Les groupes jihadistes dans la mouvance d’Al Qaïda sont parvenus à maintenir un niveau élevé d’efficacité, en dépit des coups qui leur ont été portés. Mais ne sont-ils pas condamnés – tout en attirant un segment – de la population à perdre la “bataille pour les cœurs” dans le monde musulman?
Durant les derniers jours de l’année 2004 et les premiers jours de l’année 2005, nombre d’analystes ont livré leurs pronostics pour l’avenir du terrorisme d’inspiration jihadiste, mettant l’accent sur différents facteurs. Pas toujours simple d’en tirer une orientation globale, mais relevons, au fil de différentes lectures, quelques tendances qui s’esquissent.
C’est au Proche-Orient, en Asie du Sud et du Sud-Est ainsi qu’aux Etats-Unis et en Russie que pourraient se produire en 2005 des actions jihadistes ne nature stratégique. Dans d’autres régions du monde, d’éventuels incidents seraient plutôt de nature tactique, avec des effets plus éphémères, estime B. Raman, spécialiste indien du contre-terrorisme, dans l’une de ses analyses régulières publiées par le South Asia Analysis Group.
Raman souligne les nombreux problèmes rencontrés par les Etats-Unis en Irak, face à une résistance d’autant plus déterminée qu’elle combat sur son propre terrain et dispose ainsi de meilleures sources de renseignement, tandis que le moral des auxiliaires irakiens des troupes américaines n’est pas toujours au plus haut. Mais l’analyste indien estime qu’il n’y a d’autre choix que de mener à bien les élections coûte que coûte, même s’il est peu probable qu’elles puissent se dérouler normalement dans les zones sunnites. Il regrette l’insuffisance des opérations de guerre psychologique, qui pourraient jouer un rôle important pour couper les jihadistes d’une partie du soutien qu’ils peuvent obtenir.
En tout cas, l’Irak est devenu – mieux que l’Afghanistan – le terrain de prédilection de l’affrontement entre jihadisme et “communauté internationale”. Il est donc crucial, estime Raman, que les jihadistes soient défaits sur le terrain irakien. Cet objectif ne peut probablement pas être atteint sans le soutien d’une partie des éléments baathistes. Sinon, les conséquences potentielles seraient imprévisibles.
Un autre pays qui doit susciter des préoccupations est l’Arabie saoudite. En effet, il est peu probable que les timides réformes qui y ont été entreprises suffisent à prévenir des développements potentiellement dangereux. Les jihadistes continuent d’y bénéficier de complicités. Il convient de développer une véritable politique de contre-terrorisme à l’échelle de la région, souligne Raman.
Cependant, les experts de la Jamestown Foundation pensent pour leur part, dans le numéro du 7 janviedr 2005 de Terrorisme Focus, que les militants saoudiens d’Al Qaïda sont en train de sentir la pression croissante de la chasse dont ils sont l’objet de la part des services de sécurité saoudiens. L’absence de nouvelle parution depuis mi-novembre 2004 des célèbres magazines diffusés en ligne, Sawt al-Jihad et Mu’askar al-Battar, pourrait être un indice des difficultés rencontrées.
Les jihadistes ne sont toujours pas parvenus à renverser l’un des gouvernements qu’ils dénoncent. En outre, certaines de leurs opérations ont causé de nombreux morts, y compris des musulmans. Cela, pensent les analystes (notamment Gilles Kepel) consultés par Channelnewsasia (3 janvier 2005), les met en danger de perdre – autant que les Américains dans ces régions – la bataille pour gagner les cœurs, l’adhésion du monde musulman: certes, ils peuvent trouver des soutiens dans des pays où la situation est très difficile, mais moins dans le reste du monde musulman.
Bien sûr, il n’est pas simple d’évaluer la situation dans l’ensemble du monde musulman, car c’est une abstraction: la variété des situations est telle que toute généralisation se trouve condamnée à l’échec. En outre, le succès ou l’échec à court terme n’est pas la mesure de tout: bien des jihadistes savent qu’ils sont engagés dans une partie qui sera très longue.
A long terme, la vraie question est bien celle de la “bataille des cœurs” – mais aussi, voire plus encore, de la pénétration ou non d’un certain nombre de thèmes agités par les jihadistes au sein de secteurs plus ou moins larges des opinions publiques musulmanes.