Reuven Paz est considéré actuellement comme l’un des meilleurs spécialistes du terrorisme islamique. Né en Israël, il a travaillé pendant plus de 20 ans pour les services de renseignement israéliens comme directeur du département des recherches. Depuis 1997, il enseigne à l’International Policy Institute for Counter-Terrorism (ICT) à Herzliya et est depuis 2002, directeur de projet pour la recherche sur les mouvements islamiques (PRISM). Nous le remercions d’avoir bien voulu répondre à quelques questions.
Terrorisme.net – Ces dernières années, beaucoup de gens – surtout des politiciens – ont tenté d’établir des liens entre Al Qaïda, l’Iran et le Hezbollah, comme par exemple la Commission d’enquête sur les attentats du 11 septembre. Considérez-vous que de tels liens soient possibles?
Reuven Paz – J’en doute, tout spécialement si l’on considère les attaques des jihadistes sunnites contre les chiites en Irak et l’hostilité croissante entre sunnites et chiites dans le monde arabe. Tout ceci résultant de la domination de doctrines salafisto-jihadistes – dérivées du wahhabisme – sur Al Qaïda. Cependant deux exceptions sont possibles:
a) Le développement de groupes affiliés à Al Qaïda et au jihad global mais qui défendent des intérêts locaux, nationaux ou ethniques – comme des groupes tchétchènes, cachemiris, africains voire même arabes – ce qui pourraient les inciter à coopérer avec l’Iran et le Hezbollah. Ce fut le cas du Hamas en 1993-1994, même si le Hamas fait partie intégrante des Frères Musulmans et que ces derniers sont animés d’une grande hostilité vis-à-vis de la révolution islamique en Iran et de Khomeini.
b) Le développement de doctrines plus pragmatiques au sein d’Al Qaïda / jihad global, comme celles de Abu Mus`ab al-Suri concernant l’usage d’armes de destruction massives (AMD) contre les Etats-Unis avec l’aide de l’Iran et de la Corée du Nord, si nécessaire.
Je ne prends pas au sérieux les affirmations américaines de la dernière décennie concernant les liens entre Al Qaïda, l’Iran et Saddam Hussein.
Terrorisme.net – Le dernier «Terrorism Monitor» de la Fondation Jamestown évoque l’éventualité d’une attaque avec des armes non-conventionnelles – soit chimiques soit biologiques – lors des prochains Jeux Olympiques d’hiver à Turin en 2006. Prenez-vous au sérieux cette éventualité?
Reuven Paz – J’en doute, tout spécialement dans un avenir aussi proche et en Europe. Mais la Fondation dispose peut-être d’informations que je n’ai pas. Pour l’instant, Al Qaïda préfère se focaliser sur le martyre comme «son» arme de destruction massive.
Terrorisme.net – Le 2 août 2005, un message sur le forum al-Mustaqbal al-Islami (Futur islamique) annonçait l’établissement d’une branche d’Al Qaïda en Palestine, dénommée «Alwiyat al-Jihad fi Ard al-Ribat» (Les Brigades Jihadistes dans le Pays de l’Avant-poste). Ce groupe prétendait être responsable d’une attaque avec des roquettes Sajil contre la colonie de Neve Dekalim et d’une seconde opération contre Ganne Tal. Prenez-vous au sérieux l’établissement d’Al Qaïda en Palestine?
Reuven Paz – J’ai une petite idée sur les personnes responsables de cette annonce, mais je préfère ne pas en parler. Je ne crois pas à l’imminence d’une telle possibilité. Le Hamas ne permettra pas à Al Qaïda de s’infiltrer dans la bande de Gaza. Il y a des supporters d’Al Qaïda à Gaza et en Cisjordanie, je le vois sur les forums jihadistes, mais il s’agit d’un nombre restreint, qui n’est pas organisé. Un changement radical dans le nord du Sinaï pourrait modifier la situation, mais il me semble plus probable que ce soit le Hezbollah qui tire un avantage d’un tel changement qu’Al Qaïda.
Il existe une tradition qui date d’une trentaine d’années d’un groupe de aalafistes à Gaza, mais je ne les considère pas comme des recrues potentielles d’Al Qaïda, étant donné qu’ils sont contrôlés par l’Arabie saoudite et son établissement religieux. Il se pourrait qu’il y ait une ou deux cellules de supporters d’Al Qaïda, mais elle(s) sera(ien)t marginale(s) par rapport à la domination croissante du Hamas, spécialement à Gaza.
Terrorisme.net – Dans deux de vos contributions («PRISM Special Dispatch», volume 2, numéro 3, juin 2004 et «Occasional Papers», volume 2, numéro 1, février 2004) vous mentionnez d’une part un glissement du Hamas vers le Hezbollah et l’Iran mais d’autre part une proximité entre le Hamas et le régime saoudien. Si l’on considère l’animosité entre le wahhabisme saoudien et le chiisme iranien, le Hamas n’est-il pas en train de suivre deux voies incompatibles?
Reuven Paz – Le Hamas s’est transformé depuis décembre 1987 en un groupe de plus en plus pragmatique et moins dogmatique d’un point de vue idéologique. Vous devez garder en mémoire le fait que en 18 ans et deux Intifadas, Israël a tué l’ensemble de la direction du Hamas dans les territoires. Seuls Mahmoud al-Zahar à Gaza et Hasan Yousef en Cisjordanie sont encore en vie. En parallèle à son activité terroriste – utilisée en respectant un certain pragmatisme politique – le Hamas cherche à devenir un force politique. C’est pourquoi il vise un juste milieu entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, utilisant le sentiment de culpabilité des deux camps vis-à-vis des Palestiniens.
Terrorisme.net – Dans la contribution que vous avez consacré à la solidarité du Hamas vis-à-vis de Muqtada al-Sadr («PRISM Special Dispatches», volume 2, numéro 4, 23 août 2004), vous notez que «le Hamas est en train de perdre sa nature comme partie intégrante des Frères Musulmans» (p. 3). Comment l’expliquez-vous: est-ce à cause de la proximité avec le Hezbollah (et donc l’Iran), la situation politique changeante des Frères au Moyen-Orient ou pour d’autres raisons?
Reuven Paz – Hamas est simplement en train de devenir un parti islamique nationaliste qui essaie de préserver son indépendante dans le choix de la direction politique.
Terrorisme.net – Dans son article «La terreur moderne: les quatre vagues», David Rapoport parle de quatre vagues de terrorisme (anarchique, anti-colonialiste, nouvelle gauche et religieuse), la vague religieuse étant la plus récente. Même si cette vague pourrait encore durer ces 20 prochaines années, quelle pourrait, selon vous, être la prochaine vague?
Reuven Paz – Je ne suis pas sûr que la vague islamique aura disparu d’ici 20 ans. Mais je crois que la suivante sera du terrorisme anti-globalisation.
Les propos de Reuven Paz ont été recueillis et traduits en français par les soins de Jean-Marc Flükiger.