Selon une analyse produite par l’International Crisis Group, les attentats de Bali vont avoir des conséquences profondes sur l’évolution politique de l’Indonésie. Les militaires pourraient notamment en tirer avantage. Il est en revanche peu probable que les groupes islamistes durs changent d’avis, d’autant plus qu’ils sont convaincus que les instigateurs des attentats ne sont pas ceux qu’on croit et que les explosions sont l’oeuvre du gouvernement américain. Quant à l’arrestation de Abu Bakar Ba’asyir – indépendamment de sa responsabilité éventuelle dans les tragiques événements de Bali – elle ne réduit pas la menace d’actions terroristes dans la région.
L’International Crisis Group (ICG) a publié le 24 octobre 2002 une évaluation des conséquences des attentats de Bali. L’Indonésie est en effet l’une des zones que l’ICG suit de près et sur laquelle il publie régulièrement des rapports nuancés et bien documentés.
Après les attentats de Bali, l’avenir politique de la présidente Megawati devient incertain, d’autant plus que cela suit d’autres développements qui avaient déjà affaibli sa base de soutien. Sa gestion des événements de Bali n’a pas vraiment convaincu ses compatriotes. De façon générale, le taux d’approbation de son gouvernement est au plus bas.
Les forces armées indonésiennes (Tentara Nasional Indonesia, TNI) pourraient être les principales bénéficiaires des derniers développements, bien que cela ne doive pas nécessairement être compris en terme de contrôle gouvernemental. Les forces armées vont probablement être amenées à jouer un rôle accru en matière de sécurité intérieure (alors que la police et l’armée avaient été séparées en 1999). Le fonctionnement de la police tant dans les éruptions de violence que dans l’affaire de Bali a laissé une impression plus que mitigée, en effet. Certes, souligne le rapport de l’ICG, d’un point de vue purement formel, la nouvelle réglementation antiterroriste adoptée le 18 octobre n’attribue qu’un rôle mineur aux forces armées. Mais sur le plan pratique, le rôle des services de renseignement militaires devrait se renforcer, estime-t-on. En outre, les réformes dans les structures des forces armées seront probablement freinées. Enfin, l’armée pourrait bénéficier d’un financement accru.
L’analyse de l’ICG rappelle que les forces armées souffrent de nombreux problèmes, à commencer par la corruption (les mouvements rebelles achètent la plus grande partie de leurs armes à des soldats et policiers corrompus). La discipline est mal assurée. Et une grande partie du financement de l’armée provient de sources non budgétaires – souvent illégales, affirme le rapport.
Nul doute que l’impact économique de l’attentat sera sévère, comme l’ont déjà largement souligné les médias. L’économie indonésienne est fragile, convalescente. La perte de revenus découlant du tourisme (dont l’apport se chiffrerait à environ 5 milliards de dollars par an) entraînera des disparitions d’emplois. La croissance du PNB sera très vraisemblablement inférieure de 1% aux prévisions pour 2003. L’impact sur l’industrie touristique risque d’entraîner des conséquences en cascade dans le domaine de la consommation domestique. Enfin, les attentats portent atteinte à l’image du pays et n’encourageront pas les investisseurs.
En ce qui concerne les groupes islamistes radicaux, l’ICG rappelle que seule une petite minorité des musulmans adhèrent à leurs thèses. Tous ces groupes connaissaient d’ailleurs déjà certains problèmes avant les attentats de Bali. Ce qui apparaît peu clair est cependant l’impact de ces attentats sur les groupes radicaux. “Comme beaucoup de groupes non radicaux et d’individus en Indonésie, la plupart de ces groupes sont convaincus que le gouvernement américain a planifié l’attentat afin de pousser à soutenir une guerre contre l’Irak des pays jusqu’alors réticents à se joindre à la guerre contre le terrorisme.”
La Jamaah Islamiyyah apparaît comme une coalition de groupes plus qu’une organisation unique qui pourrait aisément être interdite. L’arrestation de Abu Bakar Ba’asyir ne paraît pas devoir changer réellement la donne.
Quant au Laskar Jihad, sa dissolution aurait bel et bien été décidée avant les attentats de Bali. Il aurait souffert – entre autres – de divergences internes et de problèmes financiers. Reste cependant à voir si les jeunes militants “démobilisés” qui étaient allés combattre à Amboine ou à Poso vont sagement retourner à leurs études…
Quoi qu’il en soit, l’ICG rappelle opportunément que la Jamaah Islamiyyah, le Laskar Jihad et d’autres groupes de l’islamisme radical en Indonésie ne se trouvent pas tous sur la même longueur d’onde: le premier mouvement est par exemple convaincu de la légitimité du jihad contre ceux qu’il considère comme les ennemis de l’islam, même si ces gouvernements se trouvent eux-mêmes être musulmans, tandis que le Laskar Jihad estime que la loi musulmane interdit la rébellion contre un gouvernement musulman, même déviant ou répressif.
“Un auteur a suggéré que l’Indonésie pourrait avoir une expérience similaire à la réaction en Egypte après l’attentat contre des touristes à Louxor en 1997, qui amena de nombreux musulmans à se distancer de l’islamisme radical en raison de l’horreur ressentie. Mais en Egypte, il n’y avait pas de doute quant aux auteurs de l’attentat. En Indonésie, la croyance très répandue que le gouvernement américain ou la CIA se trouvent derrière l’attentat à la bombe pour obtenir un soutien dans la guerre contre l’Irak […] signifie que l’incitation à changer de relations ou de point de vue n’est pas aussi forte.”
Quant à Bali même, l’une des principales préoccupations est de voir les événements du mois d’octobre déboucher sur une dégradation des relations entre les Balinais et les immigrants venus d’autres régions de l’Indonésie (envers lesquels des ressentiments se font déjà jour depuis quelques années), “bien que les dirigeants locaux fassent de leur mieux pour que cela ne se produise pas“. Les musulmans de Bali prennent également des précautions pour éviter tout ce qui pourrait être perçu comme provocation, signale le rapport.