Alors que les dirigeants de nombreuses organisations musulmanes s’efforcent de distancer l’islam du terrorisme, le médiatique activiste Omar Bakri Mohammed, établi à Londres, s’engage dans la démarche inverse et a récemment publié des textes revendiquant et justifiant le terrorisme comme partie constituante de l’islam.
“Quiconque nie que le terrorisme fait partie de l’islam est un mécréant“: tel est le titre d’une analyse récemment publiée sur le site de l’organisation Al-Muhajiroun, tandis qu’un autre texte aborde la question des attentats à la bombe. Rien d’un groupuscule clandestin, puisque le mouvement a pignon sur rue en Grande-Bretagne et que son chef, Omar Bakri Mohammed, éprouve manifestement la plus intense satisfaction face à l’intérêt que lui portent les médias: avec quelques autres figures du Londonistan, il fait figure de candidat à l’interview rêvé pour tout journaliste en quête d’une rencontre sans grand risque avec un islamiste radical plus vrai que nature!
Cela dit, ces activistes qui se complaisent dans les déclarations provocatrices propres à attiser l’intérêt des médias ne peuvent être traités comme de simples manifestations folkloriques: même si un Omar Bakri Mohammed essaie de naviguer à l’extrême limite de ce que lui permet la tolérance britannique en matière de libre expression, il alimente en même temps la radicalisation de certains éléments et son discours est susceptible d’influencer de jeunes activistes passant à l’action violente et trouvant dans ses arguments la justification théologique de leurs engagements – même s’il n’est pas l’instigateur direct de ces actions. Tout laisse penser que les prédications d’Omar Bakri et d’autres figures semblables ont inspiré des jeunes musulmans nés en Occident à aller se battre dans différentes zones de crise au nom d’un jihad global; des accusations relatives à des cas précis ont été portées à plusieurs reprises au cours des dernières années. Depuis des années, les services de sécurité britanniques surveillent bien sûr Omar Bakri Mohammed et ses pareils, pour y repérer des éléments à risque.
Pour ceux qui souhaiteraient en savoir plus sur Omar Bakri Mohammed et son itinéraire, une journaliste de l’Agence France Press, Maureen Cofflard, lui a consacré un livre, L’Émir. La peur aura-t-elle le dessus? (Paris, Fayard, 2004), complété par un site web, ouvrage dans lequel elle trace un portrait nuancé du personnage et met bien en lumière la stratégie de présence médiatique qu’il a choisi de suivre:
“Omar Bakri […] a trouvé son ‘créneau’: il a décidé de démocratiser le message islamiste, de l’incarner, de le rendre accessible. Le fait qu’il accepte de parler aux médias est pain bénit pour des dizaines de rédacteurs en chef en manque de terroristes islamistes. A défaut de Ben Laden, ils auront Bakri en interview. Et pour que ça prenne, il faut qu’il ait l’air méchant, il faut le rendre crédible comme terroriste potentiel, ou du moins comme porte-parole légitime du terrorisme. Voilà comment convergent l’intérêt des médias et celui de Bakri. Bien que son implication dans le terrorisme ne soit pas flagrante, il a une expérience des groupes les plus violents du Moyen-Orient, il connaît leur mode de fonctionnement, il sait où les contacter, il est à lui seul une sorte de carnet d’adresses de la nébuleuse islamiste. Bakri s’empare ainsi du flambeau de la cause, il se l’approprie et le brandit sous les spots des médias européens et américains.” (pp. 264-265)
Il faut également lire l’instructif ouvrage de Dominique Thomas, Le Londonistan: la voix du djihad (Paris, Michalon, 2003), qui décrit à la fois Omar Bakri et plusieurs autres prédicateurs établis à Londres et qui ont fait ces dernières années la une des médias. Certains d’entre eux se retrouvent aujourd’hui en détention, ce qui n’est pas le cas de Bakri.
Né en Syrie en 1959, Bakri a quitté son pays natal en 1977 et, installé au Royaume-Uni dès 1986, y a été pendant des années le responsable de l’organisation islamiste internationale Hizb ut-Tahrir (Parti de la libération islamique), tout en donnant déjà à cette branche britannique un accent particulier. La fondation d’Al-Muhajiroun a suivi la rupture de Bakri avec le Hizb ut-Tahrir en 1996. Même s’il n’a jamais rencontré Ben Laden et ne saurait certes passer pour son porte-parole, Bakri a exprimé à plusieurs reprises ses sympathies pour le rôle de celui-ci.
Au fil des ans, Omar Bakri et son organisation ont produit de très nombreux textes, souvent sujets à controverse. Mais venons-en à ceux qui retiennent aujourd’hui spécifiquement notre attention, et qui la méritent parce qu’ils sont susceptibles d’influencer de jeunes musulmans en Occident dans le contexte actuel où règne la perception d’un islam attaqué.
Le premier document soutient donc, si l’on en croit son titre, que le terrorisme est partie constituante de l’islam.
Le texte commence par des commentaires sur le flou terminologique qui entoure la notion de terrorisme. Etant donné que le terme est utilisé dans des approches critiques à l’égard de l’islam, c’est donc un devoir pour les musulmans d’apporter des clarifications.
La première partie du texte affirme la valeur de l’islam comme seule religion pleinement authentique, tandis que juifs et chrétiens ont apporté des déformations au message divin. Le but du combattant ne saurait être cependant de tuer simplement des mécréants et de mourir: le vrai combattant dans la voie de Dieu doit avoir pour objectif la victoire de la religion d’Allah. Il ne s’agit pas d’une victoire personnelle du combattant.
Le texte rappelle que Dieu, dans le Coran (Sourate 8, verset 60), instruit “d’effrayer [terrifier] l’ennemi d’Allah“, en préparant toute la force militaire possible. Terrifier l’ennemi d’Allah serait donc l’obligation du musulman: quiconque nie cette signification doit être considéré comme mécréant. Dans cette logique, il serait donc faux – affirme le texte – de prétendre que le terrorisme n’appartient pas à l’islam.
“Celui qui dit ‘nous devrions nous battre contre le terrorisme’, celui-là combat contre l’islam. Nous savons bien que, par le terme de ‘terroristes’, les Etats-Unis ne désignent nul autre que l’islam et les musulmans et que celui qui veut éviter le terrorisme évite l’islam.”
Les paragraphes suivants élaborent sur le rôle des Etats-Unis comme ennemis de l’islam, en y entremêlant des considérations sur les juifs et les chrétiens qui sont des mécréants, donc des ennemis: “car les mécréants demeurent pour vous un ennemi déclaré” (Sourate 4, verset 101).
“Les Etats-Unis ne sont pas seulement l’ennemi parce qu’ils ne croient pas à Allah; plus que cela, ils combattent activement l’islam et les musulmans. Sans aucun doute, le terrorisme à leur encontre est obligatoire.”
Quant à la question du terrorisme frappant des innocents, le document soutient qu’aucun mécréant n’est “innocent“, “l’innocence n’est applicable qu’aux musulmans“, le plus qu’on puisse dire de mécréants est de les qualifier de “victimes“. Quand il combat les mécréants, le musulman ets en revanche innocent, car il suit la loi divine.
Même les enfants sont cpables de combattre et ne peuvent donc être déclarés innocents, et les femmes combattent aussi, notamment dans des pays comme Israël. Seuls les bébés peuvent éventuellement être considérés comme innocents, puisqu’ils ne peuvent être des combattants. Cependant, il n’y a pas d’accord unanime sur cette question parmi les docteurs de la loi islamique, affirme le texte: certains considèrent que les enfants de mécréants doivent eux-mêmes être considérés comme mécréants. Omar Bakri Mohammed lui-même, cependant, estime que les enfants n’ayant pas atteint l’âge du discernement (entre 4 et 7 ans) doivent être considérés comme innocents. Cependant, s’ils sont tués involontairement, par erreur, cela est admissible: dans le combat, il n’est pas toujours possible de distinguer entre combattants et non combattants.
Le texte précise qu’il ne faut pas ressentir de la sympathie pour les mécréants tués: “Ne te tourmente donc pas pour ce peuple pervers.” (Sourate 5, verset 26) Les mécréants n’ont pas de dignité (karamah).
La dernière partie du document réprimande ceux qui s’allient avec les mécréants: Allah ne leur pardonnera jamais. Non seulement il est interdit de s’allier à eux, mais même de les soutenir de quelque façon que ce soit. Hélas, l’alliance avec les mécréants a une longue histoire dans l’islam et est responsable de la destruction du califat aussi bien que de la perte de l’Andalousie. Mais le texte poursuit en rappelant d’autres cas plus récents, jusqu’au soutien accordé aujourd’hui par des soldats musulmans aux combats contre Al Qaïda et les Taliban (Pakistan, Alliance du Nord…). Au lieu de se tourner vers Allah, les musulmans se tournent vers les mécréants.
Et le document de conclure que, si des musulmans “condamnent d’autres musulmans parce qu’ils commettent des actes terroristes, ils ne savent pas que le terrorisme est obligatoire dans l’islam contre l’ennemi d’Allah“.
Le second texte, sur les attentats à la bombe dans l’islam, souligne que ces actes sont simplement un moyen pour les islamistes radicaux qui y recourent. Nul doute que ces actes entraînent mort et destruction. Mais la vie du mécréant n’a pas de sainteté, sauf s’il est au bénéfice d’un pacte de sécurité avec les musulmans.
On ne peut porter, selon le texte, un jugement général sur les attentats à la bombe: selon les cas, un tel acte peut plaire ou déplaire à Allah. Il s’agit de savoir quel était l’objectif de l’opération, qui était visé ou a été tué, si les cibles étaient des musulmans ou des mécréants.
“Les gens condamnent les attentats à la bombe en Turquie contre la banque HSBC, oubliant complètement l’usure répandue à cause de celle-ci, les gens commencent même à demander si ‘nous pouvons recourir aux attentats suicides en Palestine’.”
Or – ce qui nous ramène au premier texte – Allah a ordonné de terroriser les ennemis d’Allah:
“Il ne fait aucun doute qu’attaquer les mécréants avec des bombes dans les pays musulmans et dans les pays des mécréants les terrorisera, les irritera et les dissuadera de nous attaquer de nouveau.”
“Nous voyons actuellement que rien n’ébranle [autant] l’ennemi que les attentats, les bombes et la violence pour Allah. En Palestine, les juifs souffrent et se sentent comme en enfer à cause des attentats et des opérations réguliers et quotidiens, tandis que les manifestations à Londres ne leur ont jamais fait ressentir ni peur ni souffrance.”
Et de citer toute une liste de “héros de l’Ummah dans ce siècle“, dans laquelle figure en bonne place Oussama ben Laden. Ils ne sont devenus de “grands héros” qu’en enseignant ce type de combat. Tout le contraire de ceux qui voudraient résister à l’agression en participant à des débats pacifiques et en distribuant des tracts!
Le texte critique donc tous ceux qui pensent que ce n’est pas le temps de combattre et conclut que c’est à ceux qui mènent le jihad de décider quel moyen est utile ou non.
Ces deux documents sont intéressants, d’abord parce que nous y découvrons une revendication assez peu commune du terme même de terrorisme: alors que le terme était accepté par des terroristes d’époques précédentes, par exemple les nihilistes russes, ceux qui y recourent ont souvent préféré par la suite le remplacer par des désignations euphémiques.
Ces deux documents méritent également l’attention non par la figure d’Omar Bakri ou le rôle de son organisation: des acteurs voyants, mais marginaux, et qui tentent probablement – à travers de tels textes – non seulement de rester dans la logique d’un radicalisme qui leur donne une existence médiatique, mais aussi de revendiquer une importance qu’ils n’ont pas. En revanche, il est préoccupant de voir des textes justifiant ouvertement le recours au terrorisme diffusés par un groupe ayant une existence légale. En dehors même des rangs d’Al Muhajiroun, de tels textes peuvent ensuite être utilisés comme tentative de justification et de rationalisation par de jeunes exaltés fascinés par l’action violente, que ce soit dans le cadre de groupes existant ou d’initiatives spontanées.
Enfin, ces textes sont produits par des gens qui vivent dans des sociétés occidentales tout en prêchant l’usage de la violence contre les “infidèles”. Au delà de l’extrémisme (au moins verbal) de ceux qui les rédigent, ils révèlent aussi le degré d’aliénation par rapport à ces sociétés de ceux qui lisent et acceptent ces propos. Malheureusement, dans le contexte actuel de tensions sans cesse attisées – par des causes diverses – l’on peut craindre que le réservoir de lecteurs prêts à écouter ces discours ne soit pas prêt de se tarir.
A l’intention de ceux qui souhaiteraient lire ces deux textes dans leur version anglaise intégrale, nous les mettons à disposition ci-dessous, sous forme de fichiers PDF.
– “Whoever Denies That Terrorism Is Part of Islam Is Kafir” (92 Ko)
– “Bombings in Islam” (64 Ko)
En anglais également, un intéressant entretien avec Omar Bakri a été publié au mois de mars 2004 sur le site de la Jamestown Foundation:
“Al-Muhajiroun in the UK: an Interview with Sheikh Omar Bakri Mohammed”
[ce texte ne semble plus accessible sur le site d’origine, mais peut toujours être consulté grâce à Internat Archive – 18.06.2016].