La Fraction Armée Rouge (Rote Armee Fraktion, RAF) a été l’un des groupes les plus importants du terrorisme européen d’extrême-gauche des années 1960 à 1980. Le texte rendu public en avril 1998, par lequel ce groupe annonçait sa dissolution après 28 ans de lutte armée, constitue donc un document capital pour l’histoire du terrorisme. Il mérite aussi l’attention par l’analyse qu’il propose des combats du passé (dont la question du recours à la violence) – et des perspectives d’avenir.
Nous reproduisons ce document en utilisant pour base la traduction publiée par la revue française “Front social” (Noyaux autonomes pour le communisme). Plusieurs paragraphes y manquaient cependant, sans parler de certaines erreurs de traduction. Les passages manquants ont donc été traduits par les soins de terrorisme.net, et diverses améliorations ont également été introduites, tout en suivant de très près l’original (ce qui entraîne parfois quelques lourdeurs de style). A notre connaissance, la traduction de ce document présentée ci-dessous est la plus complète disponible actuellement en français sur Internet.
La revue “Front social” et les Noyaux autonomes pour le communisme ont décidé leur dissolution en septembre 2001. Leur site n’est plus mis à jour depuis octobre 2001, mais il reste pour l’instant accessible et représente en langue française une inestimable source de documents en ligne sur différents groupes radicaux:
http://perso.magic.fr/nac/index2.html [ce site a malheureusement disparu – 04.30.2016]
Au sujet de la RAF existent plusieurs sites documentaires sur le Web, avec des informations et textes d’archives, par exemple (en allemand):
http://www.rafinfo.de/ [ce site n’est plus mis à jour depuis 2009, mais existe toujours – 04.06.2016].
Pourquoi nous arrêtons
Il y a presque 28 ans, le 14 mai 1970, la RAF naissait dans une action de libération : aujourd’hui nous en terminons avec ce projet. La guérilla urbaine sous forme de la RAF fait désormais partie de l’histoire.
Nous, c’est tous ceux et toutes celles qui ont été jusqu’ici organiséEs dans la RAF. Nous assumons ensemble ce pas. A partir de maintenant nous sommes – comme tous/toutes les autres de cette connexion – d’ex-militantEs de la RAF.
Nous assumons notre histoire. La RAF a été la tentative révolutionnaire d’une minorité – allant à l’opposé de la tendance de cette société – de contribuer au renversement des rapports capitalistes. Nous sommes heureux/heureuses d’avoir fait partie de cette tentative.
La fin de ce projet montre que nous n’avons pas pu passer sur cette voie. Mais cela ne dit rien contre la nécessité et la légitimité de la révolte. La RAF a été notre décision de nous placer du côté de tous ceux et toutes celles qui luttent dans le monde contre la domination et pour la libération. Pour nous, cette décision a été juste.
Des centaines d’années d’emprisonnement si on les ajoute les unes aux autres n’ont pas pu nous faire disparaître, pas plus que toutes les tentatives d’écraser la guérilla. Nous avons voulu la confrontation avec le pouvoir. Nous avons été sujets, lorsque nous nous sommes décidé il y a 27 années pour la RAF. Nous sommes restéEs sujets lorsque nous la laissons aujourd’hui à l’histoire.
Les résultats nous critiquent. Mais la RAF – comme l’ensemble de la gauche jusque-là – n’est rien d’autre qu’une étape sur la voie vers la libération.
Après le fascisme et la guerre la RAF a apporté quelque chose de nouveau dans la société: le moment de la rupture avec le système, et a jeté la lumière d’une inimitié décidée contre des rapports [sociaux] où les gens sont structurellement soumis et exploités, et qui ont amené une société où les gens se placent d’eux/elles-mêmes contre les autres. La lutte dans la coupure sociale que notre hostilité marquait anticipait une libération devenant réellement sociale: la coupure entre un système – où le profit est sujet et l’être humain objet – et la recherche existentielle d’une vie sans le mensonge et la tromperie de cette société vidant de tout sens. En avoir marre de faire le gros dos, de fonctionner, d’écraser ou d’être écrasé. Du refus à l’attaque, à la libération.
La RAF est née de l’espoir de libération
Avec comme soutien le courage propagé par les guérillas des pays du Sud jusqu’aux pays riches du Nord, la RAF est née au début des années 70, afin de prendre part à la lutte commune en solidarité avec les mouvements de libération. Des millions de personnes découvraient dans les luttes de la résistance et de la libération tout autour du globe également une chance pour elles-mêmes. La lutte armée était dans beaucoup de parties du monde l’espoir de libération. En R.F.A. (République fédérale d’Allemagne) également, il y eut des dizaines de milliers de personnes solidaires avec la lutte des organisations militantes, telles que celle du du 2 juin, les RZ [Cellules Révolutionnaires], la RAF et plus tard la Rote Zora. La RAF est le produit de discussions de milliers de personnes qui se sont intéressées à la lutte armée comme voie vers la libération, à la fin des années 60 et au début des années 70.
La RAF a assumé la lutte contre un Etat qui n’avait, après la libération du fascisme nazi, jamais rompu avec son passé national-socialiste. La lutte armée était la rébellion contre une forme sociale autoritaire, contre l’isolement et la concurrence. Elle était la rébellion pour une autre réalité sociale et culturelle. Dans le courant ascendant des tentatives mondiales de libération, les temps étaient mûrs pour une lutte décidée n’acceptant plus la légitimation pseudo-naturelle du système, et prenant au sérieux son dépassement.
1975-77
Avec l’occupation de l’ambassade allemande en 1975 à Stockholm commença une étape durant laquelle la RAF mit tout en oeuvre pour libérer ses prisonnierEs des prisons.
On en vint à l’offensive de 1977, au cours de laquelle la RAF enleva Schleyer [Hanns Martin Schleyer, né en 1915, président de la fédération des associations patronales allemandes, enlevé le 5 septembre 1977, assassiné 45 jours plus tard]. La RAF posait la question du pouvoir. Commença alors une tentative radicale et décidée d’imposer à la gauche révolutionnaire une position d’offensive contre le pouvoir. L’Etat voulait exactement empêcher cela. Mais le caractère explosif – l’escalade de l’affrontement – vint de l’arrière-plan de l’histoire allemande: la continuité de l’Etat suivant l’Etat nazi, que la RAF touchait avec l’offensive.
Schleyer, membre de la SS sous le régime nazi, était comme beaucoup de nazis dans tous les domaines sociaux revenu à son poste avec tous les honneurs. Des carrières qui menaient jusqu’aux administrations du gouvernement de R.F.A., la justice, dans l’appareil de police, l’armée, les médias et à la tête des grandes entreprises.
Schleyer travaillait dans le réseau des nazis et du capital à l’établissement de l’espace économique européen sous domination allemande. Les nazis voulaient une Europe dans laquelle il ne devait y avoir ni de lutte entre les travailleurSEs de l’industrie et le capital ni de résistance contre leur système. Ils voulaient la suppression de la lutte des classes, en essayant d’intégrer dans la “communauté du peuple” (Volksgemeinschaft) ceux qui étaient allemands ou “germanisables” et utilisables comme travailleurSEs. Les autres étaient asservis dans le cadre du travail forcé ou anéantis systématiquement dans les camps de concentration.
La libération du fascisme nazi et la fin de l’extermination industrielle d’êtres humains par les nazis n’a pas amené la libération par rapport au capitalisme. Schleyer a travaillé après 45 aux mêmes objectifs économiques – sous une forme modernisée. Une poussée modernisatrice intervint avec le modèle social-démocrate des années 70. En tant que hef d’industrie, Schleyer travaillait toujours à l’édification d’un système d’endiguement de la résistance sociale contre les conditions du capital – par exemple par le lock-out – et à l’intégration par des mesures sociales négociées paritairement. Et il s’agissait maintenant aussi avant tout de l’intégration de la partie allemande de la société, ce qui permettait au capital de renforcer l’exploitation des travailleurSEs immigréEs et de dominer et pressurer les gens du Sud à l’échelle mondiale, ce qui signifiait là-bas l’extermination massive par la faim.
La continuité du système, incarnée par Schleyer – dans les années 70 pendant la période du modèle social-démocrate – est un moment essentiel de l’édification et du développement de la R.F.A.
L’obligation absolue d’approuver toutes les mesures de l’équipe de crise [formée par les représentants de l’Etat] et la persécution de toute voix critique, jusqu’à la tentative d’effacer l’opposant politique – c’était le même modèle de réaction que celui des nazis.
Les actions de l’offensive de 1977 ont rendu clair le fait qu’il y a dans cette société des espaces qui ne sont en aucune manière intégrables au système ou contrôlables. Après l’élimination de la résistance par les nazis, c’est avec les actions des groupes de guérilla urbaine après 1968 le retour d’un moment non intégrable de la lutte de classe dans l’Allemagne de l’Ouest postfasciste. L’enlèvement de Schleyer accentua essentiellement cet aspect de la lutte.
L’Etat n’a pas du tout réagi de manière paniquée, comme cela est souvent dit aujourd’hui. Il a réagi avec l’oppression de toutes les expressions qui ne soutenaient pas totalement les mesures de l’Etat dans l’état d’urgence. L’Etat exigeait la soumission de l’ensemble des médias sur la ligne de l’équipe de crise, ce qu’ils firent d’eux-mêmes pour la plus grande partie. Tous ceux/toutes celles qui ne se soumettaient pas étaient menacéEs de la confrontation avec le système. Des intellectuelLEs, dont chacunE pouvait savoir qu’ils/elles ne sympathisaient pas avec la RAF, mais qui critiquaient l’état d’urgence imposé par l’Etat, n’étaient plus sûrEs d’échapper à la répression et la propagande.
Les membres de l’équipe de crise qui avaient pour certains fait l’expérience de la Wehrmacht ont réagi en 1977 avec le même modèle que les nazis – même si d’une autre proportion barbare – l’avaient fait afin de liquider ou de ne pas laisser passer les luttes anticapitalistes et antifascistes. Sous le fascisme nazi, comme également en 1977, le but de la politique étatique était de ne pas laisser d’espace libre entre la loyalité obéissante à l’Etat dans l’état d’urgence d’un côté et la répression de l’autre.
Après qu’il soit de plus en plus clair que l’Etat laissait tomber Schleyer, on en vint avec l’accord de la RAF au détournement d’un avion civil, qui au sein de notre propre offensive amenait une action de guérilla qui ne pouvait être compris autrement que comme si la RAF ne faisait plus de différences entre le bas et le haut de cette société. Ainsi, dans la tentative juste de libérer les prisonnierEs de la torture, la dimension sociale-révolutionnaire de la lutte n’était plus identifiable. De la rupture avec le système et le refus des rapports [sociaux] de cette société – ce qui forme les conditions pour chaque mouvement révolutionnaire – on en arrivait à la rupture avec la société.
Des années 70 aux années 80
La RAF avait tout jeté dans la balance et subi une grande défaite. Dans le processus de lutte jusqu’aux années 70, il s’est avéré que la RAF demeurait avec de rares autres ce qui restait de la rupture de 1968. Beaucoup de gens du mouvement de 1968 s’étaient retirés et profitaient de leurs chances de faire carrière dans la système.
La RAF avait entrepris la guerre de libération en République fédérale comme élément des luttes anti-impérialistes dans le monde. En 1977 on a pu voir qu’elle n’avait ni le poids politique ni le poids militaire afin de pouvoir encore décider de la situation, après la réaction qu’elle suscita – la guerre intérieure.
Il était juste de profiter de la situation historique au début des années 70 et de lancer un nouveau chapitre inconnu dans les métropoles de l’affrontement entre impérialisme et libération. L’expérience de la défaite de 1977 montre les limites du vieux concept de la guérilla urbaine de la RAF. Ce qui devait compter c’était un nouveau concept de libération. La conception du front des années 80 était la tentative d’en arriver à cela. La RAF voulait en arriver à de nouvelles liaisons et une nouvelle base pour une lutte commune avec les parties radicales des mouvements de résistance apparus à la fin des années 70. Mais le concept de front en resta essentiellement sur les bases du vieux projet des années 70. L’action armée resta le moment central et décisif du processus révolutionnaire compris comme guerre révolutionnaire.
Le front anti-impérialiste des années 80
Au début des années 80, il y eut de nombreuses luttes dirigées contre les projets inhumains du système, mais qui exprimaient également la recherche de libres formes de vie. Une rupture sociale qui cherchait immédiatement le début d’une autre réalité sociale. Dans les années 80, des milliers de personnes de différents mouvements descendirent dans la rue pour protester contre ce que la RAF attaquait depuis 1979: la militarisation de la politique des Etats de l’OTAN, qui devait permettre à l’Ouest des guerres de plus – guerre contre l’Union Soviétique, et en même temps interventions de guerre d’ contre les mouvements de libération et les révolutions qui en étaient arrivéEs par la lutte à un pas dans la libération des dictatures occidentales, comme au Nicaragua.
La RAF partait du fait que, dans cette étape, elle ne resterait pas seule. Le concept était porté par l’espoir que des parties militantes des différents mouvements se réuniraient dans le front commun. Mais ce concept ne contenait pas d’évaluation attentive au fait que, dans cette situation sociale, seul un petit nombre de gens voyaient un sens de la lutte de libération au niveau de la guerre. La lutte de libération, dont le moment central est la guerre, n’a de sens que s’il y a une chance que les forces dans la société soient prêtes à la reprendre; s’il y a une chance qu’elle s’élargisse – et ce au moins sur la partie la plus radicale des mouvements.
Mais mêmes ceux/celles qui ont été solidaires – et il y en a eu beaucoup – n’ont pas repris la lutte avec cette conception. La guerre de guérilla a besoin de la perspective de l’élargissement à un nouveau niveau de lutte. Nous n’avons jamais pu en arriver à ce développement existentiel pour la lutte de la guérilla.
La conception de la RAF, qui définissait l’action armée comme noeud central de la lutte, sous-estimait les processus politiques et culturels en dehors de la lutte politico-militaire. Le dépassement de cette direction stratégique, qui dans sa structure fondamentale n’allait pas au-delà du concept des années 70, aurait été la condition préalable d’un nouveau projet révolutionnaire. Le front ne pouvait pas être le nouveau projet de libération dépassant les divisions entre les mouvements et la guérilla.
La RAF partait dans les années 80 du fait que l’élan social-révolutionnaire était contenu dans l’attaque des structures centrales du pouvoir de l’impérialisme. Avec cette conception, la politique devenait toujours plus abstraite. Cela amenait la séparation de ce qui va ensemble: anti-impérialisme et révolution sociale. L’élan social-révolutionnaire disparaissait de la théorie et de la pratique de la RAF. L’orientation du front anti-impérialiste limitée à la ligne anti-impérialiste en était la conséquence. La RAF n’a pas été identifiable en ce qui concerne les questions sociales. Une erreur de fond.
Ramener tout contenu social et politique à l’attaque anti-impérialiste contre le “système global” a entraîné de fausses divisions au lieu d’un processus d’unité; et cela conduisait à une non-identification avec les questions concrètes et les contenus de la lutte.
L’effet dans la société resta limité, parce que disparut de plus en plus l’idée d’arriver à ce qu’une conscience sociale soit créée afin de briser le consensus entre l’Etat et la société – un moment essentiel de tout processus révolutionnaire. Au lieu de cela, la RAF essayait de disloquer la structure de domination de l’Etat par le mordant de ses attaques. La priorité était repoussée, au profit du moment militaire. Cette importance dans le processus de lutte fut maintenu pendant toutes les années 80 et a marqué notre lutte.
Nous avons mené des attaques contre des projets de l’OTAN e, avec d’autres groupes de guérilla de l’Europe occidentale, collaboré contre le complexe militaro-industriel; il y eut la tentative faite par Action Directe en France, les Brigades Rouges/PCC en Italie et nous de mettre sur pied un front ouest-européen de guérilla.
La RAF se concentra sur des attaques – autant que ses forces le permettaient – contre des projets de l’OTAN et, depuis 84, contre la formation des Etats européens vers un nouveau bloc de puissance. Cela fut marqué par une concentration sur nos propres forces limitées et sur celles des militants qui s’orientaient strictement sur la ligne de la RAF. La tentative de former avec d’autres groupes de la résistance un front commun devint un corset plus qu’un élargissement enrichissant. Le front était inévitablement detsiné à se rompre à nouveau, parce que trop d’énergie était consacrée à maintenir la ligne “correcte”. Dans ces limites étroites, aucune dynamique politique ne pouvait être développée. Au lieu d’un nouvel horizon, qui semblait encore s’ouvrir dans la diversité de la résistance au début des années 80, la rigidité et l’étroitesse entravèrent toujours plus la politique dans le courant de la décennie.
Il y avait un grand fossé entre la disponibilité des militants de la RAF pour tout donner dans la confrontation et la timidité simultanée à rechercher de nouvelles idées pour le processus de libération. A cet égard, peu de risques furent pris. A cette époque – le concept des années 80 ne datait que de quelques années – il y eut aussi de notre côté un développement qui était marqué par une politique menée souvent d’une façon conséquente froidement calculée (et cela ostensiblement), ce qui n’était vraiment rien de plus que “faire de la politique” – trop éloigné de tout ce que représente la libération.
Ce fut cependant une période durant laquelle la RAF et tous les détenus de la RAF, à travers toutes les difficultés et défaites, montrèrent par leur détermination qu’ils restaient incorruptibles dans le courts de l’histoire et continuaient à vouloir transformer les conditions contre la volonté du pouvoir. Cela donait aussi de l’espoir à d’autres et en attira beaucoup, car le combat pour la collectivité et la solidarité contrastait avec l’individualisation et la solitude dans la société. Dans le combat des détenus contre l’isolement et pour être ensemble, dans leur combat pour la dignité et la liberté, il y avait quelque hose à quoi aspiraient beaucoup d’autres et avec quoi beaucoup pouvaient s’identifier. L’attitude conséquente et le refus de compromis de la RAF et des détenus contre le pouvoir s’opposaient à toutes les tentatives des dominants d’en finir avec les combats pour une autre vie.
Nous, qui nous sommes pour la majeure partie organiséEs tardivement dans la RAF…
… avons eu comme espoir de développer de manière nouvelle notre lutte dans les conditions modifiées après les bouleversements mondiaux. Nous avons cherché des changements pour la lutte de libération, une nouvelle voie, où nous pourrions nous lier à d’autres. Et nous pensions reconnaître en eux quelque chose de ceux/celles qui s’étaient engagés dans cette lutte avant nous, étaient mortEs ou en prison. Le combat dans l’illégalité avait exercé sur nous une grande force d’attraction. Nous voulions briser le carcan de notre groupe, et être libre de tout ce qui nous garde dans le système.
La lutte armée n’était plus pour nous la seule possibilité et nécessité du processus de libération. Malgré cela, nous voulions, justement en raison de la crise des gauches partout dans le monde, continuer à développer la guérilla urbaine comme possibilité et l’illégalité comme terrain du processus de libération. Mais nous avons vu à l’époque que cela ne suffirait pas. Même la guérilla devrait se modifier.
Notre espoir était une nouvelle relation entre la guérilla et d’autres espaces de la résistance dans la société. Pour cela, nous avons cherché un nouveau projet où pourraient se retrouver les luttes allant des quartiers jusqu’à la guérilla.
Il était important pour nous, après l’écroulement de la R.D.A., de mettre notre lutte en rapport avec la nouvelle situation sociale.
Nous voulions mettre nos efforts en relation avec tous ceux et toutes celles dont les rêves s’étaient évaporés avec la fin de la R.D.A. et sa reprise par la R.F.A. Pour certains, parce qu’ils/elles devaient reconnaître que le socialisme réel n’avait pas réellement amené la libération. Ou pour d’autres, qui au temps de la R.D.A. s’opposaient déjà parfois au socialisme réel et avaient rêvé de pouvoir en arriver à quelque chose au-delà du socialisme réel et du capitalisme.
La plupart de ceux/celles qui avaient vécu en R.D.A. et exigé en 1989 le raccordement à la R.F.A. ne prévoyaient alors pas encore la nouvelle situation sociale dépressive, qu’ils/elles avaient appelée de leurs voeux, et le démantèlement massif de droits sociaux. Nous voulions, dans cette situation historique inconnue detous/toutes, mettre en relation ceux/celles qui luttèrent dans la confrontation avec l’Etat-R.F.A. et ceux/celles qui dans la R.D.A. qui n’existait plus étaient depuis longtemps mécontentEs du développement raciste et globalement réactionnaire. Nous ne voulions laisser le terrain ni à la résignation ni à la droite.
Plus tard, nous avons vu que la dimension du bouleversement nécessitait un nouveau projet de libération internationaliste, fonéd sur la nouvelle réalité de l’Est et de l’Ouest. La RAF, avec ses racines seulement dans l’histoire de la résistance de l’ancienne R.F.A., ne pouvait pas répondre à ce besoin.
La tentative de renouveler la RAF en l’intégrant encore dans le contexte des années 90 était une attente irréaliste.
Nous voulions une transformation d’une conception issue du mouvement de 68 en un nouveau concept social-révolutionnaire et internationaliste des années 90. C’était une période où nous cherchions quelque chose de nouveau, mais en étant prisonnierEs des dogmes des années passées – en ne dépassant pas de manière suffisamment radicale ce qui était ancien. Et ainsi nous faisions l’erreur faite par chacunE d’entre nous a fait après 77: nous avons surestimé le maintien de la continuité de notre conception pour la lutte. Mais fondamentalement, il y a un danger de discréditer la lutte armée si elle est maintenue sans qu’il soit expliqué de quelle manière elle fait progresser de manière sensible le processus révolutionnaire et amène le renforcement de la lutte pour la libération. Agir de manière responsable avec cela est important, sinon la lutte armée est discréditée pour longtemps – y compris pour une situation où elle peut à nouveau se révéler nécessaire.
La crise où la gauche des années 80 en arriva à ses limites et se retrouva déjà en décomposition a fait de notre tentative de relier la RAF à un nouveau projet quelque chose d’irréaliste. Nous arrivions beaucoup trop tard – y compris pour transformer la RAF dans un processus de réflexion. La critique et l’autocritique n’ont pas pour but de finir quelque chose, mais de continuer à la développer. La fin de la RAF n’est en fin de compte pas du tout le résultat de notre processus de critique et d’autocritique, mais elle est nécessaire, parce que la conception de la RAF ne contient pas ce qui permettrait la formation du neuf.
Si nous essayons aujourd’hui de replacer ce paragraphe de notre histoire dans le processus historique global, [il apparaît que] cette tentative de ramener la RAF à un processus politique plus fort est avant tout devenu la prolongation de quelque chose qui avait depuis longtemps mérité la perspective d’un projet achevé. Nous avons dû reconnaître que, de l’ancienne insurrection, était avant tout restée la forme du combat. Un nouveau sens, susceptible d’ouvrir une perspective au delà de la société du travail et d’une économie hostile à l’être humain et orientée vers le profit, qui oeut être le fondement du combat de libération de l’avenir et réunir beaucoup de gens autour de lui, n’existait manifestement pas encore.
Après notre défaite de 1993, nous savions que nous ne pouvions pas simplement continuer de la manière dont nous avions commencé notre coupure dans notre lutte en 1992 [date du cessez-le-feu de la RAF]. Nous étions certainEs que nous avions défini nos cibles de manière juste, mais fait des erreurs tactiques graves. Nous voulions une fois encore tout repenser, avec ceux/celles qui étaient encore dans les taules, et commencer ensemble une nouvelle étape.
Mais à la fin, la scission – très douloureuse pour nous – d’une partie des prisonnierEs d’avec nous, en nous déclarant comme des ennemis, démontra que les conditions qui avaient permis la constitution de la RAF – la solidarité et la lutte pour le collectif – avaient été perdues.
Notre propre processus de libération…
… était important pour nous et a pourtant toujours stagné. Nous voulions le collectif exactement comme le dépassement commun de chaque aliénation. Mais la contradiction entre guerre et libération a souvent été refoulée et écartée chez nous. La guerre révolutionnaire produit également des aliénations et des structures autoritaires, ce qui est en contradiction avec la libération. Agir avec cela de telle manière que cela ne s’établisse pas comme structure n’est possible que si l’on en a conscience. Sinon, des durcissements et de nouvelles structures autoritaires s’autonomisent – dans la politique comme dans les relations. Cela se manifesta entre autres dans les structures hiérarchiques souvent changeantes du front des années 80 et les traits autoritaires de l’année 93. Et cela se manifeste dans le recul vers l’embourgeoisement de la perception et de la pensée, qui a amené dans l’histoire de la RAF que trop de gens qui se sont battus ici ne peuvent plus voir la logique de la rupture globale.
Ce fut une erreur stratégique de ne pas mettre sur pied, à côté de l’organisation illégale, armée, une organisation politico-sociale
Dans aucune phase de notre histoire il n’y a eu de réalisation d’organisation politique partant de la lutte politico-militaire. Le concept de RAF ne connaissait en ultime analyseque la lutte armée – avec l’attaque politico-militaire au centre.
Dans les communiqués fondateurs de la RAF jusqu’au milieu des années 70, cette question importante n’était pas encore résolue, et il pouvait difficilement en aller autrement. Il n’y avait dans la métropole quasiment pas et en R.F.A. pas du tout d’expérience de la guérilla urbaine. Il était nécessaire de d’abord découvrir beaucoup de choses et de les laisser se vérifier par la pratique comme vraies ou fausses. Malgré cela, il y avait une direction sur la question décisive de savoir si le projet de libération pouvait être satisfait par une organisation illégale pour la lutte armée – ou si la construction de la guérilla allait main dans la main avec la construction de structures politiques qui grandiraient dans le processus à la base. Nos camarades prisonnierEs écrivaient à ce sujet en janvier 1976 que la lutte armée à partir de l’illégalité était la seule possibilité d’activité pratique-critique dans l’impérialisme.
Le concept de mai 1982 , malgré toutes les contradictions et malgré que cela ait été une tentative d’en arriver à une nouvelle relation politique avec d’autres, s’est tenu à cette conception erronée. Car ce concept ne rompit pas avec le caractère central de la lutte armée dans la métropole. Les activités politiques qui venaient du processus de front s’étendaient surtout à la compréhension de l’attaque au sein des structures des gauches radicales.
L’absence d’une organisation politique pendant plus de vingt années a constamment produit un processus politique faible. La surestimation de l’effet des actions politico-militaires dans la métropole au cours de la dernière décennie a été le présupposé de ce concept.
La RAF a réalisé sa stratégie de la lutte armée différemment dans les différentes phases, et n’est arrivée à aucun moment au stade où l’attaque militante en arrive là où il le faut: à être comprise comme l’option tactique d’une stratégie globale de libération.
Cette faiblesse a également contribué à ce que notre organisation ne soit, à la fin d’une étape de plus de deux décennies, plus en mesure d’être transformée. Les conditions préalables pour élever le point central de la lutte au niveau politique – comme nous le voulions en 1992 – n’existaient pas. Mais cela n’était en dernier ressort que la conséquence d’une erreur stratégique fondamentale.
La non-formation d’une organisation politico-sociale a été une erreur décisive de la RAF. Ce n’est pas la seule erreur, mais un élément important expliquant pourquoi la RAF n’a pas pu construire un projet fort de libération et pourquoi il a manqué en définitive les conditions décisives pour prendre une influence plus grande sur le développement social par la construction d’un contre-mouvement luttant et cherchant la libération. L’erreur d’un concept comme celui de la RAF a accompagné durant toute sa période montre que le concept de RAF ne peut plus être valable dans les processus de libération du futur.
La fin de la RAF intervient à un moment où le monde entier se trouve confronté aux conséquences du néo-libéralisme. Le combat international contre l’expulsion, contre la discrimination et pour une réalité sociale juste et fondamentalement autre, s’oppose à tout le développement du capitalisme.
Les conditions globales et internes à la société deviennent toujours plus aiguës dans la turbulence du développement historique qui fait suite àla fin du socialisme réel. Il n’y a néanmoins pas de contradiction à mettre un terme à notre projet et de continuer à faire tout ce qui est opportun et possible afin que puisse émerger un monde au delà du capitalisme, dans lequel l’émancipation de l’humanité puisse devenir une réalité. Au vu des conséquences dévastatrices de l’effondrement du socialisme réel à l’échelle mondiale et de l’appauvrissement massif pour des millions d’êtres humains dans l’ex-Union soviétique, il ne suffit pas de parler simplement aujourd’hui des chances qui résultent de la fin du socialisme réel. Nous voyons cependant que la véritable libération n’était pas possible dans le modèle socialiste réel. Il reste encore à tirer les conséquences des expériens anti-émancipatrices faites avec les concepts autoritaires et bureaucratiques du socialisme réel pour les chemins futurs de la libération.
Avec l’effondrement du socialisme réel, la concurrence des systèmes a disparu aussi, ce qui fait que s’est effacée en même temps pour les acteurs du système capitaliste la nécessité de donner l’impression que leur système est le “meilleur”. Avec la disparition de cet obstacle idéologique du capital, un processus de déchaînement global du capital s’est amorcé: toute l’humanité doit être soumise aux besoins du capital. Le néo-libéralisme est le fondement idéologique et économique d’une poussée mondiale vers l’optimisation de la dépréciation de l’être humain et de la nature au profit du capital. C’est ce que les représentants du système qualifient de “poussée réformiste” ou de “modernisation”.
Il est plus que manifeste que l’étape actuelle de développement du système entraîne de nouvelles épreuves sociales et existentielles pour la grande majorité de l’humanité. Pour la majorité des gens dans le monde, le néo-libéralisme équivaut à une nouvelle dimension de la menace pour leur existence.
Dans la lutte pour l’hégémonie politique et le pouvoir économique ne peuvent tenir que les économies dont les capacités sont toujours plus placées au service du profit pur des grandes entreprises et et d’une partie toujours plus petite de la société. Les effets de cette évolution du système entraînent de profondes différences dans les sociétés. Et également à ce que l’appauvrissement croissant et la brutalisation qui en résulte entraînent un nouveau déchaînement de guerre et de barbarie. Lorsque leurs intérêts économiques et politiques sont touchés, les Etats riches interviendront pour leur part toujours dans de tels conflits par la guerre, afin de continuer d’assurer l'”accès illimité aux matières premières” du globe et d’affirmer leurs prétentions de puissance. Il ne s’agit jamais pour eux de [trouver de] véritables solutions pour les hommes, mais de contrôler la destruction que met en branle leur système et de réaliser par là des des profits pour quelques-uns. Il n’y a pas de contradiction, mais cela correspond pleinement à la logique du système, dans le fait que nous vivons partout dans le monde des crises des systèmes politiques et la dislocation des sociétés jusqu’à l’appauvrissement de grandes parties des masses des métropoles qui étaient jusqu’à maintenant largement restées à l’abri de la détresse matérielle et que, en même temps, les multinationales soient plus puissantes que jamais et engrangent des gains plus importants que jamais.
De façon paradoxale, la maximisation réussie des gains du capital, avec le processus de désintégration des sociétés qu’il entraîne, semble pousser le capitalisme à ses limites. A travers ce développement, c’est une nouvelle marche en avant de la barbarie qui nous menace ensuite. En raison de la dynamique propre au développement du système, ce processus négatif va se porusuivre toujours plus, jusqu’à ce que se présente un projet de libération duquel émerge une nouvelle force pour surmonter le système. Mais aujourd’hui aussi, il n’y a pas que les défaites des gauches historiques et la violence des conditions sociales mondiales, mais également les mouvements insurrectionnels qui peuvent déboucher de l’expérience de l’histoire mondiale de la résistance.
Dans [le cadre de] ce développement global, le capitalisme dans les métropoles aussi escompte toujours moins de pouvoir s’acheter une large paix avec les “systèmes de l’Etat social”. Au lieu de cela, des parties toujours plus grandes de la société, plus nécessaires au processus de production, se retrouvent marginalisées. “Pouvoir mondial” et “Etat social” ne peuvent plus se retrouver sous un seul chapeau. Ainsi, en Europe, à la place des anciens “Etats sociaux”, tout un continent devient un Etat policier sous l’hégémonie politique et économique de la R.F.A. et avec la R.F.A. comme Etat de front raciste.
Policiers et militaires contre ceux qui fuient la détresse, la guerre et l’oppression. Renvois vers la guerre et vers la torture. Une société pleine de geôles. Les sans-abris, les jeunes et tous ceux qui vont à l’encontre du style de la table des habitués [Stammtisch] et de la bourgeoisie se font vider des centres de consommation par la police et les services de sécurité. Réintroduction de foyers fermés comme geôles pour enfants. Tentative de contrôle total des réfugiés par des cartes magnétiques dans un avenir proche et d’autres groupes sociaux ultérieurement. Triques et armes contre les prévisibles révoltes de ceux qui sont rejetés sur les marges. Discrimination, persécution et expulsion. Et même la prise de contrôle totale de l’être humain par sa production de technologie génétique ne peut plus être exclue.
Egalement discrimination et persécution par la neutralisation sociale à l’intérieur de la société appartienent ici et là au quotidien. La racisme d’en bas menace la vie de millions de gens, ce qui porte en soi en Allemagne la marque meurtrière de la continuité historique de cette société. La discrimination des handicapés par le haut et l’agression contre ceux-ci par le bas mettent en évidence une société dans sa brutalité quotidienne. Seuls sont désirés des êtres humains qui ne s’opposent pas à l’efficacité du système économique et tout ce qui est capitalisable. Quelque chose d’autre, qui se trouve au delà de la société capitaliste, ne doit pas avoir de place. Tous ceux qui ne peuvent et veulent plus vivre ici – et nombreux sont ceux qui mettent eux-mêmes un terme à leur vie – parlent jour après jour du vide de sens dans le systpme et de la dureté de la société.
La marchandisation de l’être humain et la violence dans les lieux d’habitation de la société, dans ses rues, sont la violence de l’oppression, sont la froideur sociale contre l’autre, c’est la violence contre les femmes – tout cela constitue l’expression de relations patriarcales et racistes.
La RAF s’est toujours trouvée en opposition aux mentalités d’une grande partie de cette société. C’est un moment nécessaire du processus de libération, car ce ne sont pas seulement les rapports [sociaux] qui sont réactionnaires, mais les rapports produisent le réactionnaire dans les êtres humains, ce qui réprime toujours à nouveau leurs capacités de libération. Sans aucune doute, il est vital de s’opposer de façon déterminée au racisme et à toute forme d’oppression, et de les combattre. Les esquisses de libération de l’avenir devront cependant aussi être mesurées à leur capacité à trouver une clé [d’accès] à la conscience fermée de façon réactionnaire et à éveiller le besoin d’émancipation et de libération.
La réalité du monde montre aujourd’hui qu’il y aurait mieux valu que l’emporte la rupture mondiale dont provient aussi la RAF.
La rupture mondiale dont vient la RAF n’a pas gagné la partie, ce qui signifie que le développement destructeur et injuste n’a jusque là pas pu être renversé. Plus dur que l’erreur que nous avons faite compte pour nous le fait que nous ne voyons pas encore de réponses suffisantes pour ce développement. La RAF est issue de la rupture des dernières décennies, qui n’a certes pas pu prévoir exactement le développement du système, mais a senti la menace qui en découle. Nous savions que ce système laisserait à toujours moins de gens dans le monde la possibilité de mener une vie digne. Et nous savions que ce système veut le contrôle total des gens, de telle manière que ceux-ci se soumettent eux-mêmes aux valeurs du système, et en fassent les leurs. De cette connaissance vint notre radicalité. Pour nous, il n’y avait rien à perdre avec ce système.
Notre lutte – la violence avec laquelle nous nous sommes opposéEs aux rapports – a une face difficile et lourde. La guerre de libération a également son ombre. Attaquer des êtres humains en raison de leur fonction dans le système est pour tous/toutes les révolutionnaires dans le monde une contradiction par rapport leur pensée et leurs sentiments – à leur conception de la libération. Même s’il y a des phases dans le processus de libération où cela est vu comme quelque chose de nécessaire, parce qu’il y en a qui veulent l’injustice et l’oppression et défendent le pouvoir qu’eux ou d’autres ont. Les révolutionnaires tendent vers un monde où personne ne décide qui a droit ou non à la vie. Malgré cela, l’indignation au sujet de notre violence présente aussi des traits irrationnels. Parce que la véritable terreur réside dans l’état normal du système économique.
La RAF n’a pas encore été la réponse pour la libération – peut-être en a-t-elle été un aspect.
Même si aujourd’hui beaucoup de questions restent ouvertes, nous sommes certainEs que le noyau des rapports libres ne pourra sortir de l’idée de libération du futur que si elle porte en elle la pluralité réelle où les rapports [sociaux] doivent être renversés. “La ligne juste”, qui met de côté des aspects de la vie, parce qu’ils ne semblent pas efficaces pour cela, est aussi inutile que la recherche du sujet révolutionnaire.
Le projet de libération du futur connaît beaucoup de sujets et une pluralité d’aspects et de contenus, ce qui n’a rien à voir avec une approche selon son bon plaisir. Nous avons besoin d’une nouvelle conception où les individus peut-être les plus divers et les groupes sociaux puissent être sujets, où ils soient amenés à se retrouver. A cet égard, le projet de libération de l’avenir ne peut être trouvé ni dans les vieux concepts de la gauche de R.F.A. depuis 1968, ni dans la RAF, ni chez d’autres encore.
Construire la joie, un projet de libération global, antiautoritaire et pourtant relié et organisé, ce n’est pas encore fait et surtout trop peu essayé par nous.
Nous voyons qu’il y a également partout dans cette partie du monde ceux et celles qui tentent de trouver des voies hors de l’impasse. Nous apportent l’espoir ceux/celles qui, partout, jusqu’au coin le plus perdu de ce pays – où l’hégémonie culturelle des droites fascistes n’est aujourd’hui pas une rareté – ont le courage de se rassembler contre le racisme et les néonazis, afin de défendre soi-même et les autres, et de lutter.
Il est nécessaire de voir que nous nous trouvons dans un cul-de-sac, afin de trouver des voies. Il peut être ici tout à fait juste de laisser de côté ce que l’on pouvait continuer théoriquement. Notre décision de terminer quelque chose est l’expression d’une recherche de nouvelles réponses. Nous savons que cette recherche nous relie à beaucoup de gens dans le monde. Il y aura encore beaucoup de discussions, jusqu’à ce que toutes les expériences produisent ensemble une image réaliste. Nous voulons être un élément de la libération commune. Nous voulons que quelque chose soit reconnaissable de nos propres processus et apprendre des autres. Cela repousse aussi les vieilles conceptions de l’avant-garde qui mènent les luttes. Même si ” l’avant-garde ” n’a depuis plusieurs années rien à voir avec notre compréhension de la lutte, la vieille conception de RAF ne permettait pas son dépassement concret. C’est également pour cela que nous pouvons abandonner ce concept.
Les guérillas des métropoles ont ramené la guerre que les Etats impérialistes mènent en-dehors du centre au coeur de la bête
Malgré tout ce que nous aurions pu faire mieux, il a été fondamentalement juste de s’opposer aux rapports [sociaux] en R.F.A. et de tenter de marquer la continuité de l’histoire allemande avec la résistance. Nous voulions également donner une chance à la lutte révolutionnaire dans la métropole.
La RAF a assumé et tenté de développer pendant plus de deux décennies la lutte sur un terrain social marqué historiquement par une faible résistance et l’absence d’un mouvement contre le fascisme, et plutôt par une population loyale au fascisme et à la barbarie.
La libération du fascisme devait, à la différence d’autres pays, venir de l’extérieur. Une rupture autodéfinie “par en bas” avec le fascisme, il n’y en a pas eu ici. Ils/elles ont été bien peu dans ce pays à s’opposer au fascisme: trop peu à avoir montré le chemin de l’humanité. Ceux/celles qui ont lutté dans la résistance juive, communiste – ou même n’importe quelle résistance antifasciste – ont été importantEs pour nous. Et ils/elles le seront toujours. Ils/elles ont été le peu de lumière dans l’histoire de ce pays, depuis que le fascisme a commencé en 33 à tuer tout le social dans cette société.
En opposition à eux/elles, la tendance dans la société a toujours été d’accepter ce que disent les puissants; l’autorité définit ce qui est légitime. Dans la destruction sociale de cette société, qui est une présupposition pour le génocide des nazis, l’indifférence pour les autres est un moment essentiel. La RAF a, après le fascisme nazi, rompu avec ces traditions allemandes, et les a dépouillées de tout assentiment. Elle vient de la rupture avec elles. Elle n’a pas seulement refusé les continuités nationales et sociales, mais a substitué à cette négation une lutte internationaliste, dont la pratique refusait et attaquait autant l’Etat allemand et les rapports de domination que les structures militaires de ses alliés de l’OTAN.
Partout dans le monde, cette union, dont hiérarchiquement l’Etat US est la force motrice et le guide incontesté, tente d’écraser avec les militaires et la guerre les rébellions sociales et les mouvements de libération.
Les guérillas des métropoles ont ramené la guerre que les Etats impérialistes mènent en-dehors du centre au coeur de la bête.
Nous avons répondu aux rapports violents avec la violence de la révolte.
Il ne nous est pas possible de porter un regard sur une histoire [qui serait] lisse et sans erreurs. Mais nous avons essayé quelque chose et dépassé beaucoup de frontières imposées par les dominants et intériorisées par la société bourgeoise. La RAF n’a pas pu montrer un chemin vers la libération. Mais elle a contribué pendant plus de deux décennies qu’il y ait aujourd’hui des pensées de libération. Poser la question du système, a été et est légitime, tant qu’il y a dans le monde la domination et l’oppression à la place de la liberté, l’émancipation et la dignité.
De la lutte de la RAF, neuf ancienNEs militantEs sont toujours en prison. Même si la lutte pour la libération n’est pas près de se terminer, cette confrontation est devenue historique. Nous soutenons tous les efforts afin que les prisonnierEs issuEs de cette confrontation sortent de taule.
Nous voulons dans ce moment de notre histoire saluer tout le monde et remercier ceux/celles qui n ous ont témoigné leur solidarité sur la voie de ces 28 années, qui nous ont soutenu de diverses manières, et qui ont sur leurs bases lutté avec nous. La RAF a voulu contribuer de façon décidée à la lutte pour la libération.
Cette intervention révolutionnaire dans ce pays et dans cette histoire n’aurait jamais pu avoir lieu s’il n’y avait pas eu beaucoup de gens, qui n’étaient pas organisés dans la RAF, pour apporter un peu d’eux/elles-mêmes dans cette lutte. Il y a derrière nous une lutte commune. Nous souhaitons que nous nous retrouverons tous/toutes avec d’autres sur la piste inconnue et sinueuse de la libération.
Nous pensons à tous ceux / toutes celles qui sont mortEs dans le monde dans le combat contre la domination et pour la libération. Les objectifs pour lesquels ils/elles se sont investiEs sont les objectifs d’aujourd’hui et de demain – jusqu’à ce que tous les rapports où l’être humain est un être rabougri, enchaîné, oublié, méprisé, soient renversés. Leur mort est douloureuse, mais jamais pour rien. Ils/elles vivent dans les luttes et la libération de l’avenir.
Nous n’oublierons jamais les camarades du Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP) qui ont donné leur vie en automne 1977, par solidarité internationale, dans une tentative de libérer les prisonnierEs politiques. Nous voulons aujourd’hui particulièrement rappeler le souvenir de tous ceux et de toutes celles qui se sont décidéEs ici de tout donner dans la lutte armée et sont mortEs. Nous nous rappelons et disons toute notre estime pour ceux/celles dont nous ne pouvons donner les noms, parce que nous les ignorons, et à:
Petra Schelm, Georg von Rauch, Thomas Weissbecker, Holger Meins, Katharina Hammerschmidt, Ulrich Wessel, Siegfried Hausner, Werner Sauber, Brigitte Kuhlmann, Wilfried Böse, Ulrike Meinhof, Jan-Carl Raspe, Gudrun Ennslin, Andreas Baader, Ingrid Schubert, Willi-Peter Stoll, Michael Knoll, Elisabeth van Dyck, Juliane Plambeck, Wolfgang Beer, Sigurd Debus, Johannes Thimme, Jürgen Peemöller, Ina Siepmann, Gerd Albertus, Wolfgang Grams.
La révolution dit: j’étais, je suis, je serai.
Fraction Armée Rouge
Mars 1998
[Rendu public le 21 avril 1998]
Traduction revue et complétée par terrorisme.net.