“L’avenir du terrorisme dans la zone sud-asiatique sera dans une large mesure déterminé par des acteurs et événements en dehors de la région. Les événements en Irak ont un impact direct non seulement sur le terrorisme islamiste, mais sur toutes les formes de terrorisme en Asie du Sud.” – Un expert indien nous livre dans ce texte son point de vue sur les perspectives ouvertes par la crise irakienne.
Les problèmes rencontrés par la coalition sous direction américaine en Irak sont une mauvaise nouvelle pour l’Asie du Sud. Parmi les principales cibles du terrorisme extrémiste islamiste, l’Inde a depuis longtemps compris la nécessaire convergence de ses intérêts avec ceux de la guerre globale menée par les Etats-Unis contre le terrorisme – même s’il y a des divergences sur le point de concentration discriminatoire du conflit et l’indulgence manifeste à l’égard du soutien persistant du Pakistan pour des groupes terroristes.
Le désordre croissant en Irak crée d’imminents dangers d’escalade et d’élargissement d’activités terroristes dans cette région, en même temps qu’elle ouvre des possibilités d’intensification de la violence de groupes terroristes dérivant leurs justifications d’autres courants idéologiques.
Deux facteurs créent les espaces d’une telle résurgence.
Le premier de ceux-ci se fonde sur la nature du terrorisme en tant que méthode; dans la mesure où il paraît réussir à obtenir des succès notables en Irak même contre la plus grande puissance militaire et économique, cela conduira à la conclusion que ses possibilités de succès sont plus grandes contre les Etats plus faibles de l’Asie du Sud. Cela serait considéré comme étant le cas sur tous les théâtres d’opération pour les mouvements inspirés par toute la palette des idéologies “révolutionnaires”.
Le second de ces facteurs est lié à la moindre attention internationale portée aux mouvements terroristes de cette région, les événements de l’Irak (et, dans une certaine mesure, de l’Asie occidentale) captivant la plus grande part de l’attention occidentale, particulièrement américaine. Cela crée des possibilités susceptibles d’encourager les terroristes et les Etats qui les soutiennent en Asie du Sud à intensifier des campagnes qui avaient subi d’importantes pressions en se retrouvant sous les feux d’une publicité internationale et d’un risque accru de sanctions après les événements du 11 septembre 2001.
Il n’est pas inutile de rappeler que le manque d’attention prêtée aux développements en Asie du Sud (particulièrement au Pakistan et dans l’Afghanistan des Talibans) a directement contribué à l’actuelle prolifération du terrorisme islamiste global ainsi qu’à la planification et à l’exécution des attentats du 11 septembre.
Les troupes et l’infrastructure du terrorisme en Afghanistan ont subi de sérieux revers à la suite de la campagne conduite par les Etats-Unis, mais beaucoup de ces éléments sont simplement passés de l’autre côté de la frontière avec le Pakistan, où ils ont rejoint les forces d’autres groupes terroristes aux orientations similaires – nombre d’entre eux créés et directement soutenus par des services pakistanais. La pression considérable exercée sur le régime de Musharraf par les Etats-Unis a eu pour résultat des restrictions cosmétiques apportées aux activités de ces organisations et à un déclin marginal de leurs activités visibles. De telles tendances risquent maintenant d’être renversées, alors que le prestige des Etats-Unis souffre coup après coup en Irak.
Parmi les groupes islamistes radicaux, l’évaluation actuelle de la situation est de plus en plus que l’Amérique dispose certes d’une puissance et d’une technologie incontestables, qui lui permettent de mettre fin à l’existence de n’importe quel pays, mais qu’elle n’a pas la capacité ou l’entendement nécessaires pour gérer même un pays de taille moyenne – comme l’Afghanistan ou l’Irak – sous occupation ou sous gouvernement de substitution.
De plus, ils estiment que l’Amérique ne dispose pas de défenses efficaces contre des campagnes terroristes soutenues et déterminées: par conséquent, elle est perçue comme profondément vulnérable, en dépit de son apparente force.
Alors que l’Irak émerge comme un élément critique dans la campagne électorale présidentielle américaine, la vulnérabilité politique domestique des Etats-Unis aux activités terroristes sur des théâtres d’opération étrangers sera également soulignée. Dans ces calculs, les événements en Irak imposent une limite absolue au degré de pression que les Etats-Unis peuvent maintenant exercer sur les Etats voyous et les Etats soutenant le terrorisme, surtout lorsque de telles entités sont en mesure de maintenir la terreur à une intensité qui leur permet de ne pas provoquer des représailles extrêmes ou de rester dans les limites de “démentis crédibles”.
Par conséquent, l’on s’attend à ce que les Etats-Unis se montrent de plus en plus prudents avant d’exercer une pression extraordinaire sur des Etats tels que le Pakistan, par exemple, pour les convaincre de mettre un terme à leur soutien caché au terrorisme et aux activités de groupes terroristes opérant sur leur territoire ou à partir de celui-ci. Cela offrira des possibilités de consolider les forces terroristes dans de telles zones.
L’Irak a également sonné le glas du consensus international contre le terrorisme, rejetant à nouveau toute la question sur le terrain de l’ambivalence morale. L’unilatéralisme et la mauvaise gestion des Américains les ont coupés de beaucoup d’alliés naturels dans la guerre contre le terrorisme. Les constructions illusoires dans le cadre desquelles continuent d’opérer les autorités américaines ne suggèrent guère une évolution vers des compétences exécutives accrues et, par conséquent, ouvrent peu de perspectives à une plus forte participation internationale en Irak.
Le nouveau premier ministre de l’Espagne, Jose Luis Rodriguez Zapatero, a déjà donné des instructions pour le retrait des 1.300 soldats de son pays “dès que possible“. Les autorités américaines ont exprimé quelque espoir que l’Inde et le Bangladesh envoient des forces en Irak après le “passage de souveraineté” le 30 juin, mais de tels espoirs relèvent du fantasme. Aucun pays n’enverrait ses forces en Irak tant qu’un terme n’y est pas mis à la présente incohérence administrative et politique. Cependant, dans la mesure où le mécanisme de décision américain continue de relever de constructions paradigmatiques ainsi que des inclinations et partis pris personnels de personnes au sein du gouvernement, plutôt que sur une approche claire des réalités de terrain en Irak, aucune solution de ce genre ne paraît en vue.
En Asie du Sud, ces facteurs se superposent sur une situation beaucoup plus complexe qu’elle ne l’était avant le 11 septembre.
Le Pakistan se trouve à un carrefour de son histoire, avec ses contradictions internes créant des tensions toujours plus fortes, tandis que le régime de Musharraf adopte des objectifs idéologiquement incompatibles. Et des éléments au sein d’un certain nombre de groupes jihadistes jusqu’à maintenant sous contrôle commencent à envisager de suivre une route indépendante.
Au Pakistan, les zones d’instabilité comprennent actuellement la Province frontalière du Nord-Est (North West Frontier Province), le Baloutchistan et les zones tribales sous administration fédérale, sur lesquelles ne s’est exercé depuis longtemps qu’un contrôle lâche de l’Etat et où de forts liens à base ethnique et religieuse dominent la vie sociale et politique.
De plus, bien que le Sindh soit relativement calme actuellement, il connaît une tradition de violence communautaire et politique qui pourrait facilement se raviver dans une situation de montée de l’incertitude politique à Islamabad.
Dans la partie du Cachemire occupée par le Pakistan, particulièrement les zones méridionales où les droits humains et politiques ne sont pas assurés, la population majoritaire chiite a été l’objet de campagnes de répression répétées; les signes d’une agitation politique et d’un potentiel de violence se multiplient dans cette région.
Les efforts américains pour orchestrer une transition vers la démocratie à partir d’un régime sous contrôle militaire sont viciés à la base et ont, en fait, considérablement affaibli les forces démocratiques et séculières au Pakistan, tout en poussant un peu plus dans leurs retranchements les forces combinées des milieux militaires, jihadistes et féodaux.
De plus, l’affaire du Cachemire a été interprétée de travers par les autorités américaines, qui ignorent la réalité, c’est-à-dire que le Cachemire est le symptôme d’un conflit idéologique plus large entre un Pakistan islamiste extrémiste et une Inde démocratique et pluraliste.
De plus, il y a une multiplicité considérable d’acteurs et organisations terroristes à travers l’Asie du Sud, puisant à des courants idéologiques variés, y compris l’islamisme, le fondamentalisme ethnique et l’extrémisme de gauche – tous trouveront un grand encouragement dans la déconfiture américaine en Irak.
L’on peut affirmer que l’avenir du terrorisme dans la zone sud-asiatique sera dans une large mesure déterminé par des acteurs et événements en dehors de la région. Les événements en Irak ont un impact direct non seulement sur le terrorisme islamiste, mais sur toutes les formes de terrorisme en Asie du Sud et sur l’affaiblissement du potentiel de stabilisation tant de l’Afghanistan que du Pakistan dans un avenir prévisible.
Ajai Sahni
Ajai Sahni est le directeur exécutif de l’Institute for Conflict Management (Nouvelle Delhi). Cette analyse a été publiée dans le numéro du 19 avril 2004 de la South Asia Intelligence Review, qui constitue l’un des éléments du South Asia Terrorism Portal. La traduction de ce texte a été effectuée par les soins de Terrorisme.net.
© 2004 Ajai Sahni – Institute for Conflict Management