Sans doute n’y a-t-il jamais eu autant de livres publiés sur le terrorisme, dans toutes les langues. Plusieurs de ces ouvrages évoquent de nouvelles menaces, des modes d’action terroriste encore relativement peu fréquents dans la panoplie des groupes qui font la une de l’actualité ces derniers mois. L’un d’entre eux est le bioterrorisme: il mérite assurément l’attention, car la parade exige plus qu’une improvisation hâtive.
Deux livres en français viennent de paraître en un mois seulement sur le bioterrorisme. Celui du journaliste scientifique Pierre Kohler, L’Ennemi invisible, aura sans doute son petit succès. Il est écrit d’une plume alerte et révélatrice d’une pratique de la communication envers un large public, même s’il en a parfois aussi les travers – hypothèses hasardeuses (par exemple dans le chapitre consacré à Aum Shinrikyo, pp. 82-83) ou frisson du sensationnel. Cela dit, ce livre contient aussi bien des informations intéressantes et précises. Il fait oeuvre utile de prévention de mouvements de panique, par ailleurs, en fournissant dans une annexe des réponses raisonnables, brèves et documentées à quelques questions fréquemment posées (pp. 223-227).
Si l’on ne doit lire qu’un livre en français sur le bioterrorisme, c’est cependant un autre titre que recommandera plutôt terrorisme.net. Intitulé L’arme biologique, il a pour auteur Henri Mollaret, microbiologiste et épidémiologiste, ancien expert pour la peste auprès de l’Organisation mondiale de la santé. L’auteur a donc l’avantage d’avoir une expérience directe de sujets fort utiles pour l’analyse des armes biologiques, et il présente sobrement son dossier, dans un style certes plus technique et moins littérairement construit que Kohler, mais d’une façon qui demeure cependant accessible au lecteur sans formation médicale.
L’un de ses soucis – et c’est toute la quatrième partie du livre – est cependant de s’adresser aussi au corps médical. En effet, remarque-t-il pertinemment, la plupart des médecins n’ont jamais rencontré les maladies qui découleraient de l’utilisation d’armes biologiques et se trouveraient vraisemblablement bien en peine de les diagnostiquer. Le professeur Mollaret a donc eu l’heureuse initiative de les décrire afin de fournir à ses collègues les informations nécessaires pour établir un diagnostic satisfaisant, si cela devenait un jour nécessaire.
La variole, le charbon, la peste, la tularémie et le botulisme “constituent les cinq armes biologiques les plus redoutables“, souligne l’auteur, mais il évoque également d’autres possibilités parfois envisagées, comme le choléra ou le virus d’Ebola (p. 194).
Comme Pierre Kohler, Henri Mollaret rappelle que l’arme biologique n’a en fait rien de nouveau et que, très tôt, des hommes tentèrent d’utiliser à des fins meurtrières des phénomènes infectieux, épidémiques ou non, avant même d’en comprendre complètement le processus. Et comme on le sait, l’arme biologique a beaucoup intéressé non pas avant tout des groupes terroristes, mais différents gouvernements, au cours du 20e siècle… L’arme biologique a l'”avantage” de ne détruire que ce qui vit, de laisser l’infrastructure intacte. C’est donc légitimement que toute la première partie est consacrée à un historique.
L’auteur, dont l’ouvrage démontre la familiarité avec une vaste littérature scientifique consacrée à l’arme biologique, examine également les moyens d’utiliser une telle arme, que ce soit par voie aérienne, par sabotage de l’eau ou par contamination d’aliments, sans oublier quelques autres procédés moins courants: par exemple la voie postale utilisée pour l’anthrax aux Etats-Unis durant l’automne 2001. Il passe en outre en revue les différentes possibilités de protection.
Reste évidemment, après lecture de ces deux livres, une question (essentielle à nos yeux) qu’aucun des deux ouvrages ne traite véritablement: quels groupes seraient-ils prêts à recourir au bioterrorisme et pourquoi? Kohler y fait brièvement allusion dans le chapitre 3 de son ouvrage, mais de façon beaucoup trop rapide. En effet, si le bioterrorisme peut être tentant, il présente en revanche le problème, sous ses formes épidémiques (la question se pose différemment pour des formes non épidémiques, comme l’anthrax), de devenir une arme incontrôlable par les groupe qui l’a lancé, frappant sans discrimination géographique, contrairement à la quasi-totalité des attentats réalisés jusqu’à maintenant. Il ne suffit pas seulement de prendre au sérieux les aspects techniques du risque de bioterrorisme, mais il faut aussi se pencher de près sur les motivations de ceux qui pourraient l’utiliser et les raisons (pas seulement techniques) qui seraient susceptibles de les dissuader de le faire.
Pierre Kohler, L’Ennemi invisible: le bioterrorisme, Paris, Editions Balland, 2002, 252 p.
Henri Hubert Mollaret, L’Arme biologique: bactéries, virus et terrorisme, Paris, Plon, 2002, 214 p.
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