Le 3 mai 2004, trois Chinois appartenant à la Chinese Harbour Engineering Company (CHEC) ont perdu la vie dans l’explosion d’une voiture chargée d’explosifs, qui a frappé leur véhicule. Ils se rendaient vers le site d’un nouveau port commercial et militaire en construction par les soins de cette entreprise chinoise à Gwadar, dans la province pakistanaise du Baloutchistan [sur la mer d’Oman,le Baloutchistan se trouve dans le sud-ouest du Pakistan, à la frontière avec l’Iran et le Sud de l’Afghanistan].
La police semble convaincue que l’explosion a été provoquée à l’aide d’un mécanisme contrôlé à distance. Il ne s’agirait pas d’un attentat suicide. Onze autres personnes ont été blessées: neuf Chinois et deux Pakistanais (un chauffeur et un garde). Personne n’a pour l’instant revendiqué cet attentat.
A la suite de l’incident, le président Musharraf a ordonné de remplacer par des hommes du corps de surveillance des frontières (Frontier Corps) tous les policiers baloutches en poste pour assurer la sécurité du personnel chinois travaillant et vivant à Gwadar et dans d’autres lieux du Baloutchistan. Une unité spéciale du corps de surveillance des frontières a déjà été déplacée à cet effet dans la zone de Gwadar.
Quelque 400 Chinois travaillent et vivent à Gwadar, dont la population totale se situe entre 60.000 et 70.000 habitants.
Lancée en 2002, la première phase du projet de construction, dont le coût s’élève à 250 millions de dollars, devrait être achevée en mars de l’an prochain. Les Chinois ont indiqué qu’ils pourraient même être en mesure de terminer les travaux plus tôt. L’explosion s’est produite à peu de jours d’une réunion d’investisseurs internationaux, prévue pour le 8 mai à Quetta dans le but d’encourager des investissements étrangers au Baloutchistan.
Avant l’explosion déjà, la responsabilité de la sécurité du site de la construction avait été confiée à l’armée et à la marine pakistanaises. Mais la police baloutche était responsable de la sécurité personnelle des travailleurs chinois.
Gwadar et d’autres localités tournant autour de l’industrie de la pêche sur la côte de Mekran comptent de nombreuses personnes entretenant des liens étroits avec les habitants du Yémen et du Qatar. Dans le passé, Al Qaïda a fréquemment eu recours à des pêcheurs de la région pour le passage clandestin de cadres de l’organisation ainsi que d’armes et de munitions à bord de bateaux de pêche à destination du Yémen. De là, ils pouvaient poursuivre leur route vers l’Arabie saoudite et l’Irak. Les forces de sécurité pakistanaises postées dans la région fermaient les yeux sur ce trafic, en dépit de ses conséquences en matière de sécurité.
Le régime du président Musharraf accorde une importance considérable à la réussite de l’achèvement de ce port. Bien que le projet ait été présenté comme destiné à faciliter le commerce étranger du Pakistan, de l’Afghanistan, des républiques de l’Asie centrale et de la province chinoise du Xinjiang, sa véritable importance – aux yeux de l’armée pakistanaise – se trouve ailleurs: cela réduirait la dépendance du commerce extérieur pakistanais par rapport au port de Karachi – par lequel transitent actuellement plus de 70% des échanges – et fournirait à la marine pakistanaise une base arrière relativement sûre, moins facilement atteignable par la marine et l’aviation indiennes; en cas de nouvelle guerre entre les deux pays, il serait plus facile de mener à partir de cette nouvelle base des opérations contre la marine indienne.
En assistant le Pakistan dans la réalisation de ce projet, la Chine vise à renforcer les capacités de la marine pakistanaise contre la marine indienne et à obtenir des facilités pour ses propres vaisseaux lorsqu’ils visitent la région du Golfe. En application de l’accord pour obtenir l’aide chinoise, les militaires pakistanais auraient également autorisé les services de renseignement chinois à établir une station d’écoute à Gwadar afin de surveiller les mouvements des vaisseaux américains dans la région du Golfe, similaire à la station que le régime du Myanmar a permis aux Chinois d’installer sur les îles Coco.
Depuis le début de la construction, de fortes oppositions se sont exprimées de la part de nombreux Baloutches ainsi que de partis politiques du Baloutchistan. Cette opposition est due aux raisons suivantes:
* Le gouvernement du Baloutchistan est exclu de toute décision relative à ce projet. Le projet est entièrement contrôlé par le gouvernement fédéral à Islamabad; les services de renseignements (Inter-Services Intelligence, ISI) jouent un rôle important dans la sélection des entreprises qui participent au projet.
* En raison de la crainte de tentatives indiennes de saboter éventuellement la construction, de nombreux Baloutches vivant dans la région – considérés par l’ISI comme sympathiques à l’Inde – ont été éloignés et remplacés par des Pendjabis et d’autres personnes d’origine non baloutche, qui jouissent de la confiance de l’ISI.
* Tous les contrats de génie civil liés au projet ont été attribués à des entreprises installées à Lahore et à Karachi. Elles ont été encouragées à importer des travailleurs non baloutches afin d’aller travailler là-bas, frustrant les attentes baloutches de voir le projet créer localement des emplois.
* Les Baloutches – peu nombreux – recrutés par la compagnie chinoise l’ont accusée de pratiques relevant de l’exploitation, en leur payant arbitrairement de bas salaires et en leur refusant les avantages élémentaires (logement, aide médicale, etc.) en comparaison des salaires et autres avantages dont bénéficient les Chinois. Des plaintes ont également été émises pour retard dans le paiement des salaires.
Par conséquent, depuis plus d’un an, les partis nationalistes baloutches s’opposent au projet. Ils le considèrent comme anti-baloutche et destiné à servir les intérêts des militaires pakistanais et à accroître la prospérité du Pendjab, sans bénéfices pour les Baloutches.
Jusqu’à présent, cependant, cette opposition s’est manifestée sous forme de rassemblements de protestation, de manifestations et d’explosions isolées ne causant aucune perte humaine. C’est pourquoi l’explosion du 3 mai, visant spécifiquement des Chinois, a causé de l’inquiétude à Beijing et à Islamabad. Quelque 16 habitants de Gwadar ont été interpellés dans le cadre de l’enquête; une équipe d’officiers de renseignement et de policiers chinois s’est rendue en outre au Pakistan pour participer à cette enquête.
Alors que les autorités pakistanaises pointent le doigt sur la culpabilité présumée de membres de tribus baloutches, les Chinois ne semblent pas en être aussi certains. Selon des sources dignes de foi, les Chinois pensent que – quels que soient les griefs des Baloutches à l’encontre de ce projet – ils ne viseraient pas des ingénieurs chinois. Ils s’en prendraient plutôt à des responsables civils et militaires pakistanais associés au projet.
Les soupçons chinois semblent plutôt s’orienter vers des éléments extrémistes ouïgours opposés à la politique de Beijing, qui ont trouvé refuge dans les zones tribales du Pakistan bordant l’Afghanistan. En raison de l’intérêt porté par les Chinois au port de Gwadar comme porte pour le commerce extérieur de la province du Xinjiang et base régionale pour les forces navales chinoises, Beijing estime que les extrémistes ouïgours auraient de bonnes raisons de vouloir perturber les travaux de construction.
Sur la base des éléments dont nous disposons à ce stade, il est cependant difficile d’affirmer avec quelque degré de certitude qui pourrait avoir été responsable de cet attentat.
B. Raman
© 2004 South Asia Analysis Group.
Site web: www.saag.org [nouveau site: www.southasiaanalysis.org – 17.06.2016]
Source des illustrations: Gouvernement du Baloutchistan.
Traduction française par les soins de Terrorisme.net.