Le 25 août, à Mumbai (Bombay), deux attentats à la bombe coordonnés ont tué 52 personnes et en ont blessé 148 autres. Le premier engin explosa à 13h07, le second à 13h30. Dans les deux cas, les explosifs avaient été placés dans des taxis, utilisés pour atteindre le lieu de l’explosion. Ces attentats suivaient cinq autres incidents du même type survenus dans cette métropole au cours des huit derniers mois.
Plusieurs autres incidents liés à des activités terroristes sont en outre survenus en Inde au cours des jours suivants: découverte de quelques centaines de détonateurs dans un tunnel ferroviaire, attaque d’un hôtel au Cachemire le 27 août, interception d’un véhicule chargé d’explosifs, d’armes et de munitions à Delhi le 30 août, pour ne citer que quelques-uns des faits d’une semaine chargée pour les responsables indiens de la lutte antiterroriste.
L’affaire du 30 août est considérée comme particulièrement sérieuse par les services de sécurité indiens: tout laisse en effet penser que le matériel saisi était destiné à réaliser une opération spectaculaire visant une cible symboliquement importante.
Les enquêteurs semblent en outre estimer qu’une série coordonnée d’attentats était planifiée dans différentes villes – ce qui signifierait que les suspects arrêtés à Mumbai (voir plus loin) auraient été de simples exécutants, des pions dans un jeu plus vaste.
La police craint que de prochains attentats puissent frapper les villes de Hyderabad et de Bangalore, qui sont aujourd’hui en Inde des centres importants, notamment dans le domaine des technologies de l’information. Des mesures préventives sont mises en place dans plusieurs Etats: ainsi, à Bhopal, capitale deu Madhya Pradesh, 50 porteurs de valises de la gare et 150 chauffeurs de taxis ou de rickshaws ont été recrutés par la police pour fournir des informations sur tout voyageur suspect qu’ils repéreraient.
Ces événements viennent rappeler une fois encore que le terrorisme ne frappe pas seulement l’Inde au Cachemire; et l’on peut même dire que ces derniers développements confirment des perspectives préoccupantes pour un pays qui doit en outre faire face aux actions régionales de plusieurs mouvements révolutionnaires ou séparatistes.
Les experts indiens du terrorisme, tels que Ajai Sahni, directeur de l’Institute for Conflict Management, ont d’ailleurs aussitôt insisté sur ces dimensions dans leurs commentaires, soulignant que le conflit du Cachemire s’inscrit dans un contexte plus large relevant d’un contexte idéologique jihadiste, et non simplement des revendications autonomistes d’une région. Les experts indiens lient ces activités au soutien fourni par des services pakistanais.
Ce n’est pas la première fois que la capitale économique du pays est frappée par un attentat. Il y a deux ans, lors d’une fusillade survenue avec des membres présumés de Lashkar-e-Taiba aux abords de Mumbai, la police avait découvert des documents indiquant la sélection de certaines cibles potentielles – dont le célèbre arc de triomphe de la “Porte de l’Inde”, site touristique près duquel s’est produite l’une des déflagrations du 25 août.
Dans le climat tendu marquant les relations entre hindous et musulmans (affrontements du Gujarat en 2002, poursuite de la controverse autour du site d’Ayodhya…), nombre d’observateurs craignaient des émeutes antimusulmanes. Celles-ci ne se sont heureusement pas produites.
Quatre personnes ont été arrêtées à Mumbai et accusées d’avoir commis ces attentats. Parmi eux, un couple et sa fille de 18 ans, qui s’intitulaient “Force de revanche musulmane du Gujarat”, mais appartiendraient en fait au Lashkar-e-Taiba, un groupe extrémiste actif dans le conflit du Cachemire. (A noter que plusieurs des victimes de l’attentat du 25 août étaient cependant musulmanes: les bombes ne font pas de distinction…) A vrai dire, les noms de plusieurs autres organisations extrémistes ont également été évoqués, dont le Jaish-e-Mohammed et le Students Islamic Movement of India. Pour l’instant, il convient donc de rester prudent quant à l’appartenance exacte des auteurs de cette action.
Les mêmes personnes seraient également coupables, affirme la police, de l’explosion d’un bus le 28 juillet 2003 (3 morts et 31 blessés) ainsi que d’un attentat manqué sur un site industriel en dehors de la ville.
La police aurait saisi 205 bâtons de gélatine, 20 détonateurs, 12 minuteurs et d’autres objets manifestement destinés à l’assemblage d’engins explosifs.
Les personnes appréhendées n’avaient apparemment aucun passé militant connu. La question de savoir dans quelle mesure les événements du Gujarat ont simplement été un prétexte pour une organisation terroriste préexistante et de toute façon décidée à agir, ou ont effectivement joué un rôle clé pour mobiliser des musulmans qui ne se seraient pas engagés sinon dans de tels actes, va encore susciter dans les semaines à venir de vifs débats en Inde – liés également aux rivalités politiques dans ce pays.
Il convient de rappeler que les activités terroristes de certains extrémistes islamistes sont déjà antérieures à la crise suscitée en 1992 par la destruction de la mosquée d’Ayodhya et ne peuvent donc uniquement être interprétées comme une conséquence de cette affaire. Il est cependant vrai que le climat actuel peut favoriser le basculement d’éléments radicalisés vers l’action violente et rendre plus aisé le recrutement de futurs exécutants du terrorisme.
En privé, plusieurs policiers révèlent que la communauté des hommes d’affaires du Gujarat pourrait bien être la principale cible des attentats qui se sont produits à Mumbai depuis le mois de décembre 2002 (Indo-Asian News Service, 4 septembre 2003). Des analystes réputés de la violence politique, tels que B. Raman, interprètent pour leur part le choix des cibles comme relevant de la volonté de porter atteinte à des intérêts économiques (South Asia Analysis Group, 26 août 2003).
En raison de la place occupée par les Gujaratis dans le domaine économique, les deux objectifs pourraient d’ailleurs se combiner. Mais il est vrai, comme le souligne Raman, que “beaucoup d’investisseurs étrangers tendent à regarder l’Inde à travers le prisme de Mumbai. Si la sécurité intérieure y est bonne, ils considèrent que la sécurité intérieure de l’inde en général est satisfaisante” – et inversement. Frapper Mumbai peut donc avoir un impact économico-stratégique bien plus large que les tragiques conséquences de l’incident lui-même.
Rappelant de l’implication de la pègre locale dans des attentats des années 1990, certains commentaires ont également soulevé la question du rôle éventuel de celle-ci, mais aucun élément concret ne paraît être venu étayer cette thèse pour le moment.
Selon les premiers résultats des enquêtes menées en Inde, les explosifs auraient pu être introduits en contrebande depuis le Bangladesh. Si cette hypothèse devait se confirmer, elle renforcerait dans leurs préoccupations les analystes qui s’inquiètent de l’utilisation de ce voisin oriental de l’Inde comme base arrière, avec une frontière notablement poreuse (et longue de près de 5.000 km). Le 3 septembre, la police a saisi un camion chargé de munitions probablement destinées à des groupes extrémistes du Cachemire à Kolkata (nom actuel de Calcutta), mais ignore pour l’instant si le chargement provenait du Bangladesh.
Ces récents développements mettent en tout cas sous pression les responsables du contre-terrorisme indien, placés face à la “mission impossible” de toutes les forces de sécurité du monde: réussir non seulement à arrêter les auteurs d’attentats, mais à détecter à temps l’existence d’activités suspectes et à prévenir de tels incidents.