Les élections démocratiques en Irak et au sein de l’Autorité palestinienne, les élections semi-démocratiques en Egypte, et en particulier le rôle des Etats-Unis et des Frères, ont également suscité au sein des cercles jihado-salafistes une controverse et une ambivalence face à l’attitude à adopter vis-à-vis de la démocratie «occidentale». — Dans le texte dont Terrorisme.net publie aujourd’hui la traduction, Reuven Paz présente et analyse ces débats.
La victoire surprenante du Hamas lors des récentes élections parlementaires palestiniennes – les premières élections démocratiques à ce jour – ont soulevé un certain nombre de questions, en partie à cause du succès rapide du mouvement et de son ascension inéluctable vers le pouvoir. Ces questions sont en lien avec la future politique du Hamas, les prochains développements dans le conflit israélo-palestinien et l’existence même de l’Autorité palestinienne. De plus, il semblerait que le Hamas lui-même ne soit pas prêt à faire face à cette victoire écrasante et que la composition d’un gouvernement sans partenaires significatifs constitue un défi important pour le mouvement.
Le succès du Hamas dans des élections libres devrait être considéré comme un événement marquant au sein d’une opinion publique palestinienne hautement développée et d’une société pluraliste, imprégnée d’un sens de la démocratie – une culture politique plutôt unique dans la région. Les élections étaient également considérées comme une étape supplémentaire de la campagne américaine pour la promotion de la démocratie au Proche-Orient, en conformité avec le référendum sur la constitution irakienne, les élections parlementaires en Irak, et les pressions américaines en faveur d’élections parlementaires en Egypte.
Le processus démocratique a débuté en 1992 dans le monde arabe avec les premières élections libres en Algérie au cours desquelles le Front Islamique du Salut (FIS) a gagné la majorité. Elles furent suivies par des élections en Jordanie, où l’Action Islamique des Frères Musulmans a bénéficié du tiers des sièges. Les élections égyptiennes de décembre 2005 ont, depuis lors renforcé le pouvoir des Frères dans le pays malgré les efforts importants du gouvernement pour limiter leur pouvoir potentiel par des arrestations en masse et une politique d’intimidation. Les Frères Musulmans irakiens – le Parti islamique – soutenaient les élections en Irak malgré les controverses soulevées par la communauté sunnite et les nombreuses attaques contre ses membres et sa plate-forme opérées par les différents groupes jihadistes insurgés.
Ces quinze dernières années, c’est devenu presque une évidence de dire que les élections démocratiques libres dans le monde arabe ont marqué l’émergence d’éléments islamiques au détriment d’éléments nationalistes. L’une des premières raisons à cela est le vide idéologique laissé dans le monde arabe. En effet, l’islamisme prôné par le courant majoritaire des Frères Musulmans est pour ainsi dire la seule idéologie qui reste. En plus, les gouvernements et l’opinion arabes sont en crise, crise que l’on constate d’une part dans la prise de conscience de l’injustice sociale perpétuée par les classes dirigeantes, et d’autre part dans la façon presque apocalyptique dont de larges segments des sociétés arabes se sont imprégnés du vieux slogan des Frères, «l’Islam est la solution ultime» (al-Islam hua al-Hall). Pour l’heure, les élections palestiniennes semblent clore un processus qui a commencé en Algérie et au cours duquel les mouvements islamiques ont battu les mouvements de libération par des moyens démocratiques, comme l’illustrent le FLN algérien et l’OLP/Fatah palestinien.
Al-Qaïda et le Hamas
Les élections démocratiques en Irak et au sein de l’Autorité palestinienne, les élections semi-démocratiques en Egypte, et en particulier le rôle des Etats-Unis et des Frères, ont également suscité au sein des cercles jihado-salafistes une controverse et une ambivalence face à l’attitude à adopter vis-à-vis de la démocratie «occidentale». Qui plus est, Al-Qaïda, le jihad global (ou Jihadi Salafiyyah) ne constituent pas seulement une menace pour l’Occident ou des gouvernements locaux, mais également pour les courants populaires islamiques arabes affiliés à l’école des Frères. Dans le cas de l’Irak, les jihadistes semblent – pour l’instant – avoir adopté un consensus contre la participation dans les processus démocratiques, indépendamment de leurs formes.
Ceci dit, la victoire du Hamas – un mouvement jihadiste, même s’il est local et focalisé uniquement contre Israël – soulève un certain nombre de questions. Celles-ci n’ont rien de nouveau, mais sont le résultat d’une certaine ambivalence face au Hamas ces trois ou quatre dernières années (voir http://www.e-prism.org/images/PRISM_Special_dispatch_no_3-2.pdf). D’une part, le Hamas a focalisé l’essentiel de son activité terroriste contre «l’Etat juif» en respectant la doctrine jihadiste. Le mouvement a également servi de modèle au sacrifice jihadiste par le recours aux attentats-suicides et au martyre (Shuhada). D’autre part, le Hamas est considéré comme une forme de nationalisme palestinien, en menant un «jihad pour la patrie» et non un «jihad pour Allah». Pour de nombreux supporters du jihad global, le Hamas constitue également un obstacle à l’infiltration de l’Autorité Palestinienne par Al-Qaïda. C’est un mouvement qui coopère avec l’Iran chiite et le Hezbollah, qui a défendu Yasser Arafat jusqu’à sa mort en novembre 2004 et qui, plus récemment, a montré des signes de régression politique en acceptant et en maintenant une trêve avec Israël. Hamas est également une partie intégrante des Frères Musulmans, un rival sévère aux yeux des jihadistes salafistes avec leur doctrine que l’on pourrait qualifier d’«évolution plutôt que révolution». Les Frères ont également tendance à soutenir – du moins pour des raisons tactiques, étant donné les perspectives de victoire – les processus démocratiques dans le monde arabe.
Le jihadisme salafiste et la démocratie
L’interaction entre l’islam et la démocratie est d’une importante primordiale pour les groupes jihado-salafistes étant donné que l’opposition à la démocratie sous sa forme occidentale et le rejet des lois établies par les humains au profit de la loi divine sont considérés comme une doctrine sacrée. Le pouvoir dérivé d’êtres humains plutôt que d’Allah est une hérésie flagrante – Kufr. Ces dernières années, la question de la légitimité des élections est devenue un sujet des plus controversés du fait du questionnement de musulmans vivant en Occident s’interrogeant également sur la participation à des élections. Les ouvrages à ce sujet – et notamment ceux qui s’opposent à la participation de musulmans au processus démocratique – sont maintenant traduits par les chercheurs et autres groupes salafistes en anglais [1]. Etant donné la campagne américaine pour promouvoir la démocratie dans le monde arabe, les groupes jihado-salafistes ne voient pas seulement la démocratie comme une hérésie, mais comme partie intégrante de la nouvelle campagne colonialiste des «Croisés» – al-Hamlah al-Salibiyyah al-Jadidah – et de la conspiration historique contre le monde musulman. Cette vision est soutenue par des éléments islamiques plus modérés dans le monde arabe, spécialement les autorités religieuses égyptiennes et saoudiennes. Elle a également fait l’objet de controverses dans la période qui a précédé les récentes élections en Irak.
Nous devrions également garder à l’esprit que la démocratie constitue aussi une perspective menaçante pour la plupart des gouvernements arabes, qu’il s’agisse de royaumes ou de républiques. Les chercheurs nationalistes conservateurs perçoivent la démocratie comme un «impérialisme politico-culturel occidental», héritage d’un passé où l’Union soviétique et le socialisme arabe jouaient un rôle influent dans la région. Qui plus est, dans de nombreux pays arabes où ils sont les chefs de file de l’opposition – et donc opprimés – les mouvements islamiques sont les principaux défenseurs des libertés civiles, à commencer par le FIS algérien et le mouvement réformiste islamique saoudien.
Il existe de nombreux édits jihado-salafistes – des fatwas – publiés contre la démocratie et les élections parlementaires. Les défenseurs du jihad global ont fait un usage intensif de ces fatwas afin de critiquer les élections palestiniennes en général, et tout spécialement la participation du Hamas. Le 18 janvier 2006, le webmestre du Centre Al-Maqrizi à Londres, dirigé par l’islamiste égyptien Dr. Hani al-Siba’i a publié sur le site jihadiste Al-Hesbah une liste de 102 noms de religieux islamistes, pour certains déjà décédés (voir http://www.alhesbah.org/v/showthread.php?t=48196). Tous s’opposaient énergiquement à toute participation à des élections parlementaires dans le monde musulman. Cette liste avait pour objectif d’inciter le Hamas à ne pas prendre part aux élections. Y figuraient les noms de 52 Egyptiens, 22 Saoudiens, 5 Jordaniens (parmi lesquels «Cheikh» Abu Mus’ab Al-Zarqawi), 5 Syriens, 4 Marocains, 2 Soudanais, 2 Libanais, 2 Koweïtiens, 1 Irakien, 1 Nigérien, 1 Mauritanien et 1 Yéménite. La part dominante d’Egyptiens et de Saoudiens révèle leur rôle important dans le développement du jihadisme salafiste, résultat de l’intégration d’exilés égyptiens des Frères musulmans auprès de chercheurs wahhabites en Arabie Saoudite.
Quatre de ces noms étaient palestiniens, sans liens avec le Hamas ou les Frères. Deux de ses noms sont particulièrement intéressants – Taqi al-Din al-Nabahani et Abd al-Qadim Zaloum, fondateurs et deux premiers dirigeants du parti de la libération islamique (Hizb-ut-Tahrir). Un ancien leader du Tahrir – Ahmad al-Da’our – est affilié aux religieux jordaniens. Dans le débat sur les élections en Irak, en Egypte, et en Palestine, les défenseurs du jihadisme salafiste ont reconnu pour la première fois une certaine légitimité au Hizb-ut-Tahrir et ses positions contre la démocratie et les élections. Ces dernières semaines, le parti a publié et distribué plusieurs brochures en Palestine et sur ses sites Internet, appellant au boycott des élections palestiniennes et irakiennes. Plusieurs éminents membres du parti ont pris part aux débats sur les forums jihadistes et ont été salués pour leur position vis-à-vis des élections. Les partisans du jhadisme salafiste ont également utilisé du matériel rédigé par le parti, comme des fatwas, et les ont fait circuler sur les forums.
Le Hizb-ut-Tahrir a généralement été ambivalent dans son opposition aux élections, mais il a développé une opposition plus affirmée après les événements en Irak et en Asie centrale. Malgré le fossé idéologique entre le Tahrir et les groupes jihado-salafistes et les attaques de ces derniers contre le parti pour différentes raisons, la question de la démocratie et des élections pourrait fournir une base à des relations plus étroites à l’avenir. Même si le parti se considère toujours comme dans une phase théorique (nazari) et pas dans une phase pratique (‘amali), la dynamique du jihad global rapproche plus la jeune génération du Hizb-ut-Tahrir des idées jihadistes globales que des Frères.
Les édits jihado-salafistes les plus populaires auprès des opposants à des élections démocratiques sont ceux rédigés par l’auteur jordano-palestinien Abu Muhammad al-Maqdisi, le père spirituel d’Al-Tawhid wal-Jihad, par Abu Basir al-Tartusi, syrien exilé à Londres et par l’idéologue de longue date du jihad islamique égyptien – Abd al-Qader bin Abd al-Aziz [2]. Ces écrits ont été utilisés par des sympathisants jihadistes contre le Hamas à maintes reprises, même avant les élections.
Le meilleur exemple de critique du jihadisme salafiste contre le Hamas est un article – publié sous la forme d’un entretien – d’Abu Jandal al-Azdi, un religieux saoudien et l’un des premiers leaders d’Al-Qaïda en Arabie Saoudite, emprisonné par les autorités depuis 2003 (voir http://www.tawhed.ws/r?i=1508&c=1573). Ses critiques les plus importantes du Hamas se focalisaient sur le soutien à Arafat et la lutte nationale palestinienne. Arafat, selon Al-Azdi, était un Murtadd – la forme la plus sévère d’apostasie – et «un ennemi plus sérieux encore que les Juifs» qui aurait mérité d’être abattu. Le soutien du Hamas à Arafat était impardonnable aux yeux d’Al-Azdi, transformant le mouvement en une organisation d’infidèles. Le Hamas soutenait également Mahmoud Abbas Abu Mazen, le fameux «Baha’i» et menait des discussions ouvertes avec les services de renseignement égyptiens.
Pourtant, la critique principale d’Al Azdi – critique utilisée largement par les défenseurs du jihad global durant la période qui a précédé les élections palestiniennes – résidait dans la distinction opérée par le Hamas entre les «ennemis internes» et les «ennemis externes», distinction adoptée de la doctrine des Frères Musulmans. Al-Azdi citait Abu Qutada qui écrivait : «Le jihad des Frères Musulmans n’a qu’une signification et une interprétation – le jihad contre les étrangers. Les Egyptiens devraient se battre contre les Anglais, les Palestiniens contre les Juifs, les Afghans contre les Russes. Les Frères n’ont jamais pensé à se battre contre ses ennemis arabes, étant donné qu’ils manquent d’une base légale pour une telle lutte, laquelle serait l’interprétation salafiste (des compagnons du Prophète) du Tawhid.
Abu Jandal al-Azdi rejettait également l’idée d’une quelconque trêve – Hudnah – avec les juifs et Israël, à moins de ne reconnaître les conditions strictes du salafisme. Pourtant, il concluait son article en «ouvrant une porte» au Hamas, en se focalisant sur le principe selon lequel «les bénéfices de la paix – Sulh- dans l’intérêt des musulmans pourraient être plus importants que la guerre. Dans un tel cas, il est également possible de prolonger la trêve pendant plus de 10 ans». Le principe islamique traditionnel de «bénéfices pour la communauté» est également applicable dans le cas des jihadistes salafistes, et pourrait également servir de principe pragmatique.
Les réactions à la victoire de la victoire électorale du Hamas
La victoire électorale récente du Hamas a provoqué un débat engagé sur les forums jihadistes, qui a quelque peu perdu de sa superbe du fait du «jihad virtuel» actuellement mené contre le Danemark. L’éclatante victoire du Hamas a renforcé l’ambivalence des réponses salafistes. Des déclarations antérieures des leaders du Hamas, et les réactions israéliennes, américaines et européennes ont cependant contribué à générer des critiques vis-à-vis du mouvement. Les membres des forums ont en particulier exprimé leurs craintes de voir le mouvement changer sa politique pour entrer dans un processus politique avec Israël.
La déclaration «d’ouverture» des critiques a été publiée par le religieux jihado-salafiste kuwaitien Hamed al-Ali, une personnalité très populaire parmi les jeunes supporters du jihad global. Dans un article sur le forum jihadiste Al-Hesbah en date du 27 janvier 2006 publié sous le titre «Le dilemme du Hamas», al-Ali attaque le Hamas, sans pour autant s’empêcher de le bénir pour son succès (voir http://www.alhesbah.org/v/showthread.php?t=49903). Selon al-Ali, la Palestine constitue le point de focalisation de la lutte jihadiste et l’endroit le plus complexe du monde musulman, «un microcosme de l’Umma dans son ensemble». Pourtant «la Palestine n’est pas la propriété des Palestiniens, c’est pourquoi ils ne peuvent décider par eux-mêmes la voie à suivre». Même si le Hamas mérite des applaudissements pour sa victoire et pour avoir gagné la confiance du public palestinien, «il a un grand besoin de conseils et du tutorat de la nation musulmane». En d’autres termes, le Hamas a gagné une confiance qui appartient à la nation musulmane entière, et devrait donc consulter les autres islamistes pour prendre des décisions futures. Hamas devrait choisir la seule voie stratégique possible pour les islamistes – la résistance.
Selon al-Ali, en gagnant les élections et en renversant l’Autorité palestinienne, le Hamas se trouve dans un dilemme entre étranglement et destin partagé avec le Fatah de compromis avec les juifs. Selon al-Ali, le Hamas se trouve dans une situation contradictoire :
* Contradiction entre une idéologie islamique et une situation politique qui rejette cette idéologie. Chaque mouvement islamique qui suit «la voie de la démocratie» tombe dans ce piège.
* Contradiction entre les positions intransigeantes du Hamas concernant toute concession en Palestine et le besoin de les assouplir maintenant qu’il est au pouvoir.
* Le besoin de préserver les nobles valeurs de ses martyrs tout en préservant l’esprit de la lettre. Le Hamas ressemble maintenant à «un agneau assiégé par des animaux sauvages qui veulent le vider de son sang».
Pour résumer, al-Ali critique le Hamas pour sa décision de participer à un processus qui met le mouvement dans une situation presque impossible. Pourtant, il presse les autres islamistes d’aider le Hamas et de le guider sur la bonne voie, plutôt que de le condamner ou d’ignorer le dilemme dans lequel il se trouve. Cette modération pourrait être apparentée à une sorte de patronage qui devrait rappeler au Hamas que cette victoire n’est pas seulement la sienne, mais qu’il doit la partager avec le reste de la nation musulmane afin de prévenir des erreurs futures.
Certaines réponses à cet article n’ont cependant pas été rédigées aussi diplomatiquement. Les salafistes plus strictes sont incapables de pardonner au Hamas d’avoir désobéi aux règles édictées par Allah en participant à des élections. D’autres, cependant, se sont focalisés sur l’engagement social en faveur des Palestiniens et les difficultés à se battre simultanémenent sur tous les fronts. Certains en ont même appelé à réformer, par étapes, le projet d’islamisation de la Palestine. Se focaliser sur le bien-être des Palestinens est en soi une noble cause, et le Hamas est le seul mouvement capable de subvenir aux besoin des Palestiniens. Certains défenseurs du jihad global ont également formulé une critique intéressante : les Palestinens devraient se considérer comme une partie de l’ensemble de la nation musulmane opprimée et ne devrait pas considérer leur cas comme isolé, comme ils semblent le faire.
Conclusion
En règle générale, la plupart des réponses jihado-salafistes à la victoire du Hamas ont été critiques, étant donné que le Hamas est entré dans un processus contraire à la vision du monde du jihad global concernant la démocratie et les élections, aux principes de loyauté à Allah (Al-Walaa’ wal-Baraa’), à quoi s’ajoute la nature pragmatique des Frères Musulmans.
On peut supposer que les dirigeants du Hamas ignorent les critiques jihado-salafistes. Il existe pourtant une tendance croissante au sein des jeunes Palestiniens à adopter un certain catastrophisme, lié au soulèvement en Irak, au jihad global, et un certain nihilisme qui pourrait croître suite à la victoire historique du Hamas. Le premier site et forum palestinien jihadiste-salafiste a récemment été ouvert – AlOmmh.net – qui encourage la pénétration d’idées jihado-salafistes au sein de la population palestinienne et encourage les contacts entre Palestiniens et islamistes (voir www.alommh.net/forums). La victoire électorale du Hamas constitue un tournant pour plusieurs raisons. Les jihadistes salafistes aimeraient probablement inciter le Hamas à prendre des positions plus radicales, par le biais d’une infiltration lente au sein du public palestinien. Au cas où le Hamas changeait sa politique vis-à-vis d’Israël et abandonnait le terrorisme pour longtemps, les groupes du jihad global comme Al-Qaïda ou des éléments affiliés tenteraient de reprendre le flambeau du jihad pour établir des groupes affiliés dans les territoires palestiniens. Il faut garder à l’esprit que la nouvelle situation dans ces territoires pourrait sonner le glas du Fatah, initier des changements radicaux dans les forces de sécurité palestiniennes et créer de nouvelles alliances politiques, militaires ou familiales, sans parler d’une période intérimaire de chaos accompagnée d’une augmentation du chômage et des difficultés financières, et une situation généralement instable. De telles conditions pourraient représenter une opportunité en or pour le jihadisme salafiste pour trouver des supporters dans les territoires palestiniens, comme ils le font actuellement dans certains camps de réfugiés au Liban.
On peut également supposer que les questions de la démocratie et de la participation à des élections continueront à être des sujets controversés au sein du discours islamiste. La victoire du Hamas va probablement rajouter de l’huile sur le feu au débat et peut-être ébranler l’opposition persistente des groupes jihado-salafistes. Pourtant si le Hamas réussit, même partiellement, à offrir de meilleures conditions de vie aux Palestiniens, il pourrait devenir un modèle de réussite d’un gouvernement sunnite islamique. Les «bénéfices et les intérêts» du public musulman pourraient jouer un rôle pragmatique en faveur d’un changement de politique, peut-être pas aux yeux du noyau dur jihado-salafiste, mais au moins aux yeux des différents publics arabes.
Dans un certain sens, la victoire du Hamas pourrait constituer un tournant qui affectera de larges segments de la société arabe de la région, en particulier ceux qui sont influencés par les Frères Musulmans.
Reuven Paz
Références bibliographiques
[1] Voir par exemple : The Doubts Regarding the Ruling of Democracy in Islam, un ensemble de positions et d’édits salafistes publiés par Al-Tibyan Publications, Londres, 2ème edition, juin 2004 (sans auteur).
[2] Pour la meilleure liste d’écrits jihado-salafistes sur la démocratie et les élections, voir la section « démocratie » du site d’Al-Maqdisi – Minbar al-Tawhid wal-Jihad – Abu Omar Seif, un religieux jordanien, chef religieux des volontaires arabes en Tchétchénie, qui y a été tué en novembre 2005, a écrit l’ouvrage le plus récent sur le sujet. Voir son livre concernant l’Irak, Al-Nizam al-Dimuqrati nizam Kufr,
Le texte original de cet article (en anglais) a été publié à la fin du mois de janvier 2006 sous le titre “The Islamic Debate over Democracy: Jihadi-Salafiyyah Responses to Hamas’ Victory in the Palestinian Elections” (PRISM Occasional Papers vol. 4 (2006) N° 1).
Le Project for the Research of Islamist Movements (PRISM) a été fondé par Reuven Paz en 2002.
Traduction française par les soins de Jean-Marc Flükiger.
© 2006 Reuven Paz – PRISM