Après plusieurs contributions dédiées à l’émergence d’une nouvelle forme de violence dans l’espace européen francophone (en particulier la France et la Suisse), Terrorisme.net offre à ses lecteurs une contribution très rare: un entretien avec un activiste anonyme de l’Animal Liberation Front. Malgré les risques encourus, ce document nous a été proposé par le philosophe Klaus Petrus, auteur de Tierrechtsbewegung und Aktivismus («mouvement de défense du droit des animaux et activisme»), un ouvrage collectif qui se concentre essentiellement sur la question de la relation entre violence et activisme en faveur des animaux (à paraître en 2008, en allemand). Ce document permet de mieux comprendre la logique, le processus de radicalisation et le mode opératoire des acteurs militants de la cause animale.
Il s’agit de la traduction d’une version raccourcie et autorisée d’un entretien qui a eu lieu en février 2007. Les activistes de l’Animal Liberation Front agissent principalement dans la clandestinité. La publication de cet entretien a été acceptée à condition que l’identité de l’activiste reste anonyme.
Klaus Petrus – Si l’on excepte la prise de contact qui fut extrêmement compliquée, notre rencontre ne semble pas si problématique. Je suis assis dans un restaurant face à un activiste du droit des animaux – que certains qualifient «d’éco-terroristes» – que j’interroge. Ne craignez-vous pas pour votre sécurité?
Activiste – Je ne suis pas recherché, du moins pas de manière nominale. De plus, je suppose que vous n’êtes pas un informateur. Plus sérieusement: il est évident que je suis prudent. La surveillance policière a augmenté ces dernières années, ce qui peut devenir très désagréable.
Klaus Petrus – Avez-vous peur d’être emprisonné?
Activiste – Bien sûr, tous les activistes ressentent cette peur. En fin de compte, nous ne sommes pas des martyrs et nous ne sommes utiles à personne en prison, en particulier pas aux animaux. Je suis cependant parfaitement conscient des risques que je prends et je les assume entièrement.
Klaus Petrus – Vous vous qualifiez vous-même «d’activiste de l’ALF». Qu’est-ce que l’Animal Liberation Front?
Activiste – L’ALF n’est pas une organisation mais une attitude: il s’agit de mettre fin une fois pour toutes à l’exploitation des animaux.
Klaus Petrus – Toutes les personnes qui s’engagent contre l’exploitation des animaux ne sont pourtant pas des activistes de l’ALF….
Activiste – Ce sont les méthodes qui diffèrent. Certaines personnes choisissent un style de vie végétalien. Il s’agit de leur façon de protester. D’autres participent à des campagnes, à des manifestations, distribuent des tracts, récoltent des signatures etc. Nous nous engageons de manière directe, nous libérons des animaux et essayons de toucher les personnes qui exploitent les animaux «là où ça fait mal»: au niveau financier. L’industrie d’exploitation des animaux génère d’énormes profits et l’ALF utilise tous les moyens possibles pour lui causer du tort. Le sabotage constitue un excellent moyen. Les recherches clandestines (undercover) dans des fermes d’élevage industriel ou des laboratoires d’expérimentation également. Elles peuvent conduire à donner une mauvaise image d’une entreprise, et qui dit «mauvaise image» dit également pertes financières.
Klaus Petrus – En tant qu’activiste, quelles sont vos limites?
Activiste – Les limites – je devrais plutôt dire les principes – sont claires. L’un de ces principes exige de ne blesser ni êtres humains, ni animaux. L’ALF s’est toujours tenu à ce principe. Les actions de l’Animal Liberation Front ne tuent et ne blessent personne. Un autre principe veut qu’un animal ne puisse être libéré que s’il est ensuite possible de lui garantir un lieu d’accueil sûr. C’est un principe important mais qui complique parfois le travail de l’ALF. A cet égard, je souhaiterais qu’un plus grand nombre d’organisations s’engagent pour offrir des lieux sûrs aux animaux libérés. Un autre principe veut qu’une action de l’ALF ne soit jamais dirigée contre des personnes qui ne sont pas impliquées dans l’exploitation animale! Les activistes de l’ALF ne sont pas des vandales. Nous visons les biens de l’industrie qui exploite les animaux et les personnes qui font des affaires avec cette industrie. En d’autres termes: dans le cadre offert par les principes de l’ALF, tout est possible, pour autant que cela soit utile.
Klaus Petrus – Je connais beaucoup de gens qui me disent: même si les buts de l’ALF sont acceptables, les méthodes utilisées…
Activiste – La question essentielle est la suivante: pourquoi l’ALF utilise-t-il ces méthodes? Pour nous, il s’agit de sauver ici et maintenant des êtres totalement sans défense et exploités. On peut faire bouger les choses non seulement en libérant des animaux, mais également en détruisant un laboratoire ou en incendiant un élevage pour la fourrure. Il faut des locaux pour exploiter les animaux, des instruments, une infrastructure qui fonctionne bien. Le sabotage a pour but de détruire ces infrastructures ou du moinsde les rendre inoffensives pour un certain temps. Les dommages financiers infligés aux entreprises constituent un choix conscient. Pour l’ALF, une entreprise d’exploitation animale en situation financière difficile ou qui doit mettre un terme à ses activités du fait de l’engagement d’activistes constitue un succès, même si durant les actions en question aucun animal n’a été libéré.
Klaus Petrus – J’aimerais revenir sur ce principe que vous avez mentionné selon lequel il faut prendre toutes les précautions nécessaires pour ne blesser ni animal ni être humain. Il existe cependant des groupes comme l’Animal Rights Militia (ARM), les Revolutionary Cells – Animal Liberation Brigade (RC – ALB) ou le Justice Department qui ne respectent pas ce principe. Quelle est votre position à cet égard? On entend souvent que ce sont les activistes de l’ALF eux-mêmes qui sont derrière ces actions, c’est-à-dire une frange plus radicale de l’ALF…
Activiste – Si j’exploitais des animaux ou travaillais pour la police, c’est probablement ce que je dirais! Mais il s’agit d’allégations. Il s’agit là d’un problème fondamental: «ARM» ou «RC-ALB» ne font pas référence à des organisations mais à des attitudes. Tout le monde peut se cacher derrière ces noms. Même un acteur de l’industrie qui exploite les animaux pourrait incendier un bâtiment et faire porter le chapeau à l’ALF ou l’ARM. Quoi qu’il en soit, je ne connais personne de l’ARM, des RC- ALB ou du Justice Department. Et je ne recherche pas le contact avec ces gens. Quiconque prend le risque de blesser ou de tuer des personnes n’a, à mes yeux, pas une attitude digne de l’ALF ou que je soutiendrai personnellement.
Klaus Petrus – D’anciens activistes de l’ALF ou des personnes qui prennent officiellement position au nom de l’ALF ne l’entendent pas de cette oreille. Ces personnes ne regretteraient pas des victimes dans le camp de l’industrie qui exploite les animaux.
Activiste – Pour ce qui est de mon engagement, ce sont les principes de l’ALF qui sont contraignants et pas les déclarations de certaines personnes. Si Jerry Vlasak ou d’autres ne sont pas de cet avis, c’est leur problème. Ceci n’a rien à voir avec l’ALF: nous ne voulons blesser ou tuer personne, et nous ne le ferons pas!
Klaus Petrus – Pourtant, dans la presse, les rapports de police ou le grand public, le Front de libération des animaux est considéré comme «militant», «radical», voire même «terroriste».
Activiste – Il règne ici une certaine confusion. Tout d’abord que veut dire «radical»? Ce que vous considérez comme radical, ne l’est peut-être pas assez pour moi et inversement. Personnellement, je pense que, au sens propre, les actions directes sont toujours radicales. Elles considèrent un problème à la racine et essaient de l’approcher de manière frontale. C’est ce que fait l’ALF. Il n’attend pas le succès de négociations avec des personnes qui exploitent les animaux ou le législateur. La souffrance des animaux a lieu ici et maintenant, chaque jour, heure, minute, seconde – en continu et partout. Si se battre contre cette horreur est radical, alors oui, l’ALF est radical.
Qu’il s’agisse d’une association terroriste est ridicule ! Nous n’enlevons, ne blessons ou ne tuons personne. Nous ne menons pas de lutte armée contre les personnes qui exploitent des animaux. Nous ne détruisons pas de manière arbitraire. Quiconque ne profitant pas directement et de manière évidente de l’exploitation et de la misère des animaux n’a rien à craindre de l’ALF. Notre seul objectif est de mettre un terme à la souffrance quotidienne des animaux individuellement, que ce soit dans des fermes d’exploitation, d’élevage, des laboratoires d’expérimentation et partout ou ceux-ci sont exploités pour nos besoins ou notre plaisir.
Klaus Petrus – Pourtant, il existe des lois spéciales comme l’Animal Entreprise Terrorism Act (AETA) aux Etats-Unis qui sont focalisées sur les activités des militants de la cause animale. Selon cette loi, vous seriez un terroriste puisque vous appartenez à une organisation terroriste.
Activiste – Bien sûr, bien sûr. Il fallait s’y attendre. Dans ce cas, la question de la fonction d’une telle loi est essentielle et les personnes qui les rédigent le savent parfaitement: nous ne sommes pas une menace terroriste mais un danger économique.
Klaus Petrus – Si l’on connaît la genèse de l’AETA et que l’on s’intéresse de plus près à sa formulation, il est difficile de se débarasser de l’impression qu’il s’agit en premier lieu de protéger les intérêts économiques d’entreprises privées.
Activiste – C’est exactement ce que je veux dire. Qu’un Etat se permette de telles choses est tout simplement scandaleux! Mais soyons honnête, nous devons faire face à des lobbies très puissants: l’industrie pharmaceutique, l’industrie alimentaire et du tabac pour ne citer que les plus importantes. Dans la foulée, il y a également les politiciens qui défendent leurs intérêts. Il s’agit d’argent, de beaucoup d’argent. Mais personne ne parle des animaux. On a assisté à un scénario similaire lorsque l’AETA était débattue. La seule motivation derrière de telles lois est de criminaliser toute forme de protestation et d’activisme qui constituent un obstacle au bon fonctionnement des entreprises qui exploitent les animaux.
Klaus Petrus – Que pensez-vous de l’objection selon laquelle l’ALF est militante? Dans la plupart des cas, celle-ci vise à dénoncer l’utilisation de la violence par les activistes de l’ALF.
Activiste – Il s’agit à nouveau d’une question de définition. Des dommages contre la propriété sont-ils des actes violents? Je suis d’avis que ce n’est pas le cas. Comment peut-on être violent vis-à-vis d’un objet qui ne ressent rien? Quoi qu’il en soit, même si nos actions sont considérées comme violentes, il faut les considérer comme une «contre-violence». En effet, même si on parle du militantisme de l’ALF, personne ne parle de l’extrême violence exercée contre les animaux. Ceux-ci sont élevés et maintenus en captivité dans des conditions pitoyables, ils sont gavés, engrossés, frappés, torturés et l’on pratique sur eux des expériences cruelles et absurdes. La question ne devrait-on donc pas être: «les actions de l’ALF sont elles violentes?» mais plutôt «si l’on considère notre manière de traiter les animaux, cette violence est-elle légitime?» Le fait que quelqu’un ait recours à une contre-violence ne signifie pas que cette contre-violence soit illégitime.
Klaus Petrus – Dans tous les cas, celle-ci est illégale. Les activistes de l’ALF violent la loi et s’insurgent ainsi contre le système qui émet ces lois. Les actions de l’ALF sont-elles des actions politiques?
Activiste – Les avis divergent. Je connais des activistes de l’ALF qui n’ont pas de motivation politique. Dans tous les cas, pas au sens usuel du terme. Ces gens ne sont focalisés que sur la souffrance des animaux et mettent tout en œuvre par l’atténuer. Il faut cependant noter que l’exploitation des animaux n’est pas un loisir. Il s’agit d’une industrie qui ne peut fonctionner que s’il existe un système qui accepte, encourage et maintient notre domination sur les animaux. Ce système est clairement politique. De ce point de vue, les actions de l’ALF sont clairement dirigées contre ce système et sont, par conséquent, politiques. C’est en tout cas mon avis. La lutte contre l’exploitation des animaux est une lutte contre un système qui exerce une violence et une domination sur des créatures sans défense.
Klaus Petrus – Parlons de vous. Comment êtes-vous devenu un activiste de l’ALF?
Activiste – Comme la plupart des activistes, je suppose. Je me suis d’abord engagé dans une organisation de défense des droits des animaux. Un jour, je me suis dit que les paroles et les manifestations ne servaient à rien et qu’il fallait entreprendre quelque chose de concret contre ces horreurs. C’était il y a 15 ans. A cette époque, j’ai scié les pieds de tours de chasse, brisé les vitrines de magasins de fourrure. Plus tard, nous avons travaillé de manière plus organisée.
Klaus Petrus – Ce qui veut dire?
Activiste – Certaines actions doivent être planifiées de manière minutieuse. Prenez par exemple la libération d’animaux d’un laboratoire d’expérimentations. Tout d’abord, il faut faire un repérage précis des lieux. Selon les cas, il faut connaître les systèmes de sécurité et pour cela des experts sont parfois nécessaires. Une telle action peut également exiger certains outils spéciaux. Des voitures doivent être louées, il faut également s’équiper de cages pour le transport, prendre contact avec des vétérinaires pour qu’ils examinent les animaux et les soignent, le cas échéant. Avant tout, il faut trouver des gens qui soient disposés à accueillir ces animaux. Comme je l’ai déjà dit, c’est la chose la plus importante. Cela n’a pas de sens de libérer des animaux de batteries de ponte ou laboratoires si l’on a pas clarifié auparavant la question de l’accueil.
Klaus Petrus – Dans cette perspective, on parle de «cellulesde l’ALF». Ce qualificatif est-il adéquat?
Activiste – Certaines actions ne peuvent être exécutées par un seul individu. On s’associe alors avec d’autres activistes. On parle alors de «cellules». Il est possible que plusieurs actions soient exécutées par une même cellule, mais j’ai déjà vécu des cas où une cellule ne s’est réunie que pour une action. De temps en temps, de telles cellules peuvent également avoir un rôle tactique. En exécutant plusieurs actions et en les signant de manière identique, on peut envoyer un message à d’autres activistes: nous sommes là, nous sommes actifs! On peut ainsi établir des contacts qui sont importants. Mais ces contacts ne vont pas plus loin: il n’est par exemple pas vrai que les cellules ont un «leader» et qu’elles sont dirigées «d’en haut», par une hiérarchie.
Klaus Petrus – Êtes-vous également actif dans une organisation «classique» de défense des droits des animaux?
Activiste – Non, ce serait prendre un risque trop important. Les organisations de défense des droits des animaux sont de plus en plus surveillées. Parfois, il arrive même que des activistes de l’ALF soient arrêtés parce qu’ils ont été identifiés au moyen de photos et de vidéos faites par la police lors de manifestations d’organisations légales de défense des droits des animaux.
Klaus Petrus – En principe, le travail dans une organisation de défense des droits des animaux n’exclut pas une participation aux activités de l’ALF.
Activiste – Pas du tout. Et je pense que de nombreux activistes mènent ce genre de double vie. Mais cela dépend également du type d’actions de l’ALF. Les personnes impliquées dans des actions qui peuvent mener à des lourdes condamnations devraient éviter de distribuer des tracts devant un McDonald’s.
Klaus Petrus – Et vous, menez-vous une double vie?
Activiste – Certains de mes amis ne savent pas que je suis un activiste de l’ALF.
Klaus Petrus – Un lourd tribut à payer?
Activiste – Il est important pour moi de n’impliquer personne. Il ne faut pas oublier que la répression étatique et policière est extrême. Au niveau mondial, les activistes de l’ALF sont persécutés et risquent parfois des peines de prison absurdes. C’est également mon cas. Et il est toujours mieux que mes amis puissent dire en toute bonne foi: je n’en savais rien!
Klaus Petrus – Vous disiez à l’instant que de nombreux activistes de l’ALF sont également impliqués dans des campagnes tout à fait légales. Cela pourrait-il expliquer le fait que de plus en plus de campagnes légales soient «accompagnées» d’actions de l’ALF?
Activiste – Où voulez-vous en venir?
Klaus Petrus – Prenez l’exemple de la campagne Stop Huntingdon Animal Cruelty (SHAC) contre le laboratoire Huntingdon Life Sciences (HLS). Il est indéniable que le nombre d’actions de l’ALF contre HLS a fortement progressé au moment où la campagne de SHAC devenait internationale. C’est pour cette raison que certaines personnes pourraient penser que SHAC et l’ALF coopèrent.
Activiste – Il faut cependant savoir que SHAC – considéré dans ces proportions – était quelque chose de totalement nouveau pour le mouvement du droit des animaux. Ou du moins, il s’agissait d’une manière totalement différente de mener une campagne. Normalement, une campagne est lancée, financée et dirigée par des organisations de défense des droits des animaux plus ou moins établies. Lorsque SHAC a été fondée en 1999 – nota bene en réaction à des recherches clandestines sur HLS effectuées par des activistes de l’ALF – le message était clair: mettre HLSà genoux ! C’était ce but qui définissait et qui définit toujours la campagne SHAC. Cela veut également dire que quiconque poursuit ce but peut et doit contribuer à la cause – que ce soit en participant à des manifestations autorisées, en menant des actions revendiquées ou non sous la bannière de l’ALF. Il est clair que l’ALF soutient l’objectif de la campagne SHAC, simplement du fait qu’il s’agit également de son but. Il est donc clair que l’ALF est active contre HLS et toutes les personnes qui font des affaires avec le laboratoire. Mais cela ne veut pas pour autant dire qu’il existe une collaboration concrète. J’étais impliqué dans de nombreuses actions contre HLS mais je n’ai jamais eu de contacts avec des gens qui s’engagent dans la campagne SHAC. En fait, je ne saurais pas vraiment ce qu’il y a à discuter. Le but est clair, tous les participants savent ce qu’il faut faire. D’ailleurs, l’ALF attaquerait HLS même sans la campagne SHAC.
Klaus Petrus – Revenons à votre personne. J’ai entendu dire que vous faisiez partie de ces activistes qui voyagent beaucoup.
Activiste – C’est l’une des beautés du «métier». Plus sérieusement: certaines actions ne peuvent et ne devraient pas être exécutées de manière locale.
Klaus Petrus – Qu’est-ce que cela veut dire concrètement?
Activiste – Prenez une entreprise pharmaceutique qui pratique des expériences de torture sur les animaux ou les mandate. Supposons que cette entreprise soit dans une ville x, mais qu’elle dispose de filiales dans les villes y et z. Il peut être plus efficace de mener des actions dans les villes y ou z – du simple fait que, par exemple, l’entreprise ne s’y attend pas. C’est pourquoi, on se rend à y ou z pour sonder la situation.
Klaus Petrus – Voilà un exemple qui n’est pas très concret. Cela semble plus être une réflexion de stratégie que…
Activiste – Une grande partie de mon activité pour l’ALF est justement stratégique…
Klaus Petrus – Vous donnez effectivement l’impression d’être un activiste professionnel.
Activiste – Je sais où vous voulez en venir: l’ALF n’est-elle pas une organisation composée de 100 ou de 500 activistes à plein temps?Voilà votre question. La réponse est négative. Tous les activistes de l’ALF ont la même attitude, nous en avons déjà parlé. Certains activistes exécutent certaines actions, alors que d’autres activistes sont occupés par d’autres actions. Certains activistes sont souvent actifs, d’autres le sont rarement ou une seule fois dans leur vie. C’est ça, l’ALF.
Klaus Petrus – Ce n’était pas ma question. Si vous voulez continuer sur les clichés, vous avez l’air plutôt intelligent.
Activiste – C’est ça, c’est ça. 99 % des activistes de l’ALF sont des vandales pré- pubères qui ne réfléchissent pas. Ce serait vraiment bien si la police et l’industrie de l’exploitation animale pouvaient croire à ce cliché. Ainsi, ils nous sous-estimeraient. Quelle était votre question?
Klaus Petrus – Pour un outsider comme moi, il semble qu’il y ait ici une différence claire entre des actions «mineures» comme le bris de vitrine d’un magasin de fourrure et des actions «majeures» comme la libération d’animaux d’un laboratoire ou des actes de sabotage. Les premières peuvent être exécutées de manière spontanée, alors que les secondes doivent être planifiées et exigent l’engagement de «professionnels». Cette évaluation est-elle correcte?
Activiste – On ne peut pas généraliser. Chaque action implique un certain nombre de paramètres. Contre qui est-elle dirigée? Où? Quand? Avec quels moyens? Il faut se RE-poser ces questions avant chaque action. Par exemple, je me souviens avoir préparé et exécuté une action de libération dans une ferme d’élevage de fourrure avec un autre activiste. Nous avons naturellement fait une reconnaissance de la zone, ce qui nous a pris deux à trois jours. L’action elle-même fut une promenade de santé: en 40 minutes, nous avons libéré environ 800 visons.
Mais j’ai également participé à des actions contre une chaîne de magasins de fourrure. En principe, il ne s’agissait que de dommages matériels mineurs: bris de vitrines, sprayage de fourrures, utilisation d’acide butirique ou de silice. Pourtant, ces actions étaient bien planifiées et coordonnées entre elles. Elles ont d’ailleurs été couronnées de succès. On oublie souvent que ce sont justement ces actions «mineures» qui peuvent être très efficaces! Les personnes qui exploitent des animaux sont déstabilisées, elles sont contraintes à prendre des mesures de sécurité, doivent concéder des investissements supplémentaires etc. De ce point de vue, de telles actions sont importantes et leur multiplication constitue une bonne chose. Mais vous avez raison: de nombreuses actions «majeures» – comme par l’attaque de laboratoires – doivent être extrêmement bien préparées. Pensez simplement aux systèmes de surveillance. A l’heure actuelle, de nombreux laboratoires ressemblent à des forteresses et il faut de gros efforts pour y entrer, et surtout en ressortir!
Klaus Petrus – J’aimerais revenir à ma première impression, selon laquelle vous avez l’air d’un professionnel. Vous avez toujours dit que les actions doivent être préparées au mieux. Êtes-vous un expert?
Activiste – Si l’on peut le dire ainsi: oui. J’essaie d’obtenir un maximum d’informations sur les entreprises qui exploitent des animaux.
Klaus Petrus – Comment agissez-vous concrètement?
Activiste – Je ne peux pas vous donner d’exemples. Vous voulez vraiment savoir ce que nous faisons actuellement? Cela pourrait vous causer des ennuis. Mais dans l’ensemble ce n’est pas très spectaculaire. Nous observons ces entreprises, déterminons leurs faiblesses; de temps à autre, nous pénétrons à l’intérieur et obtenons ainsi des informations dont seuls des insiders peuvent bénéficier.
Klaus Petrus – Et que faites-vous avec ces informations?
Activiste – Que voulez-vous dire? Je les utilise pour en faire profiter les animaux et causer des dommages à ceux qui les exploitent.
Klaus Petrus – Je voulais plutôt dire, transmettez-vous ces informations à d’autres activistes?
Activiste – Cela arrive.
Klaus Petrus – Arrive-t-il qu’en tant qu’expert, d’autres activistes vous demandent conseil?
Activiste – Cela arrive également.
Klaus Petrus – Ai-je bien compris: vous ne voyagez pas seulement parce que, par exemple, Novartis a des filiales dans certains lieux et qu’il est plus facile ou plus efficace d’organiser des actions dans ces lieux, mais parce que certains activistes planifient des actions contre Novartis et ont besoin de vos conseils?
Activiste – Novartis est votre exemple et pas le mien. Pour le reste, vous avez parfaitement compris.
Klaus Petrus – Il existe donc un réseau entre activistes de l’ALF?
Activiste – Ecoutez, je ne suis pas un spécialiste de l’ALF. Je suis un activiste et ne peux parler que pour ma propre personne. Je n’ai jamais entendu parler d’un réseau. Bien sûr que je connais certains activistes de l’ALF et que nous essayons d’exécuter nos actions de la manière la plus efficace possible. Ceci exige parfois une certaine répartition du travail, en particulier en ce qui concerne la préparation de certaines actions.
Klaus Petrus – A quel type d’actions faites-vous référence?
Activiste – Par exemple au sabotage et à des libérations d’animaux.
Klaus Petrus – Et pourquoi les activistes font-ils appel à vos services?
Activiste – Parce que je m’y connais en systèmes de sécurité.
Klaus Petrus – Un savoir précieux?
Activiste – Les entreprises paieraient sûrement très bien pour savoir où sont leurs faiblesses…
Klaus Petrus – Comment les actions sont-elles financées? Une des forces de l’ALF semble justement être son côté «low cost»?
Activiste – C’est vrai. Nous ne sommes pas une organisation, nous n’avons pas d’administration, de caserne pour les recrues de l’ALF, nous n’avons pas besoin d’armes ou de munition, ne faisons pas campagne, n’avons pas de frais de relations publiques etc. La plupart des actions sont financées par les activistes eux-mêmes. Il y a évidemment les personnes qui nous soutiennent sporadiquement: des amis, des connaissances, des sympathisants.
Klaus Petrus – Avez-vous déjà été sponsorisé par une organisation de défense des droits des animaux?
Activiste – Non, et je ne pense pas que cela soit arrivé. Il y a évidemment des associations ou des groupes de soutien qui s’occupent par exemple des activistes emprisonnés. Mais c’est autre chose. Ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas par ce biais que les actions sont financées.
Klaus Petrus – A propos des sympathisants. Quel est actuellement l’image de l’ALF auprès de ces gens?
Activiste – Je pense que vous en savez plus que moi à ce sujet. Pour être honnête, cela ne m’intéresse pas beaucoup.
Klaus Petrus – J’ai l’impression que l’ALF est plutôt isolé, même au sein du mouvement de défense du droit des animaux. Il n’existe que très peu d’organisations qui défendent l’ALF, la plupart sont très prudentes…
Activiste – Il y a de nombreuses raisons à cela. J’ai discuté récemment avec une personne qui mène une campagne contre un laboratoire d’expérimentation. Elle a avoué qu’il était devenu difficile de se positionner publiquement en faveur de certaines actions qui sont qualifiées de «terroristes» par les médias et la police. Je peux parfaitement le comprendre et je pense qu’il s’agit d’une stratégie utilisée sciemment par le FBI, par exemple. Plus l’ALF est criminalisée – c’est-à-dire que plus elle est mise en relation dans l’esprit du public avec «l’éco-terrorisme» – plus une organisation qui ne se distancie pas de ces actions risque d’être estampillée comme «terroriste». Cependant, cette personne me disait qu’à titre personnel, elle soutenait totalement les actions de l’ALF.
Klaus Petrus – D’autres sont d’avis, voire convaincus moralement que les buts du mouvement de défense des droits des animaux ne peuvent être atteints qu’avec des moyens légaux.
Activiste – Il est clair que ces personnes peuvent difficilement soutenir l’ALF. Ce n’est pas mon avis, mais je peux, à quelque part, le comprendre. Pour autant que je sache, ces positions antagonistes – une position modérée et une position plus radicale – sont présentes dans chaque mouvement. Pourquoi le mouvement de défense des animaux devrait-il faire exception?
Klaus Petrus – L’ALF ne devrait donc pas se soucier de son image?
Activiste – Pourquoi devrait-elle le faire? Dites-moi plutôt: à qui devrions-nous plaire? Aux politiciens, qui ne s’engagent que pour des réformes? A des idéologues ou des experts auto-proclamés qui développent des théories sur l’ALF? Ou à toutes les célébrités qui s’impliquent dans des campagnes coûteuses? Non, l’ALF a vraiment autre chose à faire.
Klaus Petrus – L’ALF bénéficierait d’un plus grand soutien…
Activiste – Nous ne sommes pas un club, une association qui défend des intérêts, nous n’avons pas besoin du soutien d’une clique de privilégiés. Nous nous engageons pour des créatures asservies et sans défense. Voilà ce que nous faisons. Il est possible que nos méthodes ne plaisent pas à tout le monde. Mais l’histoire montre que si l’ALF réussit par exemple à rendre publiques les atrocités commises sur les animaux, l’opinion publique peut rapidement changer et soudain de nombreuses personnes trouvent les actions de l’ALF – comme par exemple des incendies – justifiées ou du moins importantes. Cela concerne peut-être moins les gens qui condamnent les actes de sabotage pour des raisons morales que les personnes qui se distancient de l’ALF pour des raisons stratégiques ou pragmatiques. Mais comme je l’ai dit, l’ALF devrait se concentrer sur d’autres choses. Les seules questions stratégiques que nous devons nous poser concernent nos actions et pas la manière dont nous sommes perçus.
Klaus Petrus – Ces remarques donnent l’impression que vous ne faites pas grand cas du travail d’organisations classiques de défense des animaux.
Activiste – Ce n’est pas ce que je voulais dire, bien au contraire. Je soutiens toute action qui sert nos objectifs. Je suis parfaitement conscient qu’il est plus facile pour moi de dire ces choses-là que quelqu’un qui défend ses objectifs par des moyens exclusivement légaux. Je ne comprends cependant pas les raisons de ces incessantes discussions autour de la condamnation ou la défense de l’ALF au sein du milieu de défense des animaux. Comme le montre l’exemple SHAC, il y a de bonnes raisons de plaider en faveur d’une pluralité des actions: des manifestations autorisées aux libérations d’animaux, en passant par des actes de sabotage. De plus, certains milieux devraient se rendre à l’évidence que de nombreuses actions de l’ALF ont vraiment été efficaces. Sans l’ALF, le milieu de défense des animaux ne serait pas là où il est. De plus, sans l’ALF, ce dernier ne pourra pas atteindre ses objectifs.
Klaus Petrus – Ne pensez-vous cependant pas que l’ALF est de plus en plus mis sur la touche? Nous avons par exemple parlé de lois comme l’Animal Entreprise Terrorism Act (AETA). Ne craignez-vous pas des répercussions négatives pour l’ALF?
Activiste – Si l’on s’inquiète de l’image de l’ALF, peut-être. Mais s’il s’agit des activistes eux-mêmes, je pense que non. De toute façon, je ne connais pas d’activiste de l’ALF qui se laisse intimider par de telles lois et qui, de ce fait, arrêterait de se battre contre l’exploitation des animaux sous la bannière de l’ALF.
Klaus Petrus – Quoi qu’il en soit, de telles lois font courir le risque de peines d’emprisonnement très lourdes aux activistes.
Activiste – Naturellement, mais c’est égal. Nous parlons d’une part de choix personnels. Chacun doit savoir les risques qu’il est prêt à prendre. D’autre part, il s’agit de l’ALF. Pour être tout-à-fait honnête, je ne pense pas qu’une quelconque police ait une chance contre l’Animal Liberation Front. C’est ce qui est bien avec l’ALF: il est partout et nulle part, puisqu’il s’agit d’une idée, d’une attitude qui ne se laisse pas emprisonner. Je ne suis pas le premier à le dire. Et il est surprenant de voir le temps qu’il ait fallu au FBI pour comprendre cela…
Klaus Petrus – Ce qui est sûr, c’est que le jour où il n’y aura plus personne pour mettre cette idée en pratique, il n’y aura plus d’idée appelée ALF!
Activiste – C’est correct. Mais cette «prophétie» ne se réalisera que lorsque l’exploitation des animaux sera terminée.
Klaus Petrus – Cela semble optimiste.
Activiste – Non, je suis réaliste. Mais ce réalisme est basé sur la conviction qu’il y aura toujours des gens qui n’acceptent pas le traitement infligé aux animaux et qui décideront d’agir – sciemment ou non – au nom de l’ALF.
Klaus Petrus – Pour terminer, je voulais poser la question de l’avenir de l’ALF, mais j’ai l’impression que vous y avez déjà répondu.
Activiste – L’ALF est ce qu’il est. Aussi longtemps que les animaux seront traités comme des esclaves, rien ne changera. Si quelque chose change, l’ALF cessera d’exister. C’est aussi simple que ça.
Questions et entretien: Klaus Petrus
Traduction (de l’allemand): Jean-Marc Flükiger