Selon un rapport remis au Parlement par les services de renseignement néerlandais, rendu public au mois de décembre, les réseaux jihadistes parviennent à recruter dans le pays des jeunes gens pour la “guerre sainte”. Les recruteurs sont des immigrants légaux ou non, souvent avec une expérience de combat en Bosnie ou en Afghanistan.
D’après l’Algemene Inlichtingen- en Veiligheidsdienst (AIVD), “plusieurs douzaines de jeunes gens” auraient été recrutés aux Pays-Bas. Cela inquiète ceux qui veillent sur une société traditionnellement considérée comme ouverte, tolérante et peu portée à la violence: “Le recrutement de ces jeunes démontre qu’un courant islamique violent prend subrepticement racine dans la société néerlandaise.” (Reuters, 10 décembre 2002).
Ces efforts de recrutement n’existent pas uniquement aux Pays-Bas, font remarquer avec préoccupation les services néerlandais.
Le titre du rapport est explicite à cet égard: Rekrutering in Nederland voor de jihad, van incident naar trend, c’est-à-dire: Recrutement pour le jihad aux Pays-Bas, de l’incident à la tendance. Les autorités néerlandaises s’inquiètent, car elles craignent que de tels développements, même s’ils ne touchent qu’une population numériquement limitée, ne contribue à creuser un fossé entre musulmans et non musulmans aux Pays-Bas.
Plus inquiétant encore: la majorité des recrues seraient des jeunes d’origine marocaine (quoique pas exclusivement), nés ou en tout cas élevés aux Pays-Bas. Passant par une crise d’identité, ils croient trouver une issue dans des formes radicalisées de l’islam. Deux jeunes Néerlandais d’origine marocaine ont ainsi trouvé la mort au Cachemire en janvier 2002.
C’est l’existence d’une telle campagne de recrutement ciblant des communautés musulmanes déjà établies en Occident qui causent particulièrement du souci aux auteurs du rapport: des musulmans se radicalisant non pas dans leurs pays d’origine, mais dans le contexte occidental.
En nombre moins important, des immigrants plus récents, moins bien intégrés et maîtrisant moins bien le néerlandais, seraient parfois recrutés également – principalement des Algériens et Somaliens, d’après les données recueillies par les enquêteurs.
Enfin, à côté des immigrants ou fils d’immigrants, le rapport identifie également une catégorie à risque, celle de jeunes Néerlandais convertis à l’islam et sensibles à l’appel du jihad. Cependant, le rapport admet que cette catégorie est probablement très peu nombreuse. Il n’existe aucun indice que les recruteurs viseraient spécifiquement cette catégorie: les cas de ce genre seraient donc plutôt “accidentels”, si l’on peut dire.
Le processus de recrutement tel qu’il est décrit par le rapport se présente de façon très graduelle: la recrue n’a pas conscience dès le départ de se trouver engagée dans une telle démarche. Cependant, les recruteurs fréquenteront généralement des mosquées connues pour leurs tendances plutôt islamistes et leurs sympathies pour différents combats menés au nom de l’islam dans plusieurs régions du monde.
Le développement de la sympathie des jeunes futures recrues pour le jihadisme ne se fait pas seulement par la fréquentation de mosquées accueillantes aux tendances radicales et où l’on regarde ensemble des vidéos jihadistes: les échanges sur Internet contribuent également à forger et renforcer ces perspectives. Des jeunes avec de tels profils se montreront réceptifs envers le message de recruteurs auréolés de leur prestige de moudjahidines.
Mais les mosquées de tendance radicale ne sont pas les seuls lieux propices: la population carcérale représente un autre vivier. (Il est intéressant de noter au passage que d’autres groupes extrémistes, dans d’autres contextes, ont également développé un intérêt pour les prisons.)
Le rapport s’interroge sur l’influence possible des parents pour dissuader les jeunes gens engagés sur la voie du jihad de poursuivre cette démarche. Mais il apparaît que – comme les autres parents dans la société néerlandaise – ils ne disposent que d’une influence restreinte et ne comprennent pas toujours ce qui se passe. Même si les recrues semblent respecter leurs parents (conformément aux principes islamiques), “la question est de savoir s’ils autoriseront leurs parents à les corriger“.
Une fois qu’une recrue sérieuse est identifiée, l’emprise du recruteur se ferait plus forte sur lui, selon l’analyse développée par le rapport, qui compare cela aux caractéristiques d’une “secte religieuse” et affirme qu’on assiste notamment à un isolement délibéré par rapport à l’environnement social du converti.
Une fois que le converti est mûr, il va subir un entraînement paramilitaire. Celui-ci se déroulait jusqu’en octobre 2001 au Pakistan ou en Afghanistan. Depuis octobre 2001, les camps afghans n’existant plus, il semble que des solutions improvisées et temporaires soient mises sur pied – dans certains cas, un entraînement partiel serait fourni en Occident même. Cela s’accorde avec la façon d’agir de plus en plus autonome des cellules radicales.
Tous ces éléments font craindre aux auteurs du rapport que l’avenir prévisible soit celui du “jihad en Occident“. Avec toutes les conséquences et tensions que les actions d’une petite minorité entraîneraient dans les relations entre pays occidentaux et communautés d’origine étrangère qui y résident: les agents recruteurs du jihadisme contribuent à un dangereux processus de polarisation.
Le rapport peut être déchargé à partir d’Internet sous forme de fichier au format PDF.
Pour lire le rapport en néerlandais:
https://www.aivd.nl/publicaties/publicaties/2002/12/01/rekrutering-in-nederland-voor-de-jihad-van-incident-naar-trend
Pour lire le rapport dans sa traduction anglaise:
http://www.aivd.nl/contents/pages/00017836/recruitmentbw.pdf [la version anglais ne semble malheureusement plus accessible sur le site – 06.06.2016]