Chaque année, le Département d’Etat américain publie les Patterns of Global Terrorism, un document de près de 200 pages, qui présente l’avantage de fournir un tour d’horizon, à commencer par l’évolution statistique des attentats dans le monde.
Comme le soulignait Didier Bigo dans un article sur “L’impossible cartographie du terrorisme” (Cultures et conflits, automne 2001), un tel document pose en même temps la question de la pertinence d’une catégorie unique appliquée “sans distinction [à] des contextes politiques et idéologiques” différents. A sa lecture, le terrorisme peut apparaître “comme une menace omniprésente sur la planète” justifiant une réaction déterminée sous houlette américaine. Une cartographie, observait à juste titre Bigo, exerce un effet homogénéisateur qui ne met pas en lumière les logiques contradictoires animant différentes dynamiques qui débouchent sur des actions terroristes.
Avec ces réserves, les Patterns of Global Terrorism n’en demeurent pas moins un document dont la lecture est toujours riche en informations et qui présente une synthèse périodique sans équivalent: un tel travail offre une perspective américaine, mais fournit également un nombre considérable de données qui aident à observer des tendances et développements.
La rétrospective 2002 vient d’être rendue publique le 30 avril 2003. Elle mérite une lecture particulièrement attentive, puisqu’elle permet de tirer de premiers enseignements sur les résultats de la “guerre contre le terrorisme” lancée par les Etats-Unis.
Rappelons tout d’abord la définition du terrorisme utilisée dans ses analyses par le gouvernement américain depuis 1983:
“Le terme ‘terrorisme’ signifie une violence préméditée et motivée politiquement, perpétrée contre des cibles non combattantes par des groupes subnationaux ou des agents clandestins, ayant généralement pour but d’influencer un auditoire. Le terme ‘terrorisme international’ signifie un terrorisme impliquant des citoyens ou le territoire de plus d’un pays.”
(Parmi les “cibles non combattantes” sont intégrés également les membres du personnel militaire qui ne sont pas armés ou en service au moment où survient un incident terroriste les frappant.)
Le rapport rappelle également les principes adoptés par les Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme:
- Ne faire aucune concession aux terroristes et ne pas conclure d’arrangements avec eux (ce qui s’applique également aux cas de prises d’otages).
- Traîner les terroristes devant la justice pour y répondre de leurs crimes.
- Isoler les Etats qui soutiennent le terrorisme et exercer sur eux une pression pour les amener à modifier leur comportement.
- Renforcer les capacités contre-terroristes des Etats qui coopérent avec les Etats-Unis et ont besoin d’assistance.
Un élément sur lequel le Département d’Etat n’a pas manqué de mettre l’accent est la diminution du nombre d’actes terroristes commis au cours de l’année écoulée: de 355 attentats recensés en 2001, nous sommes passés à 199 en 2002.
Si ce résultat à première vue frappant semble démontrer l’efficacité de la politique américaine de “guerre contre le terrorisme”, il doit être relativisé. En effet, comme nous pouvons le constater en étudiant le tableau ci-dessus, c’est surtout en Amérique latine que le nombre d’attentats a connu en chiffres absolus la plus importante diminution. Par rapport à l’année précédente, il y a notamment eu un nombre beaucoup moins important d’attentats visant des oléoducs en Colombie.
La diminution du nombre d’actes terroristes est donc moins spectaculaire que certains titres des médias ne l’ont laissé entendre: titrer “Le terrorisme international à son plus bas niveau depuis 20 ans“, comme l’ont fait certains articles, ne reflète pas adéquatement la réalité. Suffisamment d’attentats survenus en 2002 sont d’ailleurs venus nous le rappeler, même s’il est évidemment difficile pour un groupe terroriste d’égaler l’ampleur des événements du 11 septembre 2001.
L’un des intérêts de ce rapport est de rappeler que le terrorisme n’est pas un phénomène limité à des courants de l’islamisme radical ou au Proche-Orient: tous les pays touchés, sur tous les continents, sont passés en revue. Le chapitre sur l’hémisphère occidental est ainsi l’occasion de rappeler que le passif terroriste pèse lourdement depuis des décennies sur la vie politique et sur l’économie de plusieurs pays latino-américains.
Des évaluations sur des situations régionales sont également émises dans ce rapport que complètent des fiches brèves sur plusieurs dizaines de groupes. Ainsi, pour le Sri Lanka, le rapport relève les progrès dans le processus de paix, mais ne cache pas un scepticisme quant aux intentions des “Tigres” tamouls: le LTEE “n’a pas renoncé au terrorisme“, continue à introduire des armes en contrebande, et restera donc sur la liste américaine des organisations terroristes étrangères tant qu’il n’aura pas adopté une position sans équivoque sur la question du terrorisme.
Cependant, comme l’a relevé déjà à plusieurs reprises Terrorisme.net, il est moins souhaitable que jamais pour des groupes de se trouver qualifiés de terroristes dans le contexte actuel: tant la pression externe que – parfois – celle des propres partisans de groupes ainsi catalogués peut donc effectivement contribuer dans certains cas à des changements au moins tactiques.
Le rapport distribue aussi des “notes”, si l’on peut dire, en matière de lutte contre le terrorisme. Ainsi, un encadré d’une page entière souligne les succès de Singapour dans la lutte contre le terrorisme: les opérations menées en décembre 2001 et en août 2002 ont permis de prévenir de graves attentats. De même, le rapport ne se fait pas faute de souligner qu’un petit pays tel que l’Albanie, “malgré des ressources limitées“, a fourni “un soutien considérable en matière de contre-terrorisme“.
Au regard des développements récents lors de la guerre contre l’Irak, l’on ne peut manquer de lire attentivement les pages consacrées à la contribution française et allemande à la “guerre contre le terrorisme”. Le rapport prend manifestement grand soin d’éviter d’attiser les polémiques et s’attache au contraire à souligner la valeur de la contribution de ces deux pays à la lutte antiterroriste.
En ce qui concerne un pays comme la Grèce, en revanche, les progrès dans le domaine sont relevés, le rapport note avec satisfaction que le gouvernement grec fait preuve depuis quelques années d’une “détermination” dont le démantèlement de l’Organisation du 17 Novembre a été le fruit, mais soutient également que l’attitude de la Grèce n’a pas toujours été entièrement claire dans son action “contre les groupes terroristes transnationaux“. Appelé lors de la conférence de presse pour présenter le rapport à s’expliquer sur ce point, l’ambassadeur Cofer Black, coordinateur pour les questions de contre-terrorisme, a choisi de mettre l’accent sur les progrès de la Grèce, tout en rappelant que “certains groupes terroristes […] ont des bureaux à Athènes” et que les Etats-Unis souhaiteraient voir ces bureaux fermés. En revanche, il s’est dit tout à fait confiant dans les préparatifs de la Grèce pour la sécurité des Jeux olympiques de 2004.
Si le rôle de la Syrie est évalué de façon en partie positive pour ce qui est de la lutte contre Al Qaïda, elle demeure en revanche sur la liste des Etats accusés de soutenir le terrorisme. Le rapport justifie cette catégorisation en rappelant le soutien syrien au Hezbollah, au Hamas palestinien, au Jihad islamique et à d’autres groupes palestiniens opposés à un accord de paix. Le fait que les Syriens décrivent les actions de ces groupes comme des actes de “résistance légitime” est considéré comme inacceptable par les Etats-Unis. Nous avons déjà remarqué à plusieurs reprises dans les pages de Terrorisme.net que la situation au Proche-Orient soulevait de façon aiguë la question de la définition du terrorisme – et compliquait considérablement le débat autour des attentats suicides dans l’ensemble du monde musulman.
Sept pays figurent dans la liste des Etats soutenant le terrorisme: Cuba, l’Iran, l’Irak (pour mémoire, puisque le rapport concernait l’année 2002), la Libye, la Corée du Nord, la Syrie et le Soudan. Cette liste correspond bien sûr en bonne partie à des pays à l’égard desquels les Etats-Unis se montrent critiques pour d’autres raisons également.
La présence du Soudan ne manque pas de surprendre: en effet, le rapport lui-même reconnaît que le gouvernement soudanais coopérait avant septembre 2001 déjà aux efforts américains de lutte contre le terrorisme et ne trouve pas grand chose à lui reprocher, si ce n’est son soutien au Hamas ou au Jihad islamique palestinien. En fait, le rapport se montre plutôt élogieux envers le Soudan! Invité à s’expliquer sur le maintien du Soudan sur la liste, l’ambassadeur Black n’a fait que répéter dans les grandes lignes ce qu’écrivait le rapport et déclaré que le Soudan faisait de “très bons progrès“.
Pour ce qui est de Cuba, sa présence sur la liste est justifiée aux yeux des Etats-Unis par l’hospitalité donnée à “plusieurs terroristes et fugitifs américains“. Des membres de groupes basques et colombiens sont notamment mentionnés.
Nous n’avons fait qu’évoquer rapidement quelques points du rapport, puisqu’il ne saurait être question de résumer des dizaines de pages d’informations. Signalons que, outre le tour d’horizon auquel se livre le rapport et le lexique des groupes terroristes, il contient aussi une chronologie d’une quinzaine de pages des incidents terroristes importants survenus en 2002.
Le rapport Patterns of Global Terrorism: 2002 peut être consulté sur Internet ou déchargé (soit par section, soit intégralement) au format PDF:
http://www.state.gov/j/ct/rls/crt/2002/