Un fantomatique groupe de guérilla, qui s’intitule l’Armée nationale albanaise (ANA), menace de porter atteinte au fragile processus de paix en Macédoine.
Londres, 3 février (IWPR) – La semaine dernière, des témoins oculaires ont indiqué à l’IWPR avoir observé des membres de l’ANA en uniforme aux alentours de Lipkovo et de Tetovo, dans la partie occidentale de la Macédoine. Chez les habitants de la région, cela ravive les craintes de voir s’amorcer un nouveau cycle de conflit ethnique.
Il y a trois semaines, des représentants de l’ANA avaient informé les médias de langue albanaise d’une “chaude offensive de printemps” en 2003 dans les districts à majorité albanaise. Le site web du groupe, www.shqiperiaebashkuar.com, lance une mise en garde: la Macédoine est un Etat “où, après les conflits armés de ces dernières années, les accords politiques n’ont pas produit assez de résultats et de progrès“.
L’ANA avait émis des menaces semblables l’an dernier, mais sans les mettre à exécution.
Le groupe est issu de l’insurrection albanaise en Macédoine en 2001, revendiquant l’assassinat de 10 soldats macédoniens sur la route de Skopje à Tetovo au mois d’août de cette année-là.
Après la signature de l’accord d’Ohrid en août 2001, qui mettait fin au conflit armé, il a revendiqué d’autres actions contre des cibles gouvernementales.
Valdet Vardari est le pseudonyme utilisé par le chef du Front de l’union nationale albanaise (FUNA), le groupe politique qui tiendrait les commandes de l’ANA. Dans un récent entretien accordé à des médias écrits, il a affirmé qu’une division nommée “Skenderbeg” opérerait dans les zones que contrôlaient les rebelles lors du conflit de 2001.
Le groupe rassemble vraisemblablement d’anciens combattants de l’Armée de libération nationale(ALN) opposés aux accords d’Ohrid et des membres d’autres groupes militants dissouts depuis, tels que l’Armée de libération du Kosovo ainsi que l’Armée de libération de Presevo, Medvedje et Bujanovac; cette dernière s’était lancée dans une campagne d’insurrection dans le Sud de la Serbie.
“Dès le moment où a été signé l’accord d’Ohrid, l’ANA a publiquement déclaré ne pas le reconnaître et le considérer comme nuisibile et comme une trahison“, a expliqué Vardari la semaine dernière à Lobi, un hebdomadaire albanais publié à Skopje.
Les frictions entre Ahmeti et les partisans d’une ligne dure se manifestèrent déjà durant le conflit en Macédoine, en raison de ses préférences pour une solution négociée. Ahmeti les irrita encore plus en s’engageant sur le terrain politique traditionnel avant les élections de l’an 2002. L’Union démocratique pour l’intégration (UDI), qui est le parti d’Ahmeti, détient cinq portefeuilles ministériels au sein du nouveau gouvernement de centre-gauche de Branko Crvenkovski.
L’ANA accuse maintenant Ahmeti de trahir les intérêts nationaux albanais. Vardari commente en disant qu’Ahmeti est entré dans une “coalition avec les Slaves macédoniens qui occupent le territoire ethnique albanais. Nous n’avons aucune confiance dans les occupants et leurs collaborateurs albanais.”
Les accusations à l’adresse de l’UDI d’Ahmeti dans les médias ont accru la pression qui pèse sur lui pour atteindre des résultats. Les éléments radicaux parmi les Albanais ont en effet attaqué l’UDI parce que celle-ci a accepté de prendre place comme partenaire mineur au sein de la coalition gouvernementale et parce qu’elle s’engagerait dans trop de compromis avec les Macédoniens (au sens ethnique du terme).
Après avoir pris conscience que les combattants de l’ANA regroupaient leurs forces en Macédoine occidentale, Ahmeti s’est rendu en Suisse au mois de janvier pour rencontrer ses anciens alliés de l’ALN qui contrôlent maintenant la direction de l’ANA, selon des sources diplomatiques.
Ces mêmes sources indiquent qu’Ahmeti aurait tenté de les convaincre d’abandonner leurs projets d’offensive de printemps, en leur promettant des progrès pour les Albanais sur le plan politique dans un proche avenir. Mais il n’aurait pas réussi à obtenir des engagements de la part de la direction de l’ANA.
A la fin de la semaine dernière, les bureaux de l’UDI à Gistovar et à Skopje ont l’un été mitraillé et l’autre atteint par un tir de lance-roquettes. Aucun groupe n’a revendiqué les attaques. La police n’a pour sa part diffusé aucune information sur ces incidents.
Plusieurs anciens commandants de l’ANA ont envoyé à Ahmeti une lettre ouverte, publiée le 24 janvier dans le quotidien de Skopje Fakti, l’appelant à un engagement maximal pour chercher à améliorer les droits des Albanais dans le pays. “Agis maintenant, avant qu’il ne soit trop tard“, déclare la lettre, “car il pourrait être trop tard demain.”
Selon le quotidien kosovar Koha Ditore, l’un des ex-membres de l’ALN aurait commenté: “Quand j’avais adhéré à l’ALN, je n’avais pas combattu pour que quelqu’un accède à des fonctions et s’engage dans une fraternisation avec les Slaves. Lorsque nous combattions, les dirigeants de l’ALN affirmaient que nous nous battions contre les Slaves macédoniens, mais maintenant Ali Ahmeti veut que son fils soit ami avec Jovan de Stip.”
Les nouveaux ministres de l’UDI trouvent ces accusations injustes. “Ce n’est pas juste de critiquer un parti en l’accusant de ne pas tenir ses promesses après seulement deux ou trois mois au pouvoir“, a déclaré Musa Xhaferi, premier ministre adjoint et membre de l’UDI, à l’hebdomadaire albanais Lobi il y a deux semaines.
Les représentants de l’ANA ont confirmé que leurs combattants concentrent leurs efforts dans les zones montagneuses dans la région de Skopje, de Tetovo et de Kumanovo, au Nord et au Nord-Ouest. Le groupe aurait maintenant l’intention de déployer des troupes aux alentours de Kicevo et de Gostivar, à l’Ouest. “Il y a plusieurs groupes armés représentant entre 20 et30 hommes, mais ils ne représentent pas une menace sérieuse“, a affirmé au quotidien Utrinski Vesnik Lazar Kitanovski, conseiller du Premier Ministre pour les questions de sécurité.
Les autorités restent confiantes dans leur capacité à contenir toute menace éventuelle posée par ces combattants. “Le gouvernement sait qu’il y a des groupes qui s’intitulent l’ANA. Selon les informations dont nous disposons, il ne s’agit pas d’une structure forte, mais ces groupes comprennent des gens qui sont impliqués dans des activités criminelles, des extorsions et d’autres activités illégales“, a précisé mardi Hari Kostov, ministre de l’Intérieur. Kostov a ajouté que le ministère prendrait toutes les mesures nécessaires pour y faire face.
Lors d’une conférence de presse tenue à Skopje le 29 janvier, Laurence Butler, ambassadeur des Etats-Unis en Macédoine, a tenu ces propos: “Il n’y aura pas d’offensive de printemps. La guerre est finie ici. Les gens qui ont des armes devraient retourner d’où ils sont venus, ou ils nous trouveront face à eux.”
Quant au porte-parole de l’OTAN, Craig Ratkliff, il estime que la situation en Macédoine est certes fragile, mais que tous les groupes doivent présenter leurs exigences à travers les institutions légitimes.
Des sources occidentales dans le domaine du renseignement ont déclaré à l’IWPR que l’ANA n’était pas en mesure de déstabiliser sérieusement la Macédoine, car elle ne peut pas compter sur le soutien des Albanais locaux. Mais les mêmes sources ajoutent qu’il ne faut pas ignorer la menace que pourrait représenter l’ANA à long terme.
“Ils ont commencé à coordonner leurs activités et à recueillir de l’argent en Suisse, en Allemagne, en Belgique, au Kosovo et en Albanie. Dans six à dix mois, ils espèrent être prêts à agir.”
Cet article a originellement été publié en anglais dans le Balkan Crisis Report, N° 403, 3 février 2003, de l’Institute for War and Peace Reporting (IWPR).
© Institute for War & Peace Reporting, Londres.
Traduit de l’anglais par les soins de terrorisme.net