Avec près de 80 morts tombés depuis le début du mois d’octobre, au cours d’une série d’attentats entre musulmans chiites et sunnites, le Pakistan se retrouve une nouvelle fois engagé dans une spirale terroriste faite de représailles et de contre-représailles. La guerre que se livrent les sunnites, qui constituent 85 % de la population, et les chiites, qui en représentent 20 %, a, selon des statistiques officielles, déjà fait plus de 4.000 morts depuis le début des années 1980, et une centaine de morts et des milliers de blessés de janvier à octobre 2004. Elle a repris avec une vigueur accrue depuis le début de ce mois et est déjà responsable de 77 décès.
Le 1er octobre, à l’heure de la prière du vendredi, un attentat suicide était perpétré dans une mosquée chiite à Sialkot, qui coûtait la vie à une trentaine de fidèles et en blessait plusieurs dizaines d’autres. Cette attaque était considérée par les enquêteurs comme une réponse à la mort d’Amjad Farooqi, tué le 26 septembre précédent, à l’issue d’une bataille rangée de deux heures à Nawabshah. C’était le militant sunnite le plus recherché du Pakistan. Il avait été impliqué dans de multiples affaires, notamment dans deux attentats à l’explosif contre le président Musharraf en décembre 2003, auxquels celui-ci avait échappé avec justesse.
Une semaine plus tard, le 7 octobre, sans doute en représailles pour l’attentat précédent, c’étaient des musulmans sunnites qui étaient l’objet d’un nouvel attentat. A l’aube, deux bombes explosaient au milieu d’un rassemblement public, à Multan, où des milliers de musulmans avaient passé la nuit pour commémorer l’anniversaire de l’assassinat d’un de leurs dirigeants, Azam Tariq, tué pas balle en octobre 2003. Dix personnes sont mortes sur le coup et trente autres à l’hôpital ou pendant leur transfert. Le dimanche 10 octobre, un kamikaze était intercepté à la porte d’une mosquée chiite de Lahore, mais réussissait à faire sauter les explosifs qu’il portait sur lui, se tuant lui-même ainsi que deux gardiens et un enfant. La veille, deux religieux sunnites avaient été abattus par balles au séminaire coranique de Binori Town. Personne ne sait encore si ce cycle de représailles et de contre-représailles est bouclé ou s’il va encore se prolonger.
Les observateurs s’interrogent aujourd’hui sur les raisons de cette recrudescence de violences dans le conflit qui oppose ces deux branches de l’islam. Le professeur Fateh Mohammed, spécialisé dans les études de criminologie à l’université de Karachi, se montre particulièrement inquiet: “Quand le terrorisme devient partie intégrante de la culture d’une société, cela devient très alarmant et particulièrement difficile à éradiquer”, a-t-il jugé. En effet, les auteurs des attentats aussi bien que leurs victimes sont qualifiés de martyrs. Des cassettes audio et vidéo vantent leurs mérites et prônent le djihad (la guerre sainte). Beaucoup de jeunes s’identifient à eux et portent leur portrait imprimé sur leur T-shirt.
Au Pakistan comme à l’étranger, de nombreux défenseurs des droits de l’homme dénoncent le rôle néfaste joué par certaines écoles coraniques (madrassas) dans cette exaltation de la violence. Même si ces écoles – au nombre de 12.000 dans le pays – sont les seules à offrir une éducation gratuite aux enfants de familles pauvres, quelques-unes d’entre elles sont dénoncées comme des écoles de terrorisme. Le directeur de la Commission indépendante des droits de l’homme, L.A. Rehman, a déclaré: “La violence interconfessionnelle est le résultat d’années de lavage de cerveau de milliers et de milliers de jeunes esprits éduqués dans les madrassas.” Par ailleurs, les observateurs notent qu’au plus haut niveau, jusqu’à la tête de l’Etat, les condamnations des attentats sont timides et les auteurs d’attentat arrêtés sont souvent libérés rapidement et accueillis à l’extérieur comme des héros.
Cet article est paru dans le N° 405 (16 octobre 2004) du bimensuel Eglises d’Asie, publié par les Missions Etrangères de Paris.
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