terrain dangereux, estime le “camarade Azad”. Les maoïstes indiens sont probablement d’autant plus sensibles à ces réorientations tactiques qu’elles leur sont données en exemple par une partie de la gauche indienne pour les inciter à devenir plus “raisonnables”. – A vrai dire, rien ne garantit que l’approche adoptée par les maoïstes népalais soit autre chose qu’une tactique transitoire pour mieux progresser ensuite: mais, dans le contexte idéologique fort des mouvements marxistes, cela ne peut manquer d’entraîner des débats.
Maoïsme indien: une réévaluation en cours?
Que cela soit indépendant ou non des développements au Népal, les maoïstes indiens se trouvent cependant peut-être engagés eux-mêmes dans une discussion sur leur stratégie et leurs formes de lutte futures. En effet, selon un article publié dans le Times of India (21 octobre 2006), un document à usage interne, New Challenges: Our Perspectives, mettrait l’accent sur le nécessité de jeter un nouveau regard sur la situation indienne actuelle afin d’y adapter stratégie et tactique.
Cette réévaluation serait motivée par le caractère inégal des progrès du maoïsme à travers le pays, en raison d’une attention insuffisante aux conditions sociales dominantes. En outre, depuis les années 1990, les étudiants et ouvriers qui rejoignent la cause maoïste sont peu nombreux. Or, ces deux groupes ont joué un rôle majeur dans l’articulation idéologique du mouvement.
Rien ne permet cependant de savoir pour l’instant sur quelles éventuelles adaptations du maoïsme indien déboucheront ces discussions.