Armés ou non, parfois terroristes, mais souvent simplement contestataires, des groupes défient ou remettent en question l’ordre établi. Un dictionnaire récemment publié en français tente d’en offrir un panorama.
Fort de plus de 800 pages, mais vendu à un prix très accessible, le Dico rebelle 2004 (Michalon, 2003) a été publié sous la direction de Patrick Blaevoet, avec l’assistance de Julien Nessi et les contributions d’une trentaine de collaborateurs. Le tandem à la tête de ce volume s’était déjà signalé par l’excellent site “Mondes Rebelles”, malheureusement disparu à la fin de l’été 2003, faute de financement suffisant. Le dictionnaire représente en partie l’un des fruits de cet effort.
L’entreprise est considérable: l’on devine les innombrables heures passées non seulement à recueillir les informations, mais à les structurer et à harmoniser les apports des différents experts qui ont participé au projet. Le volume contient en effet pas moins de 2.500 entrées sur des acteurs, des mouvements et des lieux de contestation!
Ne cachons pas le plaisir que l’on prend à le feuilleter: même celui qui est déjà familier avec une large variété d’insurrections, mouvements extrémistes et autres contestations à travers le globe, trouvera dans ces pages matière à découverte. Disons-le clairement: c’est une référence indispensable – même à l’heure d’Internet – pour quiconque doit s’occuper de l’actualité internationale, et particulièrement des zones de crise; cet ouvrage devrait figurer parmi les usuels de toute bibliothèque et de toute salle de rédaction.
Le titre rappelle bien sûr quelque chose: Mondes rebelles: guerillas, milices, groupes terroristes, encyclopédie des conflits internes contemporains et de la violence politique, dont la 3e édition – sous la direction de Jean-Marc Balencie et d’Arnaud de La Grange – avait vu le jour chez le même éditeur en 2001. Il faut donc commencer par préciser en quoi les deux ouvrages sont différents.
C’est tout d’abord la différence entre une encyclopédie et un dictionnaire: Mondes rebelles est un ouvrage beaucou plus volumineux (et moins maniable) que le Dico rebelle. Mais ce dernier n’en est pas simplement un abrégé: sa conception et sa structure sont différentes. Alors que l’organisation de Mondes rebelles était géographique, celle du Dico rebelle est alphabétique et inclut également des acteurs non traités par Mondes rebelles. Ils ne font pas double usage, même si la similitude des titres traduit un partiel parallélisme des approches.
Une autre différence est l’absence, dans le Dico rebelle, d’articles de fond qui présentent le contexte de différents mouvements. Sur ce point de nouveau, la logique d’une encyclopédie et celle d’un dictionnaire sont différentes.
Mais les différences dépassent les questions de forme: elles portent aussi sur les limites données au terrain – c’est-à-dire la définition de ce qu’est un rebelle. Il ne s’agit pas simplement, pour les auteurs du Dico rebelle, des “guerillas, milices et groupes terroristes” couverts par Mondes rebelles. Ils le reconnaissent dans l’introduction:
“La définition du rebelle est prise ici dans son acception la plus large: est rebelle celui – acteur individuel ou mouvement – qui refuse ce qu’il juge être une forme de domination et met ses actes, violents ou pas, en conformité avec son jugement. La rébellion peut avoir plusieurs origines (politique, idéologique, socio-économique, altermondialiste…) et plusieurs expressions (violence, terrorisme, lobbying, manifestations culturelles…).”
C’est ainsi que figurent côte à côte dans les pages du Dico rebelle des groupes et figures d’une grande variété: Ayman Al-Zawahiri a droit à sa notice quelques pages après l’Abbé Pierre, tandis que Jean-Marie Le Pen, Alexandre Lebed et la Lega Nord se retrouvent à la file, deux pages après le Laskar Jihad. Il faut reconnaître que cela donne parfois une certaine impression d’hétérogénéité: une Ligue du Nord italienne qui se trouve membre d’une coalition gouvernementale est-elle encore “rebelle”? Où les frontières de la rébellion s’arrêtent-elles?
Bien sûr, les auteurs ont été contraints de placer des limites, car l’ouvrage serait devenu sinon bien plus volumineux encore. Et ces limites sont inévitablement arbitraires – ou peut-être découlent-elles aussi en partie des ressources et connaissances disponibles parmi les collaborateurs de l’ouvrage. Ainsi, nous avons droit à des notices sur les Eglises orthodoxe macédonienne, monténégrine et serbe. Mais alors, pourquoi pas une notice sur les “rebelles” orthodoxes ukrainiens (Eglise orthodoxe d’Ukraine – Patriarcat de Kiev et Eglise orthodoxe ukrainienne autocéphale, l’une et l’autre en rupture avec l’Eglise autonome d’Ukraine sous le Patriarcat de Moscou)? Ce n’est qu’un exemple parmi d’autre des problèmes posés par un terme à la définition extensive et des limites à lui assigner.
Inévitablement, dans un dictionnaire de 2.500 entrées, l’on trouve aussi quelques petites erreurs. Nous n’avons pas essayé d’en faire l’inventaire, mais en avons découvert fortuitement au fil des pages. Ainsi, des entrées séparées présentent le Hizb ut-Tahrir (pp. 368-369) et le Parti de la libération islamique (pp. 630-631), sans renvoi de l’une à l’autre, alors qu’il s’agit en réalité du même groupe.
Mais il est toujours facile, dans un compte rendu, de trouver quelques erreurs de détail, face à une entreprise d’une telle ampleur. Il serait injuste de mettre l’accent sur ces problèmes mineurs. Il convient plutôt de souligner la qualité du travail effectué, un travail qui – observe à juste titre Gérard Chaliand dans sa préface – s’est efforcé de “ne pas céder à des interprétations idéologiques”. Le Dico rebelle est non seulement un bon livre, mais un dictionnaire que le lecteur intéressé par ces questions parcourt et explore avec un intérêt constant.
Jean-François Mayer
Patrick Blaevoet (dir.), Dico rebelle 2004: auteurs, lieux, mouvements (préface de Gérard Chaliand), Paris, Editions Michalon, 2003, 826 p.