La Grande-Bretage a été ces derniers mois le théâtre de nombreux incidents liés au mouvement de libération des animaux: fermeture de la ferme de Darley Oaks (après un siège de plusieurs mois qui avait culminé dans la profanation de la tombe et le vol des restes de Gladys Hammond, la défunte mère de l’un des propriétaires de la ferme), condamnation à 12 ans de réclusion des activistes responsables de ce vol, bataille juridique autour de la publication sur Internet des noms d’actionnaires de GlaxoSmithKline (un géant pharmaceutique anglais qui travaille avec Huntingdon Life Science, une entreprise spécialisée dans les expériences sur les animaux et qui est depuis plusieurs années la cible principales d’activistes du mouvement de libération des animaux), limitation des possibilités de manifestation aux abords de l’université d’Oxford qui accueillera prochainement un laboratoire d’expérimentation, volonté affichée de Tony Blair de soutenir les scientifiques qui pratiquent des expériences sur les animaux. Il semblerait que nous assistions à un tournant crucial pour le mouvement: alors que jusqu’ici l’opinion publique semble avoir été favorable, différents sondages présentés dans le quotidien anglais The Daily Telegraph révèlent que l’opinion publique britannique a retiré son soutien aux activistes.
Les personnes interrogées devaient répondre à différentes questions ayant trait aux expérimentations sur les animaux ou aux incidents de ces derniers mois: plus de 70 % des sondés se sont déclarés en faveur de l’expérimentation de nouveaux médicaments sur les animaux avant leur usage sur les humains (fait qui avait toujours été contesté par les défenseurs des animaux).
Concernant les incidents de ces derniers mois et en particulier les peines de 12 ans de réclusion prononcées à l’égard des auteurs de la profanation de la tombe de Gladys Hammond – la défunte mère de l’un des propriétaires de la ferme de Darley Oaks, spécialisée dans l’élevage d’animaux de laboratoire – 45 % des personnes interrogées estimaient ces peines comme «correctes», alors que 40 % les trouvaient trop légères. Plus généralement, 77% des personnes interrogées pensent que les extrémistes doivent être qualifiés de «terroristes». Selon Alistair Currie, de l’Union britannique pour l’abolition de la vivisection (BUAV), l’extrémisme de certains membres de la mouvance de libération des animaux s’est retournée contre l’ensemble de la cause animale.
Il faut cependant relever que, même si le grand public rejette effectivement les formes d’activités les plus violentes, celui-ci ne rejette pas le fait de manifester de manière légale: ainsi dans le sondage, 93 % considèrent que les activistes ont le droit de manifester et de tenir des pancartes (88%).
Un moment de crise?
Il s’agit incontestablement d’un moment de crise pour le mouvement de libération des animaux: en effet, les éléments les plus radicaux semblaient avoir bénéficié jusqu’ici de la magnanimité du public. Qui plus est, le mouvement avait enregistré un certain nombre de succès ces dernières années (comme par exemple la fermeture de la ferme de Darley Oaks, Huntingdon Life Science – leader sur le marché de l’expérimentation animale et cible de nombreux activistes – a également été abandonné par de nombreux actionnaires). Ce changement d’opinion, ainsi qu’un renforcement possible des peines d’emprisonnement, vont probablement provoquer un certain découragement dans les franges violentes et une hausse du taux d’abandon au sein du mouvement.
L’histoire de la violence politique a cependant également démontré que c’est justement dans ces moments de crise que certains éléments, convaincus du bien-fondé de leur cause, peuvent se radicaliser. Même s’il ne s’agit que d’une supposition basée sur l’expérience faite avec d’autres mouvements politiques, la probabilité de prochains actes de violence léthale dirigée contre des être humains n’est donc pas à exclure.
De l’autre côté de l’Atlantique…
Il semblerait que le mouvement de libération des animaux – mais également le mouvement de libération de la terre – soit confronté à une situation similaire aux Etats-Unis.
Ainsi, malgré la courageuse tentative du journaliste Hal Bernton (Terrorisme.net a également soulevé cette question légitime) de discuter le qualificatif «d’éco-terrorisme» attribué aux franges violentes des mouvements de la libération des animaux (et de la terre) dans le Seattle Times du 7 mai 2006, le journal a corrigé son propos dans un éditorial intitulé «L’éco-terrorisme est réel» («Eco-terrorism is real», 23 mai 2006).
Certains activistes sont parfaitement conscients qu’il s’agit ici d’un moment-clé de l’histoire du mouvement: ainsi, Jeffrey Luers, condamné à 22 ans de prison pour avoir incendié trois SUV («sports utility vehicle»), déclare dans une interview que le mouvement écologiste radical (il faut comprendre ici les mouvements de libération de la terre et des animaux) est probablement arrivé à un moment-charnière de son histoire et qu’un certain nombre de personnes ont effectivement été intimidées par les lourdes peines de prison infligées aux activistes (son cas étant paradigmatique).
Le sentiment de la perte de soutien populaire par les activistes aux Etats-Unis se manifeste de différentes manières: d’une part, d’aucuns n’hésitent pas à comparer les efforts investis à l’heure actuelle par le gouvernement américain avec les efforts de ce même gouvernement contre la gauche ou l’extrême gauche dans les années 1940-1970. Ainsi, dans sa dernière édition, le magazine militant No Compromise n’hésite pas à qualifier la traque actuelle du gouvernement américain contre les mouvements de libération des animaux et de la terre, de «Peur du Vert» («The Green Scare», p. 14-19) sur le modèle de la «Peur du Rouge» qui avait profondément marqué l’Amérique entre 1940 et 1960 (et dont la chasse aux sorcières du sénateur McCarthy constitue l’un des épisodes les plus sombres).
D’autre part, dans un ordre de réflexion similaire, certains activistes et médias comparent ouvertement les méthodes utilisées actuellement par le FBI (opération «Backfire») au Counter Intelligence Programm (COINTELPRO), lancé par J. Edgar Hoover en 1956 (qui prit fin en 1971) et qui visait à «neutraliser» les groupes considérés comme une menace (on pense notamment aux Black Panthers) pour la sécurité nationale par le FBI par des moyens souvent illégaux (comme l’assassinat). L’opération « Backfire» visait à enquêter sur différents actes criminels liés aux franges violentes des mouvements de libération des animaux et de la terre et a mené à l’arrestation de 11 activistes impliqués dans différents «actes de terrorisme».
Arrestations et condamnations
Le sentiment de persécution éprouvé par les activistes est également le résultat de plusieurs arrestations et procès actuellement en cours ou ayant eu lieu:
* Le 13 juin 2006, six activistes de Stop Huntingon Animal Cruelty (SHAC) seront probablement condamnés à des peines assez lourdes (ceux-ci étaient responsables de la coordination et de l’entretien d’un site Internet qui incitait à des actes violents et à des manifestations contre l’entreprise Huntingdon Life Science et ses partenaires d’affaires). Trois des inculpés pourraient être condamnés à 23 ans de prison.
* Au mois de janvier 2006, un groupe de 11 activistes (le nombre s’élève depuis à 13) qui s’auto-nommaient «la famille» a été arrêté et inculpé (fruit des investigations menées lors de l’opération Backfire). Ce groupe serait responsable de 17 actions illégales perpétrées entre 1996 et 2001 et revendiquées «ALF» (Animal Liberation Front) ou «ELF» (Earth Liberation Front).
* Voici plus d’une année, Jeffrey Luers était condamné à 22 ans de prison pour avoir incendié trois SUV.
* En décembre 2005, Chris Mac Intosh, un activiste qui avait revendiqué l’incendie d’un Mc Donald’s comme une action conjointe de l’ALF et de l’ELF a été condamné à 8 ans de prison.
Dissensions au sein du mouvement
D’un point de vue idéologique, on assiste également à des dissensions au sein du mouvement. Ainsi, dans un entretien accordé à l’émission de CBS 60 Minutes, le docteur Jerry Vlasak, porte-parole du North American Animal Liberation Press Office, déclare: «les personnes qui torturent des êtres innocents devraient être stoppées. Et si elles ne s’arrêtent pas lorsque vous leur demandez poliment, et si elles ne s’arrêtent pas lorsque vous leur démontrez que ce qu’elles font n’est pas correct, dans ce cas, elles devraient être stoppées par tous les moyens nécessaires».
Les déclarations de Vlasak qui semble justifier le meurtre d’êtres humains pratiquant des expériences sur les animaux ou travaillant dans des abattoirs font l’objet d’une controverse dans la dernière édition du magazine militant No Compromise. Ainsi le Comité de rédaction du magazine se demande dans quelle mesure le docteur Vlasak peut parler au nom de l’Animal Liberation Front, «qui évite les actes de violence contre la vie en général» (p. 18). Se distançant des propos de Vlasak, le Comité le prie de ne plus «commenter publiquement les actions perpétrées par l’Animal Liberation Front ou tout de groupe de libération des animaux qui refuse expressement l’usage de la violence comme tactique» (p.19).
Dans sa réponse, Vlasak rappelle à juste titre qu’il n’est pas le premier à avoir défendu la violence contre des personnes (il cite ici les propos d’anciens porte-paroles de l’ALF). De plus contrairement au Comité de No Compromise, celui-ci est parfaitement conscient que, même perpétré contre des choses, les actions perpétrées par l’ALF constituent des actes violents, mais que, comme dans toutes les grandes causes, la violence peut constituer une étape indispensable à l’obtention d’une cause juste (p. 19).
Conclusion
Les dissensions au sein du mouvement de libération des animaux ne sont, comme le montre le Dr. Vlasak, pas nouvelles. Ainsi Ronnie Lee, le fondateur de l’ALF avait déjà défendu la violence pratiquée contre les êtres humains.
Cependant à un moment comme celui-là où le mouvement a) ne semble plus bénéficier d’un soutien populaire et b) est en proie à des pressions toujours plus fortes de la part des autorités, de telles dissensions pourraient amener de nouveaux développements, inconnus jusqu’ici…
Affaire à suivre.
Jean-Marc Flükiger