Un attentat à la bombe commis le 5 décembre 2002 contre le consulat de la Macédoine à Karachi a donné un nouvel élan aux demandes d’enquête sur l’affaire des six Pakistanais abattus au mois de mars dans une embuscade tendue par la police macédonienne, qui avait affirmé qu’il s’agissait de terroristes. Des observateurs macédoniens et occidentaux ont répété leur conviction que les victimes de l’embuscade n’étaient pas des terroristes, mais simplement des émigrants pauvres sur la route de la Grèce pour y chercher du travail.
Ancien ministre des affaires étrangères de la Macédoine et professeur de droit international, Ljubomir Frckovski a déclaré aux médias: “De même que nous demandons de la part des autorités pakistanaises une enquête complète, nous devrions conduire notre propre enquête sur le meurtre d’immigrants pakistanais [commis] de sang-froid en Macédoine.”
“Si nous ne faisons pas cela de notre côté, nous n’avons aucun droit à demander aux Pakistanais une enquête complète sur la bombe de Karachi.”
Un diplomate occidental de haut rang en poste à Skopje partage cette opinion: “Que ces deux affaires soient ou non liés, la tuerie doit faire l’objet d’une enquête. Si ce n’est pas le cas, cela entachera pour des années la réputation de la Macédoine dans la communauté internationale.”
Trois personnes ont péri dans l’attentat de Karachi. Aucune des victimes n’était macédonienne. A Skopje, le ministère des affaires étrangères s’est empressé d’affirmer que l’attentat à la bombe était lié au réseau Al Qaïda d’Oussama ben Laden.
Un communiqué du ministère macédonien des affaires étrangères déclare: “Selon des informations non officielles, un éventuel organisateur de l’attentat pourrait être une cellule pakistanaise du réseau Al Qaïda.”
La police de Karachi a expliqué que les victimes de l’attentat à la bombe étaient un garde de sécurité et deux personnes non identifiées, qui auraient été tuées avant l’explosion. Aucun citoyen macédonien n’était employé au consulat.
“Il s’agit certainement d’un acte terroriste, mais nous n’avons aucune précision sur le genre de groupe impliqué“, ont déclaré des responsables de la police pakistanaise. Les services de renseignement américain et britannique à Karachi enquêteraient également.
Porte-parole du ministère des affaires étrangères, Santa Argirov a rapporté que le consul de la Macédoine, Bilal Ahmed Qureshi, homme d’affaires pakistanais connu et appartenant à une famille influente, avait suggéré qu’il pourrait exister un lien entre l’attentat à la bombe et une récente protestation à Karachi des familles des six Pakistanais tués le 2 mars 2002 dans l’embuscade en Macédoine.
Aucun groupe n’a revendiqué l’attentat de Karachi, mais des sources officielles macédoniennes affirment qu’un message retrouvé sur les murs du consulat avertissait: “Nous sommes d’Al Qaïda Pakistan. Nous traiterons les incroyants comme ils nous traitent.”
Le Wall Street Journal avait relaté que les six Pakistanais et un Indien tué avec eux n’étaient que des immigrants illégaux en route vers la Grèce, où ils espéraient trouver un emploi dans le cadre des travaux entrepris pour préparer les Jeux olympiques. Des enquêtes journalistiques soutiennent qu’il n’y avait aucun lien entre les hommes tués et quelque groupe extrémiste.
La police macédonienne, qui avait alors à sa tête le ministre de l’intérieur Ljube Boskovski – connu pour suivre une ligne dure – , avait déclaré à l’époque que l’affaire était close et qu’il n’y avait aucune raison de se livrer à une enquête. Le ministre avait tenté de lier les sept hommes tués à Al Qaïda et aux rebelles albanais qui s’étaient engagés dans un conflit armé contre le gouvernement macédonien.
Nicolaas Biegman, ambassadeur de l’OTAN et représentant politique à Skopje, avait commenté l’affaire de l’embuscade au début du mois de novembre, après l’élection d’un nouveau gouvernement macédonien plus modéré.
“Les meilleures recherches menées jusqu’à maintenant indiquent qu’il s’agissait d’un groupe de pauvres diables sur leur chemin à la recherche d’un travail en Grèce, qui n’avaient rien à voir avec un extrémisme de quelque sorte que ce soit, comme cela avait été prétendu“, avait-il alors déclaré.
“Si cela devait se révéler exact, les familles auraient droit à une généreuse compensation et les responsables devraient être punis. Ce n’est pas là une question qui va disparaître toute seule, et la Macédoine susciterait un écho international favorable si elle prenait l’initiative de la résoudre.”
A l’époque de l’embuscade, Boskovski avait produit des uniformes de guérilla et des armes qui auraient été trouvés sur les morts afin de démontrer qu’il s’agissait de moudjahidines, malgré la mise en doute de son récit par des pays occidentaux. Hari Kostov, nouveau ministre de l’intérieur, a promis la réouverture du dossier.
Certains diplomates occidentaux à Skopje disent douter que l’attentat de Karachi soit une revanche pour la mort des Pakistanais.
“Nous ne disposons d’aucune indication que cela était lié – mais également d’aucune preuve qui permette de l’exclure. Il est également possible que le motif ait été beaucoup plus ordinaire“, a commenté un diplomate qui a souhaité garder l’anonymat.
Les autorités macédoniennes hésitent également à établir un lien entre l’attentat de Karachi et les sept hommes abattus. “Nous ignorons quels étaient les motifs de l’attentat, et pour le moment nous n’avons rien qui indique qu’il s’agisse d’une revanche pour l’incident du mois de mars”, a déclaré un responsable gouvernemental à l’IWPR.
Aux Etats-Unis, un porte-parole du Département d’Etat a condamné l’attentat de Karachi et indiqué qu’il n’existait pour l’instant aucune indication sur ses auteurs.
Depuis l’attentat, Skopje a ordonné à ses ambassades de renforcer leurs mesures de sécurité. “Cet attentat me rend encore plus déterminé à ce que nous participions à la coalition antiterroriste“, a déclaré Ilinka Mitreva, ministre des affaires étrangères, à des journalistes.
Saso Ordanoski
Coordinateur du projet de l’IWPR à Skopje, Saso Ordanoski est le rédacteur en chef du magazine Forum.
Cet article a originellement été publié en anglais dans le Balkan Crisis Report, N° 389, 10 décembre 2002, de l’Institute for War and Peace Reporting (IWPR).
© Institute for War & Peace Reporting, Londres.
Traduit de l’anglais par les soins de terrorisme.net