Un ancien agent de renseignement est accusé d’avoir communiqué des informations aux extrémistes islamistes qu’il était chargé de surveiller.
On s’attend à ce que le procès de Munib Zahiragic, un agent de renseignement accusé d’avoir communiqué des informations à des personnes soupçonnées d’activités extrémistes, jette une nouvelle lumière sur les activités d’agents islamistes en Bosnie.
L’audience, qui doit se dérouler le mois prochain à la Cour cantonale de Sarajevo, devrait également fournir des informations importantes pour les autorités américaines dans le cadre des poursuites intentées contre Enaam Arnaout, arrêté cette année à Chicago et décrit comme un aide d’Oussama ben Laden.
Zahigaric est accusé d’avoir volé entre 1996 et 2000 des centaines de documents hautement confidentiels. Il travaillait alors pour l’Agence de documentation et d’enquête (Agencija za informaciju i dokumentaciju, AID), service de renseignements bosniaque.
Les documents portaient sur des enquêtes et opérations de surveillance visant des volontaires islamiques (moudjahidines) qui s’étaient installés en Bosnie après la guerre.
Selon l’accusation, Zahiragic aurait communiqué ces informations confidentielles au directeur de Benevolence International Foundation(BIF), une association humanitaire placée à la fin de l’année 2001 par le Département d’Etat américain sur la liste des organisations soutenant le terrorisme.
[Note de terrorisme.net: BIF, fondée en 1992, dont le siège est à Chicago, conteste ces accusations. Ses fonds avaient été bloqués le 14 décembre 2001 (voir l’Executive Order 13224), puis une partie débloquée mensuellement afin de lui permettre de poursuivre au jour le jour ses opérations humanitaires. Sur son site Web, on pouvait lire un communiqué du 30 janvier 2002 prenant position sur l’action des autorités américaines. (Ces liens n’existent plus et ont été supprimés – 04.06.2016)]
Né en 1953, Zahigaric obtint son diplôme dans un séminaire religieux et devint l’imam d’une mosquée de Split. Il fut arrêté en 1987 par l’ancien régime de la Bosnie-Herzégovine, soupçonné d’aider à préparer des attentats contre des cibles importantes.
Condamné à cinq années de prison, il fut libéré avant le début de la guerre et adhéra au Parti de l’action démocratique (SDA), le principal parti nationaliste bosniaque.
Tout d’abord, Zahiragic servit dans l’une des unités militaires constituées de toutes pièces à Sarajevo, mais très vite il devint l’un des gardes du corps du président Alija Izetbegovic.
Le 26 décembre 1993, le président Izetbegovic nomma Zahiragic officier de sécurité à l’ambassade de Bosnie à Riyadh, en Arabie saoudite.
Par la suite, Zahiragic exerça des fonctions semblables au Koweït. Il y critiquait ouvertement son pays d’accueil, affirmant que celui-ci avait adopté une approche “trop libérale” de l’islam. Cela le fit entrer en conflit avec Naim Kadic, qui était alors l’ambassadeur de Bosnie au Koweït et qui demande le rappel de Zahigaric à Sarajevo.
Une fois de retour dans la capitale de la Bosnie, Zahiragic fut engagé par l’AID en septembre 1996. Il reçut pour mission d’observer et d’analyser le “facteur AA“, c’est-à-dire les volontaires musulmans afro-asiatiques qui avaient combattu du côté bosniaque et étaient restés dans le pays après la fin de la guerre.
Il cessa de travailler pour l’AID en juin 2000 et devint alors le responsable de la branche bosniaque de la BIF. Selon la police locale, Zahigaric et Enaam Arnaout, directeur du BIF, auraient auparavant déjà voyagé la même année dans le Caucase afin d’y apporter une aide humanitaire à des combattants tchétchènes.
A la fin de l’année 2001, la BIF se retrouva classée par le Département d’Etat parmi les groupes soutenant le terrorisme et ses comptes bancaires furent gelés. En janvier 2002, Arnaout porta plainte contre le FBI pour essayer d’obtenir que les avoirs soient débloqués.
Cependant, deux mois plus tard, la police bosniaque perquisitionna dans des appartements et bureaux appartenant aux principaux membres de l’organisation.
La police découvrit une disquette contenant des documents confidentiels de l’AID dans l’appartement de Zahigaric. Des copies d’autres documents classés comme “confidentiel”, “très confidentiel” et “secrets d’Etat” furent retrouvés dans son garage. Au cours de l’opération, une photographie montrant Arnaout en compagnie de ben Laden aurait également été découverte. Zahigaric fut arrêté à Sarajevo le 21 mars et Arnaout à Chicago le 30 avril.
Le FBI soutient qu’Arnaout – qui va maintenant être jugé pour faux témoignage – entretenait des liens étroits avec Al Qaïda et était apprécié par ben Laden.
Selon les services du procureur du canton de Sarajevo, Zahigaric transmettait à Arnaout des rapports, documents et autres informations importantes de l’AID. Arnaout avertissait ensuite les suspects que la police bosniaque suivait leurs traces.
L’acte d’accusation soutient que ces activités ont causé un sérieux préjudice à l’AID, ont révélé ses méthodes opérationnelles, ont mis en danger la sécurité de ses agents et ont porté atteinte à sa coopération avec des services de renseignements étrangers.
A la suite de ces fuites, plusieurs suspects auraient quitté le pays avant d’être appréhendés par la police. L’acte d’accusation ne mentionne que les deux noms les plus connus: Abu Ma’ali et Mamdouh Salim.
Ma’ali [d’origine algérienne] fut l’un des derniers et des plus extrémistes parmi les commandants d’El Mujaheed, une unité principalement composée de volontaires africains et asiatiques, qui était active dans le centre de la Bosnie et combattait aux côtés de l’armée de Bosnie-Herzégovine.
Selon des sources policières locales, Ma’ali retourna parfois en Bosnie après la guerre, en utilisant des documents de voyage sous différents noms de ressortissants de l’Algérie et du Koweït.
Sa dernière visite connue en Bosnie-Herzégovine remonte au printemps 2001. Selon des informations communiquées par des services de renseignements étrangers, Ma’ali serait l’un des acteurs importants du réseau Al Qaïda et se trouverait actuellement dans la clandestinité avec ben Laden
[Note de terrorisme.net: nous ignorons bien sûr si ces informations sur la présence de Ma’ali dans l’entourage de Ben Ladern sont exactes; mais il est vrai que l’épisode bosniaque fait partie de la “mythologie” du jihadisme contemporain – à côté de l’Afghanistan et de la Tchétchénie – et que circulent dans ces milieux des vidéos qui exaltent l’engagement de militants au sein d’unités armées internationales pendant la guerre en Bosnie.]
Quant à Mamdouh Salim, il s’agit d’un ingénieur électricien irakien. Selon des documents du FBI publiés avant l’inculpation d’Arnaout, il aurait tenté de se procurer des armes nucléaires pour le compte d’Al Qaïda.
Au cours de l’été 1998, Salim se trouvait en Bosnie, porteur de documents qui l’identifiaient comme directeur de la BIF. Il fut arrêté en Allemagne en septembre 1998 et attend d’être transféré dans une prison américaine pour répondre de ses actes devant un tribunal.
En dehors de ces deux noms bien connus, on ignore encore combien de combattants islamiques ont pu s’échapper de Bosnie grâce aux activités d’espionnage de Zahigaric.
Ena Latin
Ena Latin est un pseudonyme d’un journaliste travaillant à Sarajevo.
Cet article a originellement été publié en anglais dans le Balkan Crisis Report, N° 362, 28 août 2002, de l’Institute for War and Peace Reporting (IWPR).
© Institute for War & Peace Reporting, Londres.
Traduit de l’anglais par les soins de terrorisme.net