Les services d’immigration des Etats-Unis prêtent depuis quelque temps une attention particulière aux voyageurs provenant de certains pays. Pour cinq d’entre eux, des mesures spéciales ont déjà été adoptées lors de leur entrée, de leur séjour et de leur sortie. Mais ces règles suscitent quelque émotion au Canada, car elles ont été également appliquées à des ressortissants canadiens nés dans les pays visés par ces mesures.
Le site du Ministère des affaires étrangères et du commerce international du Canada vient de publier un avis recommandant à ses ressortissants originaires de certains pays du monde arabe et musulman d’y réfléchir à deux fois avant de se rendre aux Etats-Unis, en raison de l’entrée en vigueur en septembre 2002 du nouveau Système national américain d’enregistrement des entrées et des sorties (NSEERS).
Une réaction du Ministère des affaires étrangères du Canada
Voici le texte intégral du communiqué publié par les autorités canadiennes:
Le système national américain d’enregistrement des entrées et des sorties (United States National Security Entry Exit Registration System [NSEERS]), qui est en vigueur depuis le 11 septembre 2002, permet au service d’immigration et de naturalisation (Immigration and Naturalization Service [USINS]) des États-Unis de tenir des fichiers sur l’arrivée et le départ des non-immigrants nés en Iran, en Iraq, en Libye, au Soudan ou en Syrie, ou susceptibles d’être ressortissants de ces pays. En vertu du NSEERS, ces personnes doivent se faire photographier et faire prendre leurs empreintes digitales, et leur entrée en territoire américain ainsi que leur sortie du pays font l’objet d’une vérification. En outre, les personnes qui sont nées au Pakistan, en Arabie saoudite ou au Yémen ou qui sont citoyennes de ces pays peuvent aussi faire l’objet d’une attention spéciale de la part des autorités américaines d’immigration et de sécurité.
Dans ces circonstances, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international recommande aux Canadiens qui sont nés dans les pays mentionnés ci-dessus ou qui peuvent être citoyens de ces pays de réfléchir sérieusement avant de tenter d’entrer aux États-Unis pour quelque raison que ce soit, y compris en transit, soit vers d’autres destinations, soit vers le Canada en provenance de pays tiers. En outre, tous les Canadiens doivent savoir que l’application du NSEERS par le service d’immigration et de naturalisation peut entraîner des délais aux points de contrôle de l’immigration américaine.
Les agents consulaires canadiens répondent aux demandes d’aide de tous les Canadiens qui sont détenus ou arrêtés en vertu du NSEERS ou pour toute autre raison, par les autorités américaines. Cependant, ces personnes sont assujetties durant leur séjour aux États-Unis aux lois et aux procédures administratives de ce pays, qui peuvent entraîner des délais de plusieurs semaines, voire plusieurs mois.
Vous trouverez de plus amples renseignements sur le programme au site Web de l’USINS à l’adresse
www.ins.usdoj.gov/graphics/lawenfor/specialreg/index.htm [adresse plus valable – 05.06.2016].
Comme on le constate, le fait d’être né dans un de ces pays constitue déjà un élément suffisant pour décourager un éventuel voyage, indépendamment de la nationalité présente des voyageurs, selon l’interprétation des autorités canadiennes. Cela dit, les règles adoptées officiellement par les autorités américaines ne concernent en principe que ceux qui ont la nationalité de l’un de ces pays. C’est donc plutôt une interprétation extensive de ces mesures que semble considérer l’avis canadien, une personne née dans l’un des pays visés pouvant avoir conservé avec celui-ci des liens privilégiés aux yeux des autorités américaines. De fait, plusieurs cas se sont déjà produits: à la fin d’octobre, Ottawa a déjà reçu 13 plaintes de citoyens canadiens. Maher Arar, un citoyen canadien depuis dix ans, a eu la déplaisante surprise d’être déporté vers son pays d’origine, la Syrie, alors qu’il se trouvait en transit aux Etats-Unis. Ce sont de tels incidents qui ont incité les autorités canadiennes à publier leur mise en garde. Selon les données fournies par Radio-Canada, 130.000 Canadiens pourraient être touchés par ces mesures. Le gouvernement du Canada espère convaincre son puissant voisin de les modifier.
Les mesures prises par les Etats-Unis
L’application du nouveau système a débuté le 11 septembre pour une période de test et d’évaluation de vingt jours et est en vigueur dans tout le pays depuis le 1er octobre 2002. Le système d’enregistrement spécial est présenté par l’Immigration and Naturalization Service (INS) comme la première étape d’un nouveau système pour contrôler les mouvements des quelque 35 millions d’étrangers non immigrants qui voyagent chaque année aux Etats-Unis. Outre l’obligation d’être photographiés et de subir un relevé de leurs empreintes digitales, les voyageurs ressortisssants de l’Iran, de l’Irak, de la Liybe, du Soudan ou de la Syrie devront s’annoncer s’ils restent plus de 30 jours dans le pays, et indiquer tout changement d’adresse après l’expiration de la période de 30 jours. Ils doivent s’annoncer auprès d’un bureau spécial lorsqu’ils quittent le pays et ne sont donc autorisés à sortir des Etats-Unis que par certains points dont la liste est fournie.
Les empreintes digitales sont systématiquement comparées avec celles contenues dans une banque de données contenant celles de criminels et terroristes. Le 12 août 2002, lorsqu’îl a annoncé la mise en application de la première phase de ce système, l’Attorney General John Ashcroft avait précisé qu’un projet pilote mené de janvier à juin 2002 pour repérer des criminels déjà identifiés cherchant à s’introduire aux Etats-Unis avait produit des résultats très prometteurs: en moyenne, 70 criminels identifiés par semaine, soit quelque 2.000 sur toute la période.
Quiconque réside plus de 30 jours aux Etats-Unis devra se présenter auprès d’un bureau compétent pour un entretien. A l’occasion de celui-ci, l’INS recommande d’apporter les pièces suivantes:
- Un visiteur en voyage touristique ferait bien de se munir des reçus des hôtels dans lesquels il a séjourné, des titres de transport qu’il a utilisés, des reçus de cartes de crédit pouvant indiquer dans quelles villes il s’est rendu.
- Celui qui séjourne chez des amis est invité à apporter des documents montrant leur nom et leur adresse – par exemple une facture.
- Un étudiant devrait pouvoir fournir des documents liés à ses activités scolaires et extra-scolaires.
Les personnes qui se présenteront à ces entretiens sont invitées à faire preuve d’initiative et à apporter autant de documentation que possible afin de prouver leur bonne foi – et de se préparer également à répondre à des questions pouvant intéresser la sécurité nationale.
Et l’Arabie saoudite?
Comme le mentionne le communiqué canadien, les personnes nées en Arabie saoudite, au Pakistan ou au Yémen sont également susceptibles d’être l’objet d’une attention particulière de l’INS. Cela dit, quand on songe à la nationalité des auteurs des attentats du 11 septembre 2001, l’absence de l’Arabie saoudite peut laisser le lecteur perplexe – pour des simples questions de logique, indépendamment de toute jugement de fond. Manifestement, des considérations politiques jouent également un rôle important: s’ils n’étaient pas considérés comme des alliés des Etats-Unis, ces trois pays se retrouveraient vraisemblablement aussi sur la liste.
Plusieurs déclarations récentes de hauts dignitaires saoudiens soulignent d’ailleurs avec insistance que “l’Arabie saoudite collabore positivement avec toutes les organisations internationales dans le contexte de la lutte contre le terrorisme“. Tout est fait par les Saoudiens pour donner officiellement le sentiment que l’Arabie saoudite n’est pas considérée avec méfiance. Les apparences restent ainsi sauves, même si les Saoudiens sont bien conscients des suspicions qui règnent à leur égard…
L’un des grands défis pour des organisations terroristes du type d’Al Qaïda – si elles entendent frapper les Etats-Unis sur leur territoire – sera non seulement de trouver des ressortissants d’autres zones du globe afin d’éveiller moins de soupçons, mais surtout de pouvoir leur faire confiance pour mener des opérations difficiles et impliquant éventuellement le sacrifice de leur propre vie. Il pourrait y avoir là quelques barrières plus culturelles qu’idéologiques.