Depuis le mois de décembre 2001, au moins 20 policiers ont été tués dans des embuscades dans le Sud de la Thaïlande. Il est cependant difficile de déterminer si ces actes de violence sont liés à un regain du séparatisme musulman ou à des activités avant tout criminelles.
Il existe dans cette région deux organisations activistes, le PULO (Patani United Liberation Organization) et le New PULO (faction dissidente créée en 1995). Malgré leurs divergences, les deux organisations ont établi une alliance tactique au milieu de l’année 1997. Pas moins de 33 attentats leur furent attribuables dans la période d’août 1997 à janvier 1998, ce qui représenta la plus importante éruption d’activité séparatiste musulmane dans la région depuis le début des années 1980.
Depuis le mois de décembre 2001, les incidents se sont multipliés, allant des embuscades déjà mentionnées contre des policiers à une demi-douzaine d’attentats à la bombe (engins de fabrication artisanale). Cela fait craindre aux autorités la reprise d’activités séparatistes dans la région.
Incertitudes sur les acteurs des violences récentes
En fait, l’incertitude règne quant à l’interprétation à donner à cette série d’actions violentes. Les autorités avaient d’abord incriminé des groupes de bandits notoirement actifs aux abords de la frontière avec la Malaisie, mais le caractère apparemment organisé de la campagne suscite maintenant des interrogations – sans qu’il soit exclu qu’elle couvre des entreprises criminelles pour le contrôle de lucratives activités illégales (Reuters, 16 juillet 2002). D’une source officielle à l’autre, les explications avancées sont contradictoires. Les autorités thaïlandaises ont également accusé les séparatistes et demandé l’aide de la Malaisie pour arrêter certains d’entre eux.
Cependant, note Shawn Crispin dans la Far Eastern Economic Review (25 juillet 2002), “la politique et la violence se mélangent souvent dans les régions méridionales de la Thaïlande, et les actes récents paraissent avoir des racines économiques et politiques plus profondes que du simple banditisme.”
Un autre élément que soulignent plusieurs observateurs et qui pourrait ne pas être étranger aux récents actes violents: la compétition que se livreraient des éléments de la police et de l’armée pour le contrôle de trafics aussi lucratifs qu’illégaux (Associated Press, 4 août 2002). Si l’on suit une telle explication, il n’est pas exclu que certaines actions aient pour origine des séparatistes musulmans, mais ceux-ci auraient plutôt mis à profit la situation instable de la région. Selon un politologue de la région, Perayot Rahimmula (cité par Associated Press), il ne faut pas nécessairement attribuer à tous les incidents récents la même origine.
Le 15 juillet 2002, le Conseil national de la sécurité de la Thaïlande a décidé la création d’une nouvelle force de sécurité pour les provinces méridionales du pays. Cette force devrait comprendre à la fois des militaires, des policiers et des civils. Mais cela n’a pas mis un terme à la rivalité entre policiers et militaires dans la région, note la Far Eastern Economic Review (dans son édition datée du 22 août 2002): critiqué par les milieux militaires qui souhaitent maintenir une forte présence dans la zone, le général Sant Sarutanont a en effet l’intention d’envoyer 1.500 policiers supplémentaires dans la région.
Situation de la minorité musulmane dans le Sud
Sunnites, les musulmans de Thaïlande sont largement d’origine malaise, ce qui crée des liens transfrontaliers. Majoritaires dans le Sud, les musulmans représentent 4,6% de la population totale du pays (61 millions d’habitants), selon les résultats du recensement de l’an 2000, qui montraient que le nombre de musulmans avait augmenté depuis 1990 – ils étaient 4,1% dix ans plus tôt (Eglises d’Asie, 16 juillet 2001).
Les musulmans jouissent d’une reconnaissance officielle: le gouvernement fournit des fonds pour la construction et l’entretien des mosquées, qui seraient au nombre de 2.000 dans le pays, dont une centaine à Bangkok. Dans les provinces méridionales, les règles islamiques sont applicables aux musulmans en matière de droit personnel dans les affaires relatives aux questions familiales ou d’héritage.
Cependant, des publications islamiques brossent un autre tableau de la situation et présentent la population musulmane de la Thaïlande comme menacée dans son identité par une politique de “siamisation” qui serait, affirment-elles, imposée par la majorité bouddhiste, notamment dans le cadre éducatif. Une analyse de Kazi Mahmood publiée par IslamOnline (13 mars 2002) prétend ainsi que la Thaïlande utiliserait le climat actuel de “guerre contre le terrorisme” pour réprimer les aspirations identitaires des musulmans des provinces méridionales. Etat malais lié dès le 16e siècle au Siam par des liens de vassalité, le Patani a été complètement intégré politiquement au début du 20e siècle.
Dans un communiqué publié le 29 juillet 2002 sur le site Internet du PULO, le président adjoint de cette organisation, Hj. Lukman B. Lima, laisse entendre que la seule réaction possible pour les habitants du Pattani, face à la répression dont ils feraient l’objet, serait de frapper les policiers et colons thaïs. (JFM)
Pour en savoir plus
Peter Chalk, “Separatism and Southeast Asia: The Islamic Factor in Southern Thailand, Mindanao, and Aceh”, in Studies in Conflict and Terrorism, vol. 24, juillet-août 2001, pp. 241-269.
Peter Chalk, “Muslim Separatist Movements in the Philippines and Thailand” – chapitre publié dans un ouvrage collectif publié en 2001, Indonesia’s Transformation and the Stability of Southeast Asia (sous la direction d’Angel Rabasa et Peter Chalk), qui peut être déchargé sous forme de fichier PDF à partir du site de la RAND Corporation:
http://www.rand.org/publications/MR/MR1344/MR1344.ch9.pdf