Même si les relations diplomatiques entre l’Inde et Israël n’ont été complètement établies qu’il y a onze ans, les deux pays coopèrent en matière de politique de sécurité, notamment dans le domaine de la lutte contre le terrorisme: leur perception de l’ennemi est en effet commune à bien des égards. Nul doute que la visite d’Ariel Sharon marquera également dans ce domaine un renforcement de la coopération entre les deux pays.
Ariel Sharon est arrivé le 8 septembre 2003 à Delhi. C’est la première fois qu’un chef de gouvernement israélien se rend en Inde. L’importance à la fois stratégique et commerciale accordée aux relations avec l’Inde dans le contexte actuel est notamment illustrée par l’importance de la délégation israélienne: 150 personnes accompagnent le premier ministre israélien, parmi lesquelles se trouvent les grands marchands d’armes d’Israël.
Comme le rappelle l’agence de presse Proche-Orient.info (9 septembre 2003 – cette agence de presse n’existe plus – 13.06.2016), “l’un des principaux contrats en cours de négociation entre les deux pays porte sur la livraison à New Delhi de trois radars aéroportés d’alerte précoce Phalcon, pour un montant d’un milliard de dollars (le plus gros contrat d’armement conclu par Israël). Signe des temps, les États-Unis ont donné leur feu vert à la transaction alors qu’elle est de nature à modifier le fragile équilibre stratégique de la région : ces radars, dont le rayon d’action pourra couvrir le territoire pakistanais, sont capables de détecter une éventuelle attaque dès son lancement.”
Dans le contexte de la “guerre contre le terrorisme”, l’Inde – affectée par des actions terroristes sur plusieurs fronts depuis des années – a une attitude claire, à la différence du Pakistan, et Washington pouvait difficilement refuser à ce pays en train de devenir un allié sûr une livraison qui suscite quelque nervosité du côté d’Islamabad.
En raison des contraintes de la guerre froide et de l’engagement de l’Inde au sein du mouvement des non-alignés, il fallut attendre 1992 pour l’établissement de relations diplomatiques complètes avec Israël.
La présente intensification des relations entre l’Inde et Israël se produit à un moment où un gouvernement d’orientation nationaliste hindoue se trouve au pouvoir à Delhi. Or, contrairement à beaucoup de mouvements nationalistes à travers le monde, qui ont été accompagnées d’attitudes antisémites, tel n’a jamais été le cas du nationalisme hindou, comme ses partisans aiment à le rappeler.
On trouve certes dans les publications de certains auteurs de ces courants des critiques des “religions sémites”, mais ces argumentations sont dirigées vers l’islam et le christianisme, guère vers le judaïsme: celui-ci n’est pas une religion missionnaire, et c’est d’abord le prosélytisme qui provoque l’irritation des nationalistes hindous (comme le montrent différentes nouvelles initiatives récentes pour introduire des lois contre les conversions dans certains Etats indiens, d’ailleurs pas seulement ceux dominés par des groupes politiques nationalistes hindous).
En revanche, les nationalistes hindous éprouvent une sympathie instinctive pour l’Etat d’Israël: ils identifient en effet l’activisme islamique comme une menace (ne serait-ce qu’en raison du conflit du Cachemire) et se sentent donc proches de certaines préoccupations israéliennes.
Non seulement les juifs en Inde – dont la présence est séculaire – n’ont jamais eu à éprouver hostilité ou pogroms, mais, au cours des dernières années, les relations commerciales entre les deux pays se sont fortement développpées: l’Inde est maintenant le second partenaire commercial d’Israël en Asie.
Sur le plan du terrorisme, dans une analyse publiée le 9 septembre par le South Asia Analysis Group (SAAG), B. Raman, ancien haut fonctionnaire indien et directeur de l’Institute for Topical Studies, souligne que la coopération entre l’Inde et Israël n’a pas commencé hier: “elle existe depuis des années, mais est restée furtive et sans publicité.” A juste titre, estime-t-il: si Raman considère qu’il ne faut pas accorder trop d’importance aux réactions inquiètes ou irritées de certains pays musulmans face à la visite très visible d’Ariel Sharon, il s’inquiète en revanche de l’impact de la publicité autour de cette visite au sein de la minorité musulmane en Inde, où certains pourraient l’interpréter ou l’exploiter comme une provocation.
Raman, qui n’a jamais caché être un partisan d’une coopération contre le terrorisme avec Israël, rappelle qu’il y a cependant d’inévitables limites à cette coopération.
Tout d’abord les adversaires ne sont pas les mêmes: les renseignements dont dispose Israël sur des groupes du Proche-Orient ne sont la plupart du temps que d’une utilité potentielle limitée pour l’Inde. En revanche, les informations de provenance indienne sur les milieux extrémistes du Pakistan, peuvent avoir un intérêt pour Israël, car “ils présentent également une menace pour les vies et les intérêts d’Israéliens“.
Raman note ensuite une asymétrie dans les politiques de contre-terrorisme des deux pays: l’armée joue un rôle essentiel en Israël, alors qu’en Inde son rôle est prééminent uniquement au Cachemire (dans une moindre mesure dans le Nord-Est), “en raison de l’implication d’un grand nombre de Pakistanais“. Dans le reste du sous-continent, c’est plutôt la police qui est chargée de diriger la lutte contre le terrorisme.
Selon Raman, l’Inde distingue clairement entre un terrorisme soutenu par l’étranger – contre lequel la réaction est impitoyable – et un terrorisme domestique, qui exige un usage plus mesuré de la force et la prise en compte de mécontentements régionaux qui peuvent avoir conduit à basculer dans le terrorisme. L’attitude des Israéliens paraît différente à Raman. Il ne lui paraît pas souhaitable de voir les admirateurs des méthodes fortes israéliennes prendre le dessus à Delhi ou d’utiliser massivement la force militaire face à tout type de violence politique: “en dépit de l’utilisation de telles méthodes durant plus de trente ans, Israël n’est pas plus près de résoudre le problème du terrorisme.”
C’est sur le plan de l’analyse et de l’évaluation, du renseignement technique (y compris la cyberintelligence), des méthodes de pénétration d’organisations terroristes, de la gestion des crises liées au terrorisme, que l’Inde peut le plus bénéficier de l’expérience israélienne, conclut Raman.
Notons enfin que la visite d’Ariel Sharon prendra fin à une date hautement symbolique: le 11 septembre…
Addendum: finalement, en raison des attentats terroristes survenus en Israël, Ariel Sharon a quitté l’Inde un jour plus tôt que prévu, renonçant à une étape prévue à Mumbai (Bombay). L’un des résultats concrets de la visite du chef du gouvernement israélien en Inde a été la mise sur pied d’un groupe de travail commun sur les questions de terrorisme.