L’un d’eux est mort, l’autre est en fuite: un attentat de plus en Israël, mais avec une particularité, puisque les auteurs de cette action étaient des citoyens britanniques d’origine pakistanaise.
Les premières informations concernant l’attentat suicide de la nuit du 29 au 30 avril 2003, qui a coûté la vie à trois personnes dans un bar de Tel Aviv, Mike’s Place, ont rapidement été confirmées: Asif Muhammad Hanif (21 ans, mort dans l’explosion) et Omar Khan Sharif (27 ans, en fuite, son engin n’ayant apparemment pas explosé) étaient tous deux des citoyens britanniques d’origine pakistanaise.
C’est la première fois que des auteurs d’attentats suicides sur territoire israélien durant la seconde intifada étaient des citoyens étrangers. Mais Yoram Schweitzer (Jaffee Center for Strategic Studies) rappelle qu’il y a déjà eu des précédents d’implications d’étrangers dans des actions menées par des groupes palestiniens: dans les années 1970, de jeunes Européens et Sud-Américains avaient aidé des groupes palestiniens à contourner les mesures de sécurité israéliennes pour introduire des explosifs en Israël ou à bord d’avion. Ils étaient alors motivés par ce qu’ils considéraient comme “un romantique combat révolutionnaire international“, rappelle Schweitzer dans le N° 77 des Tel Aviv Notes.
Même en ce qui concerne les attentats suicides, il y aurait eu des tentatives non abouties de la part de citoyens étrangers: Schweitzer cite ainsi le cas, en 1997, d’un citoyen allemand converti à l’islam, qui s’était déclaré prêt à commettre un attentat suicide.
Schweitzer relativise l'”originalité” de l’attentat en rappelant qu’un jeune Britannique d’origine pakistanaise avait commis en l’an 2000 un attentat suicide contre une base de l’armée indienne au Cachemire. Cependant, l’on peut dire qu’il existait quand même dans ce dernier cas une relation d’origine avec la région dans laquelle l’attentat se produisit. En revanche, l’action de citoyens britanniques en Palestine relève d’une cause non liée à des considérations nationales. Il est vrai que les épreuves du peuple palestinien sont un thème constamment évoqué à travers la diaspora musulmane en Europe, et il n’est donc pas étonnant que cette cause en arrive à susciter de telles réactions.
En ce qui concerne les allégations selon lesquelles les deux auteurs de l’attentat auraient été liés au Mouvement international de solidarité avec les Palestiniens – c’est-à-dire les activistes étrangers présents dans les territoires palestiniens – elles sont rejetées par ledit Mouvement, qui admet seulement qu’un de ses membres a brièvement reçu la visite des deux hommes – venus en même temps que d’autres visiteurs – le 25 avril. Il n’est évidemment pas possible d’avoir confirmation de source indépendante, mais les rumeurs selon lesquelles les deux terroristes auraient trouvé une couverture dans le Mouvement de solidarité doivent apparemment être traitées avec prudence, d’autant plus que les autorités israéliennes ne cachent pas leur volonté de se débarrasser de ces activistes.
Les services de sécurité britanniques n’ont été qu’à moitié surpris: cela faisait longtemps qu’ils s’attendaient à voir des jeunes de l’importante communauté musulmane locale suivre les incitations de certains groupuscules extrémistes.
A vrai dire, le MI5 avait repéré déjà les deux jeunes gens en raison de leur fréquentation de groupes islamistes radicaux. Ils auraient eu un intérêt pour le mouvement Al Muhajiroun, qui serait implanté dans une trentaine de localités britanniques et se signale depuis des années par des prises de position virulentes et provocatrices dans le contexte occidental. Le MI5 avait cependant conclu que les deux hommes ne méritaient pas une surveillance permanente, car ils se trouvaient sur les franges du mouvement. (Notons au passage ce que cette observation révèle sur la tactique britannique: les groupes radicaux peuvent agir dans ce pays, mais cela permet surtout de les surveiller étroitement et de repérer les figures qui circulent dans la mouvance radicale…)
L’évaluation du MI5 semble confirmer d’ailleurs par les déclarations d’Al Muhajiroun: le groupe admet seulement qu’Omar Khan Sharif a assisté à “une ou deux réunions” de l’Ecole de la shariah, une institution dirigée par Sheikh Omar Bakri, chef d’Al Muhajiroun. Sheikh Omar Bakri précise que, si l’un des jeunes gens lui avait demandé s’il devait aller mener une opération à l’étranger, il lui aurait répondu que la priorité était de rester au Royaume-Uni pour y prêcher l’islam.
Comme souvent lors de tels événements, ceux qui connaissaient les deux auteurs de l’attentat manifestent une grande surprise. Cela ne paraît pas correspondre au profil des hommes tels qu’ils les avaient connus. Cependant, des témoignages montrent que l’un et l’autre étaient passés ces dernières années par un processus de “réislamisation”, au cours duquel ils avaient vraisemblablement établi certains liens avec des éléments radicaux.
La police britannique mène maintenant une enquête intensive sur cette affaire et a appréhendé la soeur, le frère et l’épouse d’Omar Khan Sharif, soupçonnés d’avoir eu vent de ses projets. Les lois antiterroristes actuellement en vigueur en Grande-Bretagne punissent en effet ceux qui, ayant connaissance de faits relatifs à des actions terroristes, s’abstiennent de les révéler.
Nul doute que de nouveaux éléments seront révélés par l’enquête dans les semaines et mois à venir. Pour l’instant, contentons-nous de constater que cette méthode d’attentat suicide n’a pas encore été importée dans le contexte occidental (les événements du 11 septembre 2001 relevaient d’un autre modèle et se situaient à une autre échelle): les militants radicaux qui décident de sacrifier leur vie en se faisant exploser dans un lieu public ne choisissent pas un café parisien ou un pub anglais. Le Proche-Orient a évidemment une autre valeur symbolique. Bien des experts restent néanmoins d’avis que, en fonction de l’évolution de la situation, des actes de ce genre ne peuvent être exclus tôt ou tard dans le contexte de grandes villes occidentales.