Le 26 février 2003, un attentat suicide a fait quatre victimes dans le Kurdistan irakien, à proximité d’un centre de commandement militaire kurde. Cet attentat, dont plusieurs observateurs soupçonnent le groupe Ansar al-Islam d’être l’auteur, relance une fois de plus la question des liens entre Al Qaïda et l’Irak. Les Etats-Unis ont ajouté le 20 février 2003 Ansar al-Islam à leur liste de groupes terroristes.
Même si ses résultats ne sont pas spectaculaires, puisque le coupable a décidé de provoquer l’explosion au moment où il a été arrêté pour contrôle par des gardes kurdes alertés par un comportement suspect, l’attentat du 26 février aura probablement sa place dans les annales du terrorisme, puisqu’il s’agirait du premier attentat suicide kurde. A noter que des responsables de la sécurité du Kurdistan irakien affirment depuis quelque temps déjà que des commandos sont entraînés dans la région en vue d’attentats suicides.
Oussama ben Laden et Saddam Hussein
Mais cet incident va contribuer à relancer une fois encore les spéculations tant sur la présence d’éléments liés à Al Qaïda dans le Kurdistan irakien que sur les liens éventuels entre cette organisation et Bagdad. Particulièrement depuis septembre 2002, le gouvernement américain se dit en effet convaincu qu’une relation symbiotique s’est développée, même si ces affirmations restent accueillies avec beaucoup de prudence par différents observateurs.
Le récent message attribué (à tort ou à raison) à Ben Laden et appelant à soutenir les “frères musulmans en Irak” a mis Bagdad dans l’embarras, tandis qu’il a apporté à Washington un argument supplémentaire.
Dans les semaines qui avaient suivi le 11 septembre 2001, il avait très vite été question de liens entre un régime pourtant peu sympathique aux islamistes (malgré la face moins séculière qu’il s’efforce de montrer depuis quelques années) et l’organisation autour d’Oussama ben Laden. Il avait été question d’une rencontre à Prague entre Mohammed Atta et un agent des services de renseignement irakiens. Très vite, cependant, plusieurs analystes avaient appelé à la prudence et à éviter des conclusions hâtives: même si la rencontre avait eu lieu, elle était susceptible de différentes interprétations.
Cependant, même si la rencontre avait été révélée pour la premire fois en octobre 2001 par le ministre de l’Intérieur de la République tchèque lui-même, le directeur général de l’Office des relations étrangères et de l’information (UZSI, services de renseignement tchèques) affirmait en revanche en juillet 2002 que la réunion entre Atta et Ahmed Khalil Ibahim Samir al-Ani (deuxième consul de l’Ambassade de l’Irak à Prague) n’avait “pas été vérifiée ou prouvée“.
Même si cela ne permet pas d’exclure d’éventuelles coopérations contre nature – ce n’en serait pas le premier exemple dans l’histoire – le moins qu’on puisse dire est que Ben Laden n’éprouve aucune sympathie pour le régime irakien. D’ailleurs, dans la déclaration qui lui est attribuée, il explique que le combt doit être mené “au nom de Dieu et pas pour assurer la victoire des gouvernements païens omniprésents dans les pays arabes, dont l’Irak“. Quant au régime de Bagdad, il a lui-même tout à craindre des pareils d’Oussama ben Laden.
Ansar al-Islam: quels liens avec Al Qaïda?
Plus récemment, c’est cependant surtout sur un groupe islamiste radical opérant dans le Kurdistan irakien que l’attention s’est portée et que les Etats-Unis ont mis l’accent. Il s’agit d’Ansar al-Islam, un petit mouvement dont la base se trouve dans le Nord-Est de l’Irak. Selon des sources officielles américaines à très haut niveau (y compris le secrétaire d’Etat Poel), un activiste islamiste radical soupçonné de liens avec Al Qaïda, Abu Moussab Zarqawi, aurait établi un camp d’entraînement dans la petite zone sous le contrôle du groupe; en outre, Bagdad aurait un agent au plus haut niveau d’Ansar.
Ces déclarations ont cependant été accueillies avec scepticisme par l’International Crisis Group (ICG), qui a pubié à ce sujet le 7 février 2003 une note d’analyse d’une dizaine de pages (en anglais) sous le titre dubitatif: “La souris qui rugissait?” Cette synthèse est particulièrement bienvenue au sujet d’un mouvement sur lequel on sait peu de chose.
Ansar al-Islam est une dissidence du Mouvement islamique du Kurdistan irakien. Ce mouvement, apparu vers la fin des années 1980, s’inscrit dans l’héritage idéologique des Frères musulmans et a connu plusieurs mutations au cours de sa brève existence. Des divisions sont nées en son sein depuis 1997, à l’initiative d’anciens combattants de la guerre d’Afghanistan, après la réconciliation (à l’instigation de Téhéran) entre le Mouvement islamique du Kurdistan irakien et l’Union patriotique du Kurdistan, avec laquelle le Mouvement avait précédemment connu des affrontements.
Ces groupes dissidents se réclament du salafisme. En 2001, deux de ces groupes, l’un nommé Hamas et l’autre Tahwid, se sont unis sous le nom de Soldats de l’Islam (Jund al-Islam), avant d’adopter la dénomination actuelle d’Ansar al-Islam (Partisans de l’Islam).
Ansar entend promouvoir une stricte version de l’islam, ce qui a conduit à de fortes tensions avec la population locale dans les zones kurdes où le groupe a pris position. Selon l’étude de l’ICG, trois villages qui étaient peuplés par les adeptes d’un ordre soufi (connu sous le nom de Kaka’i ou Ahl al-Haq) ont particulièrement souffert de la situation et perdu la plus grande partie de leur population d’origine. Les membres d’Ansar ont profané plusieurs tombes de sheikhs soufis en 2002.
A plusieurs reprises, des combats ont opposé Ansar al-Islam et l’Union patriotique du Kurdistan. Ansar al-Islam est installé aux abords de la frontière avec l’Iran, dans la région montagneuse de Howraman, en particulier autour des petites localités de Biyara et Tawela. Une autre dissidence du Mouvement islamique du Kurdistan irakien, nommée Groupe islamique du Kurdistan (Komaleh Islami), est également active dans cette zone, autour de la ville de Khurmal.
Sur la question des liens entre Al Qaïda et Ansar al-Islam, le rapport de l’ICG admet qu’ils sont plausibles, mais la nature de ces liens demeure peu claire: que des membres d’Ansar al-Islam aient visité des camps d’Al Qaïda en Afghanistan “n’implique pas automatiquement une supervision ou une direction des activités d’Ansar al-Islam par le réseau de Ben Laden“.
Quant aux liens d’Ansar avec de Saddam Hussein, de hauts responsables de l’Union patriotique du Kurdistan eux-mêmes (qui auraient pourtant tout à gagner si le preuve de tels liens était fournie) reconnaissent que les islamistes d’Ansar sont opposés au régime de Bagdad. En revanche, il ne fait nul doute qu’existent des liens au moins tactiques avec des factions iraniennes, même si le rapport indique ne pas être certain qu’ils se poursuivent présentement.
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